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26/05/2014

Le Petit Chose, de Daudet

L’enfance romancée de Daudet

Le Petit Chose

Alphonse Daudet a mis beaucoup de lui-même dans le personnage du Petit Chose, un être plein de candeur qui rêve de devenir un grand écrivain. Il n’y a pas de longues descriptions et le lecteur s’attache vite aux personnages de ce roman qui rappelle l’œuvre de Dickens.

            Le Petit Chose nous plonge dans le monde de l’enfance et de l’adolescence. Daudet nous conte avec tendresse les débuts dans la vie de son héros, Daniel Esseyte, un garçon plein de candeur, surnommé le Petit Chose. Ce surnom lui colle à la peau depuis le collège ; un professeur l’avait pris en aversion et, constatant sa petite taille et son aspect frêle, l’avait interpellé en ces termes : « Hé ! vous, là-bas, le Petit Chose ! »

 le petit chose,daudet,daniel esseyte           Le roman est divisé en deux parties bien distinctes. La première nous raconte comment, suite à la ruine de ses parents, le Petit Chose est obligé très jeune de gagner sa vie. Sur recommandation, il obtient un poste de maître d’études dans un collège de Sarlande. En le voyant arriver, le principal s’exclame : « Mais c’est un enfant ! Que veux-t-on que je fasse d’un enfant ! » Daniel Esseyte est chargé de surveiller les petits. Les choses se passent assez bien. Quelques mois plus tard, il prend en charge les moyens. Ces garçons de douze à quatorze ans feront de sa vie un enfer.

            La seconde partie du roman raconte la vie parisienne du Petit Chose. Renvoyé de son collège, il monte à Paris rejoindre son frère aîné, Jacques. Jacques constate que son cadet est encore un enfant et le restera à jamais, si bien qu’il décide de jouer le rôle de mère de substitution, d’où le surnom de « mère Jacques » que Daniel lui donne. Les deux frères se donnent pour objectif de reconstruire le foyer. Convaincu des dons de Daniel pour l’écriture et notamment pour la poésie, Jacques le pousse sur cette voie et va chercher à le faire éditer. Mais Jacques est ignare en matière de littérature et se fait bien des illusions sur les capacités littéraires de son cadet.

L’action démarre dès la première page

            Tous les spécialistes de Daudet ont souligné le caractère autobiographique du Petit Chose. Les parents de Daudet furent ruinés, le jeune Alphonse était chétif et myope, il fut surveillant dans un collège, il le quitta précipitamment et rejoignit son frère à Paris, rêvant de gloire littéraire.

            Le mode de narration du roman est singulier. Le Petit Chose raconte lui-même son histoire, tantôt en disant « je », tantôt en parlant de lui à la troisième personne. Le Petit Chose fait bien sûr penser à Dickens. Daniel Esseyte est un peu le de cousin français de David Copperfield. D’où le côté larmoyant du roman de Daudet. Daniel Esseytefait aussi penser à Lucien de Rubempré, le héros d’Illusions perdues, de Balzac. Comme Lucien, Daniel monte à Paris pour devenir un grand écrivain. Comme Lucien, Daniel ne se montre pas à la hauteur du destin qui eût pu être le sien. Mais alors que Lucien est plein d’illusions et croit que le succès l’attend, Daniel est beaucoup plus modeste, voire désabusé. C’est son aîné, Jacques, qui se berce d’illusions.

            Cependant Daudet n’est pas Balzac, dans le sens que son mode de narration se rapproche de celui des écrivains britanniques. Son style est simple et, comme dans les romans anglo-saxons, l’action démarre dès la première page. Il n’y a pas de longues descriptions et le lecteur s’attache très vite aux personnages, dont le premier d’entre eux, Daniel Esseyte. Daudet ne donne jamais l’âge précis de son héros, mais on peut déduire des indications qu’il donne que Daniel a seize ans à Sarlande et dix-sept ans à Paris. Il n’y a pas de date précise, mais l’action semble se dérouler dans les années 1850.

