24/10/2013
Vatican, le Trésor de saint Pierre, de Malachi Martin
Où mènent les mauvais chemins
Vatican, le trésor de saint Pierre
Vatican, le trésor de saint Pierre est un roman à clefs qui raconte l’histoire secrète de la papauté et des finances de l’Eglise au XXème siècle. L’auteur, un jésuite américain, peut agacer, mais son livre est troublant et fascinant.
Vatican, le trésor de saint Pierre est un livre très épais (plus de 800 pages), dense, touffu, dans lequel il est difficile d’entrer, mais, qui, peu à peu, prend le lecteur et le fascine. L’auteur est un jésuite américain, Malachi Martin, décédé en 1999. Son livre, nous prévient l’éditeur, est une fiction. Mais le lecteur comprend vite que derrière la fiction l’auteur entend nous révéler l’histoire secrète des finances de l’Eglise de 1944 aux années 80, le roman ayant été publié en 1986. Malachi Martin nous explique par quel miracle les millions possédés par le Vatican au lendemain de la seconde guerre mondiale se sont transformés en milliards de dollars quarante ans plus tard ; ce qui a procuré à l’Eglise l'aisance matérielle et a permis aux papes de se faire entendre sur la scène diplomatique mondiale. Selon l'auteur, à l'aube du XXème siècle le Vatican a conclu un pacte secret avec les forces de l'argent, ce qui lui a ouvert les portes des établissements financiers à travers le monde. Ce fut le point de départ de sa fortune. Puis les banquiers de l’Eglise ont déployé des trésors d’habileté pour que l’argent enfante l’argent.
Le succès a été au rendez-vous. Des milliards ont été amassés. Mais, en empruntant un tel chemin, l’Eglise a oublié que la fin ne saurait justifier les moyens. Elle s’est éloignée de ses principes moraux de base et s’est laissée gangréner par l’argent, par Mammon comme le dit l’auteur. Ces dérives ont abouti, en 1982, au scandale de la Banco Ambrosiano, à la mort du banquier Roberto Calvi, retrouvé pendu sous un pont de Londres, et à la mise en cause du « banquier de Dieu » Mgr Marcinkus, président de l’IOR, la banque du Vatican. Evidemment, comme il s’agit d’un roman à clefs, Malachi Martin a changé tous les noms. Roberto Calvi est rebaptisé Roberto Gonella et Mgr Marcinkus devient Mgr Servatius. Mais on ne peut se tromper. C’est d’ailleurs ce qui rend le livre troublant, les noms sont changés mais les caractères ne sont pas modifiés ; et tous les détails de l’affaire, tel en tout cas qu’ils ont été donnés par la presse de l’époque, sont conservés. Le trouble est tel que, par moments, le lecteur a dû mal à savoir où la réalité s’arrête pour laisser la place à la pure fiction.
Malachi Martin ne porte pas dans son cœur le pape Da Brescia
Et puis, il y a le roman dans le roman. Derrière l’histoire des finances du Vatican, Malachi Martin nous raconte une autre histoire, peut-être encore plus passionnante, celle de l’Eglise catholique et de ses transformations au cours du XXème siècle. Là encore les noms ont été changés. Derrière le pape Profumi, on reconnaît Pie XII. Jean XXIII est rebaptisé pape Angelica, Paul VI est devenu pape Da Brescia, Jean-Paul Ier pape Serena et Jean-Paul II pape Valeska. Autant le dire tout de suite, l’auteur ne porte pas dans son cœur le pape Da Brescia et toutes les transformations qu’il a apportées à travers le concile Vatican II. Il a dans le collimateur la notion de peuple de Dieu, qui définit l’Eglise depuis le concile, et se méfie de l’œcuménisme, notamment de l’expression « nos frère séparés ». Il a une dent contre le cardinal Levesque, secrétaire d’Etat du pape Da Brescia (comprendre: le cardinal Villot, secrétaire d’Etat de Paul VI), qui, selon lui, a inspiré les (mauvais) choix du pontificat. En revanche, Malachi Martin ne cache pas sa sympathie pour Mgr Lasuisse (comprendre: Mgr Lefebvre), gardien de la messe en latin. Et il loue le cardinal Wallensky (comprendre: le cardinal Wyszynski), primat de Pologne et mentor de Valeska, pour son opposition aux communistes… et au concile.
On l’aura compris, ce livre peut agacer, irriter, mais il fascine. Et il donne vraiment envie d’en savoir plus, notamment sur le concile Vatican II. En plus, il est d’une brûlante actualité, quand il nous projette dans la curie et nous montre que les carriéristes n’y sont pas absents. Et il dresse une typologie des papes qui reste à méditer :
« L’histoire témoigne que certains papes mettent des années à se roder à l’épuisante conduite de la vaste et complexe machinerie de l’Eglise et du Vatican. Certains papes n’y parviennent jamais et donnent simplement leur bénédiction, pour ainsi dire en passant. D’autres, pleins d’optimisme pour leurs projets, s’aperçoivent qu’ils peuvent changer un joint, tourner un bouton ici ou là, parfois même pousser un petit levier, mais que la grande machine continue de grincer et de tourner lourdement. Très peu d’hommes ont assez de force de caractère pour retrousser leurs manches et prendre toutes les commandes. Quand ils réussissent, ils créent une ère. Quand ils échouent, ils laissent un héritage de ténèbres dans un horrible grincement de rouages. »
Vatican, le trésor de saint Pierre, un livre de Malachi Martin (1986), éditions du Rocher.
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