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30/11/2015

Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas, de Paul Veyne

Un ancien professeur au Collège de France se raconte

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

Paul Veyne, grand spécialiste de la Rome antique, livre ses souvenirs en toute liberté. Il parle de sa vocation d’érudit, de son passage à l’Ecole normale supérieure et de son élection au Collège de France. Il évoque Aron, qui lui apporta son soutien avant de se brouiller avec lui. Enfin Paul Veyne, qui manifesta contre de Gaulle en 1958, lui rend aujourd’hui hommage.

            En ouverture de son livre de souvenirs, Paul Veyne, professeur honoraire d’histoire romaine au Collège de France, fait une déclaration de patrimoine et de revenus. Il dit toucher une pension de 4500 euros par mois, à laquelle s’ajoutent des droits d’auteur variables selon les années. Cette transparence sur ses finances est signe que Paul Veyne ne veut pas cacher grand-chose de sa vie. Et il est vrai qu’il donne beaucoup d’éléments sur son parcours professionnel, sa vie privée et ses croyances.

      Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas, Paul Veyne      Né en 1930 dans le Midi de la France, Paul Veyne est le fils d’un négociant en vin. Sa famille était aisée et, pendant la guerre, son père fut favorable à la Collaboration, même si, par prudence, il évita de faire de la politique. Enfant, Paul Veyne découvrit sa vocation, celle de l’érudition. Pour lui, apprendre est un jeu ; il se passionne déjà pour Homère et ambitionne de devenir un être cultivé.

            A dix-huit ans, le baccalauréat en poche, il monta à Paris et s’inscrivit en hypokhâgne au lycée Henri IV, pour préparer le concours de l’Ecole normale supérieure. Quelques temps auparavant, il ne connaissait pas l’existence de cette école, mais le notaire de ses parents leur avait dit qu’il fallait passer par Normale pour devenir professeur.

            Après un échec, Paul Veyne fut reçu à l’ENS, à sa seconde tentative. Il fit son entrée à l’Ecole, qu’il qualifie de « monastère laïc de la rue d’Ulm » sans expliquer les raisons de cette appellation. Pendant ses études, il succomba à la tentation communiste et s’inscrivit au Parti, bien qu’il n’eût pas la foi :

Mais pourquoi adhérer au Parti, fût-ce sous l’effet de l’alcool, alors que je ne croyais pas à ces « lendemains qui chantent » dont parlait Aragon et que la politique ne m’intéressait pas ? […] Oui, mais avoir sa carte du Parti ! Participer à la croisade de mon époque ! Pouvoir répondre : « Oui, je l’ai. » […] Désormais, j’aurais le droit d’être heureux avec bonne conscience […]. »

            Dans le débat opposant Sartre à Aron, il dit n’avoir pu prendre Sartre au sérieux. Cependant l’égoïsme social d’Aron lui glaçait le sang. Selon Paul Veyne, Aron se désintéressait complètement du sort du prolétariat.

            En 1958, quand de Gaulle revint au pouvoir à la faveur des événements d’Algérie, le militant de gauche qu’est Paul Veyne participa naturellement à la manifestation du 28 mai, organisée au nom de la défense de la République. Avec le recul des années, Paul Veyne a radicalement changé d’avis sur de Gaulle. Aujourd’hui, il le vénère :

Oui, je vénère de Gaulle, je l’ai dit, pour avoir été le plus grand réformateur de gauche de notre siècle […] : décolonisation, vote des femmes, Sécurité sociale, et j’en passe. »

Au Collège de France, Paul Veyne fut traité de provocateur

pour avoir choisi un sujet d’étude qui sentait le souffre

            En 1961, Paul Veyne fut nommé maître de conférences de latin à la faculté d’Aix-en-Provence. A trente-et-un ans, il est titularisé ; sa sécurité matérielle est assurée à vie.

            Il se lança dans la préparation de sa thèse, consacrée à la Rome antique. Il décida de la faire précéder d’une préface, qu’il commença de rédiger et dans laquelle il glissa ses souvenirs personnels. La préface ne cessa de s’allonger et finit par former une œuvre à part, presqu’un livre, si bien que Paul Veyne décida d’en envoyer le manuscrit au Seuil. Cette jeune maison d’édition accepta le texte et le publia sous le titre Comment on écrit l’histoire. Le livre fut remarqué par Raymond Aron, qui en fit une critique élogieuse. Fort de son soutien, Paul Veyne monta régulièrement à Paris suivre son séminaire. En 1975, quand un poste se libéra au Collège de France, Aron obtint la création d’une chaire d’histoire de Rome qu’il destina à Paul Veyne. Avec un parrain aussi influent et après des visites protocolaires, Paul Veyne fut élu professeur au Collège de France. Lors de sa leçon inaugurale, il commit un impair en omettant de rendre hommage à Aron. Aron eut la rancune tenace, selon Veyne :

La conséquence fut plus amère : à la suite de ma leçon inaugurale, Aron s’écarta de moi, m’écarta de lui, lança contre moi ses élèves lorsque je revins parler à son séminaire. Il n’avait pas tort, je m’étais conduit plus que grossièrement avec lui.

            Au Collège de France, Paul Veyne choisit un sujet qui, en 1975, sentait encore le souffre : l’amour et les pratiques homosexuelles dans la Rome antique. Cela fit réagir :

Dans un certain milieu, cela fit pousser des oh ! et des ah ! sur ma personne, voire sur mes mœurs ; au mieux, on me traitait de provocateur et ce qualificatif m’est longtemps resté.

            Le livre peut paraître quelque peu désordonné, Paul Veyne passant sans cesse d’une idée à l’autre, pour revenir ensuite en arrière ; mais, après tout, il affirme lui-même n’avoir aucune ambition littéraire. En tout cas, il parle librement de sa vie et de ses passions, notamment pour l’escalade. Il évoque aussi les drames qui ont marqué sa vie de famille. Il parle, avec franchise, de sa peur de la mort et de son absence de foi religieuse. Il ajoute néanmoins :

J’aimerais qu’il existe « autre chose » qui nous dépasse. […] Je ne suis pas croyant, mais je voudrais bien croire en revanche à une sorte de l’immortalité de l’âme (ne me demandez pas de préciser) : à peine serai-je mort que « je » découvrirai que ce n’est pas le trou noir, le néant. Si bien que, dans l’éternité, « je » ne m’ennuierai pas.

 

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, de Paul Veyne, 2014, éditions Albin Michel.

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