            La lecture ou la relecture du Petit Chose est une récréation que l’on peut s’offrir à tous les âges de la vie.

 

Le Petit Chose, d’Alphonse Daudet (1868), collections Le Livre de Poche et Folio.

19/05/2014

Ascenseur pour l'échafaud, de Louis Malle

Film noir à la française

Ascenseur pour l’échafaud

Ascenseur pour l’échafaud est un suspense brillamment réalisé par Louis Malle, dans la tradition des films noirs d’Hollywood. Maurice Ronet, bloqué dans un ascenseur, et Jeanne Moreau, qui erre dans Paris à sa recherche, sont inoubliables. La musique de Miles Davis marque le spectateur.

            En 1957, Miles Davis séjournait à Paris quand il fut contacté par un garçon de vingt-trois ans, Louis Malle. Le jeune homme, déjà réalisateur du Monde du silence, lui demanda de composer la musique du film qu’il venait de tourner. Miles Davis visionna Ascenseur pour l’échafaud et improvisa un accompagnement. Depuis, sa musique est devenue célèbre au pont de connaitre une existence autonome.

 ascenseur pour l’échafaud,louis malle,jeanne moreau,maurice ronet,georges poujouly,lino ventura,miles davis           Cependant on ne saurait réduire Ascenseur pour l’échafaud à sa musique, qui d’ailleurs se fond très bien dans le film. Ascenseur pour l’échaffaud est d’abord un suspense brillamment réalisé dans la tradition des films noirs américains. Le film est court (un peu moins d’une heure trente) et rythmé.

            Florence Carala est l’épouse d’un grand industriel qu’elle trompe avec l’un de ses collaborateurs, Julien Tavernier. Les deux amants diaboliques décident de se débarrasser de l’encombrant mari. Un samedi après-midi, au siège de l’entreprise, après la sortie des bureaux, Julien a rendez-vous avec M. Carala qui est resté travailler au dernier étage. Julien tue l’industriel avec le pistolet de ce dernier, et maquille le crime en suicide.

            Une demi-heure plus tard, Julien revient sur les lieux du crime récupérer un objet compromettant qu’il a oublié sur place. Il monte en ascenseur quand, tout à coup, l’engin s’arrête. Le gardien, qui a fini sa journée, vient de couper l’électricité. Julien est condamné à rester bloqué dans son ascenseur jusqu’à lundi matin, sauf s’il trouve le moyen d’en sortir d’ici là. Pendant ce temps, Florence Carala, qui a rendez-vous avec lui, reste sans nouvelle de sa part et erre dans Paris à sa recherche. Par ailleurs, deux très jeunes gens, Louis et Véronique « empruntent » la voiture de Julien, qu’il avait laissée en stationnement dans la rue. Ils partent pour une virée au cours de laquelle ils vont tuer deux touristes allemands, avec l’arme de Julien.

Louis Malle réussit à mener de front trois actions simultanées

            Très habilement, alors que l’entreprise est a priori périlleuse, Louis Malle réussit à mener de front trois actions simultanées : Julien Tavernier bloqué dans son ascenseur ; Florence Carala qui erre de bar en bar ; Louis et Véro embarqués dans leur folle équipée. L’intrigue est ramassée dans le temps, il se passe moins de vingt-quatre heures de la sortie des bureaux le samedi après-midi à la fin de l’enquête policière dans la journée du dimanche. Comme dans les films noirs, les décors urbains, de préférence la nuit, font partie intégrante de l’histoire. Louis Malle nous montre un panorama de Paris et de sa région à la fin des années 50 : un building de bureaux tout neuf, des bars, une chambre de bonne, les premiers kilomètres d’autoroutes construits en France avec l’entrée de l’autoroute de l’Ouest au pont de Saint-Cloud (autoroutes sur lesquelles se pratique le culte de la vitesse), et même un motel comme dans les films hollywoodiens.

