14/11/2016
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, de Fritz Lang
Chef-d’œuvre aux allures de bande dessinée
Le Tigre du Bengale
et
Le Tombeau hindou
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sont deux films d’aventures captivants de bout en bout. L’intrigue, racontée en deux épisodes, a un côté feuilletonesque qui accumule les péripéties. Comme dans une bande dessinée, Fritz Lang privilégie le récit aux dépens de la psychologie des personnages. Les critiques de la Nouvelle Vague ont vu un chef-d’œuvre dans ces deux films.
A la fin des années 50, cela faisait plus de vingt ans que Fritz Lang vivait en Amérique. Il avait fui l’Allemagne nazie dans les années trente et s’était installé en Californie au milieu d’autres exilés. Ses films, tels que Docteur Mabuse, Métropolis et M le Maudit, l’avaient déjà rendu célèbre, et la MGM, le plus grand studio d’Hollywood, lui avait ouvert grand ses portes. En Amérique, Fritz Lang réalisa des films noir, des films de guerre, des films d’aventure et des westerns, mais sans retrouver le prestige qui avait été le sien en Allemagne.
Pour se convaincre du semi-échec de sa carrière américaine, il suffit de confronter son parcours à celui de son cadet Hitchcock. Hitchcock, venu d’Angleterre, était arrivé à Hollywood trois ans après Fritz Lang. Il s’était spécialisé dans le suspense, et ses films rencontraient le succès. Dans les années cinquante, ses performances au box-office, combinées à ses passages à la télévision dans la série Hitchcock présente, faisaient du Britannique le cinéaste le plus populaire d’Amérique.
Rien de tel ne s’était produit pour Fritz Lang. Le succès l’avait déserté. En 1955, pour faire oublier ses films noirs considérés – à tort – comme mineurs par la critique américaine, il s’était résolu à entreprendre un grand film d’aventures produit par la MGM. Ce fut Les Contrebandiers de Moonfleet, tournés en couleurs et en cinémascope. Malgré tous les efforts de Fritz Lang, le film ne rencontra pas son public.
Dès lors, le cinéaste se décida à rentrer en Allemagne, libérée du nazisme. Sur place, il fut contacté par un producteur qui se proposa de lui offrir un budget considérable pour sa prochaine réalisation. Fritz Lang décida de tourner Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, un récit en deux épisodes. Il reprit ici un scénario qu’avait écrit dans les années vingt Thea von Harbou, son épouse de l’époque ; un film en avait été tiré, mais Fritz Lang avait regretté de n’avoir pu le réaliser. Le diptyque qu’il comptait tourner serait aussi une manière de rendre hommage à son ex-épouse qui venait de mourir.
L’ampleur de son budget donna à Fritz Lang la possibilité de tourner les extérieurs en Inde et de réaliser les deux films en couleurs. Mais, parce qu’il n’aimait pas le format cinémascope, bon selon lui à filmer les serpents et les enterrements, il resta fidèle au format quasi-carré du 1.33.
Au pays du maharadjah, on jette les traîtres aux tigres
et on sacrifie aisément les serviteurs
L’histoire est celle d’un jeune architecte européen appelé auprès du maharadjah d’Eschnapour pour lui bâtir un palais. L’architecte sauve la vie de Seetha, une jeune danseuse du temple, menacée par un tigre, et tombe amoureux d’elle. Mais le maharadjah convoite la jeune femme. Quand il apprend que les deux jeunes gens se sont enfuis ensemble, il lance son armée à leur poursuite et bouleverse ses plans. Ce n’est plus un palais qu’il entend bâtir, mais un mausolée qui soit une « sépulture digne d’un amour infini, d’un amour perdu, d’un amour à jamais défunt ».
Aveuglé par la perte de la jeune femme, le maharadjah ne voit pas le complot tramé dans l’ombre par son frère aîné, qui estime que le trône lui revient de droit.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sont deux films d’aventures captivants de bout en bout. L’œuvre a un côté feuilletonesque qui accumule les péripéties. Le spectateur tremble pour les deux jeunes héros : menacés par le très inquiétant maharadjah, ils courent un danger permanent. Certaines scènes sont terribles et ont un côté clairement sadique. Au pays du maharadjah, la vie humaine ne compte guère, surtout celle des serviteurs. On les sacrifie aisément, tandis que l’on jette les traîtres aux tigres. A la violence s’ajoute la puissance érotique de certaines scènes, notamment quand Seeta se met à danser avec une sensualité certaine.
Chacun des personnages est mû par un désir unique : celui de posséder Seeta, en ce qui concerne le jeune architecte et le maharadjah ; et la volonté de conquérir le trône, pour ce qui est du frère du maharadjah, qui s’estime dépossédé de son droit d’aînesse. Fritz Lang met au second plan les caractères et privilégie l’enchainement des faits qui conduisent au drame. Son sens du récit, allié à la psychologie sommaire des personnages, donne à l’ensemble des allures de bande dessinée.
Les dialogues ont un côté littéraire et le dépaysement est garanti. L’histoire paraît hors du temps. Le spectateur ne sait pas s’il est dans l’Inde des années vingt ou dans celle des années cinquante. Et surtout, Fritz Lang fait preuve d’une grande maîtrise technique. Même le spectateur à l’œil exercé est bien en peine de distinguer les plans tournés en studio (à Berlin) des extérieurs filmés en Inde.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sortirent en 1959. En Allemagne, la critique fut mauvaise, mais les spectateurs furent au rendez-vous. En France, les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, notamment Jean-Luc Godard et Claude Chabrol, s’enflammèrent pour le film et crièrent au chef-d’œuvre. Le mythe Fritz Lang était en train de naître.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, de Fritz Lang, 1959, avec Debra Paget, Paul Hubschmid, Walter Reyer et Claus Holm, deux DVD Wild Side Video.
08:41 Publié dans Aventures, Film | Tags : le tigre du bengale, le tombeau hindou, fritz lang, debra paget, paul hubschmid, walter reyer, claus holm | Lien permanent | Commentaires (0)
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