            L’intérêt du film repose aussi sur le contraste entre les deux couples d’amants. Julien et Florence sont des bourgeois installés dans la vie qui planifient froidement leur crime, tandis que Louis et Véro sont deux jeunes un peu paumés qui tuent sans préméditation, dans un geste impulsif.

            Jeanne Moreau, vingt-neuf ans, joue Florence Carla. Le film s’ouvre au son de sa voix dont le phrasé est si particulier. Son amant, Julien Tavernier, est interprété par Maurice Ronet, trente ans. Héros de guerre au physique avantageux, il est élégant et séduisant. Son timbre de voix un peu perché peut surprendre.

            Louis Malle dirigera à nouveau Maurice Ronet et Jeanne Moreau six ans plus tard, dans Le Feu follet, adaptation du livre de Drieu La Rochelle. Maurice Ronet y trouvera le rôle de sa vie, un peu comme si Ascenseur pour l’échafaud avait été pour lui un marchepied pour Le Feu follet.

 

Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle (1957), avec Jeanne Moreau, Maurice Ronet, Georges Poujouly et Lino Ventura, DVD Arte Editions.

05/05/2014

Madame Malraux, d'Aude Terray

Les statues qu’on abat

Madame Malraux

Madame Malraux fut d’abord l’épouse de Malraux. Devenue veuve après la guerre, elle se remaria avec et André Malraux, frère aîné de son défunt mari. Le livre d’Aude Terray nous fait vivre dans l’intimité du grand homme, il nous raconte les drames qui ont marqué la famille, et ne nous cache pas qu’André fut quelques fois bien décevant.

            Madame Malraux, née Madeleine Lioux, est décédée en janvier 2014. Deux ans avant sa mort, elle a raconté sa vie à l’historienne Aude Terray, déjà auteur d’une très intéressante biographie de Claude Pompidou. Madeleine Lioux est née en 1914 dans une famille de la bourgeoisie toulousaine. Son père est un riche industriel passionné de musique. La petite Madeleine est une pianiste prodige. En 1928, elle monte à Paris et entre au conservatoire. En 1942, elle tombe amoureuse d’un jeune homme de trente ans, Roland Malraux. Roland a été le secrétaire de Gide, pour qui il faisait des traductions d’articles de journaux allemands et anglais. Il est le demi-frère d’André Malraux. Ils ont le même père, mais Roland est un fils adultérin.

   madame malraux,aude terray,madeleine malraux,malraux         Peu à peu, Madeleine s’aperçoit que rien n’est simple chez les Malraux. André, le grand homme, se montre même bien décevant. Il est marié à Clara, mais il a une maîtresse, Josette Clotis, qui le pousse à divorcer. Le divorce ne vient pas. Josette Clotis s’impatiente. Elle attend un enfant, qu’elle choisit de mettre au monde afin de mettre André face à ses responsabilités. Gauthier naît en 1940. André ne le reconnaît pas. Pour que l’enfant ait un père, Roland fait une fausse déclaration à l’état-civil ; Gauthier devient officiellement son fils. En 1943, Josette Clotis est à nouveau enceinte. Roland précipite son mariage avec Madeleine pour reconnaître l’enfant à venir. Vincent naît en 1943. Mais cette fois la mère refuse de renouveler le stratagème, afin qu’André comprenne la situation une fois pour toute. André ne veut rien entendre. Vincent sera ce qu’on appelait alors un bâtard, et portera le nom de Clotis. Quant à Madeleine, devenue madame Roland Malraux, elle aura de son mari un fils prénommé Alain.

            Roland Malraux s’engage dans la Résistance. Claude, le troisième frère Malraux, fait de même, tandis qu’André, lui, ne bouge pas. Le héros de la guerre d’Espagne se réfugie dans un attentisme prudent. En mars 1944, Roland et Claude Malraux sont arrêtés par les Allemands. Suite à ce double coup dur, André entre en résistance. Bien que son engagement soit tardif, il s’impose rapidement comme un chef. Il y va au culot et joue de son prestige. Pour asseoir sa légitimité, il évoque des actes héroïques qu’il a commis dès 1940. Les faits décrits sont authentiques, à la réserve près qu’André s’attribue la paternité d’opérations dont ses deux frères cadets sont les véritables auteurs. Néanmoins, sous le nom de colonel Berger, André Malraux devient le chef incontesté de la brigade Alsace-Lorraine et combat courageusement jusqu’à la victoire de 1945.

            Après la guerre, quand il devient évident que Roland Malraux ne reviendra plus, André propose à Madeleine de vivre sous son toit. André, même s’il reste officiellement marié à Clara, est esseulé depuis la mort accidentelle de Josette Clotis. Madeleine vient vivre à Boulogne dans l’hôtel particulier du grand homme. André mène maintenant la vie d’un riche rentier. Il a des domestiques, un chauffeur et une limousine. D’où lui vient sa soudaine fortune ? Nul ne le sait. Aude Terray propose une piste pour expliquer l’origine de cet argent.

Malraux est difficile à vivre

            Au bout de quelques temps, Madeleine, veuve de Roland Malraux, épouse l’écrivain et devient madame André Malraux. Son nouveau mari se montre très exigeant. Il veut que son épouse soit digne de lui. Elle doit mettre en valeur son génie, elle doit briller mais sans lui faire de l’ombre. Madeleine accepte bien des sacrifices et doit s’effacer devant lui. Le lecteur comprend qu’elle a réussi à tenir parce qu’elle avait conscience de vivre à côté d’un génie.

            Dans la vie quotidienne, Malraux est difficile à vivre. Il abuse du whisky, des somnifères et des amphétamines. Sa silhouette épaissit. Ses relations sont difficiles avec ses fils. Un jour de 1956, il convoque Gauthier, Vincent et Alain dans son bureau, et, selon Madeleine, leur déclare froidement : « Vous avez un âge où il ne faudra plus nous embrasser. Vous pouvez disposer. »

            Madeleine partage le combat de son mari pour de Gaulle. Malraux a rencontré le général en 1945 et a été subjugué. En 1958, il rêve d’un grand ministère et doit se contenter des Affaires culturelles. C’est lui qui est à l’origine du transfert au Panthéon des cendres de Jean Moulin. Il y prononce son plus grand discours, resté dans la mémoire nationale : « Entre ici, Jean Moulin !... ». Mais Madeleine, qui vit dans le souvenir de Roland et de Claude, est très mal à l’aise ce jour-là. Elle trouve tout cela bien grandiloquent et hors-de-propos.

            Trois auparavant est survenu un drame. En 1961, Vincent, âgé de dix-huit ans, est au volant de sa voiture de sport, alors qu’il n’est pas titulaire du permis de conduire, il a pour passager son frère Gauthier, âgé de vingt ans. La voiture sort de la route et percute un arbre. Les deux garçons sont tués. Apprenant la nouvelle, Malraux ne manifeste aucune émotion. Il réagit en soldat, habitué à voir ses camarades tomber au combat. En réalité, il tait sa douleur qu’il ne sait exprimer. Peu à peu, il va devenir une épave.

            Le livre d’Aude Terray nous raconte une histoire tragique et pathétique. Même s’il s’agit de la version des faits vus par Madeleine Malraux, l’ensemble paraît sincère. Il ne s’agit pas d’une hagiographie, comme ne l’était pas non plus la biographie de Claude Pompidou. Aude Terray a su garder une distance critique avec son sujet. Il est dommage que le livre n’ait pas été davantage relu, certaines phrases étant peu claires. Cependant le livre est fascinant. Le lecteur est emporté dans un tourbillon, il est mêlé à la grande histoire tout en partageant le quotidien de la famille Malraux.

 

Madame Malraux, d’Aude Terray (2013), éditions Perrin.