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13/11/2017

La Belle Equipe, de Duvivier

Film pessimiste sur la classe ouvrière

La Belle Equipe

Trois chômeurs, Gabin en tête, ouvrent une guinguette qu’ils gèrent sous forme de coopérative. Ils réalisent le vieux rêve de nombre d’ouvriers d’être leurs propres patrons. Sans être une œuvre engagée, La Belle Equipe permet de saisir l’esprit du Front populaire. On y retrouve le pessimisme de son réalisateur, Julien Duvivier.

            A l’automne 1935, La Bandera, de Julien Duvivier, sortit dans les salles parisiennes. Pour la première fois, le nom de Jean Gabin, et son nom seul, figurait en haut de l’affiche. Le film eut un succès tel, qu’en quelques semaines Gabin devint l’acteur le plus populaire du cinéma français. Désormais, sa seule présence en tête d’un générique allait suffire à rassurer les producteurs hésitants.

    la belle equipe,duvivier,gabin,vanel,viviane romance,aimos,charpin            C’est dans ce contexte que Duvivier et son scénariste Charles Spaak eurent l’idée de La Belle Equipe, dont ils écrivirent le scénario : trois camarades, ouvriers en chômage, achètent un billet de la Loterie nationale (qui a été instituée récemment) et gagnent le gros lot ; plutôt que de répartir le gain en trois parts, ils décident de s’unir et de mettre la totalité de l’argent dans une entreprise commune. Ils achètent une maison délabrée au bord de la Marne, la restaurent et la transforment en guinguette. En bons camarades, ils gèrent l’établissement sous forme de coopérative, sans qu’il y ait de hiérarchie entre eux. Ils réalisent ainsi le vieux rêve de nombre d’ouvriers d’être leurs propres patrons. Au début, ils débordent d’enthousiasme, tant la fortune semble leur sourire. Mais, au fur et à mesure que les difficultés apparaissent, la solidarité est mise à l’épreuve ; d’autant plus que l’ancienne femme de l’un d’eux s’invite à la guinguette, bien décidée à s’incruster dans le groupe. Elle use de son charme pour briser la fragile harmonie qui règne au sein de la « belle équipe ».

            Ainsi que le raconte André Brunelin dans sa biographie de Gabin, Duvivier soumit son scénario à l’acteur qui aussitôt s’emballa pour le projet. Gabin était lui-même d’origine prolétaire et avait été ouvrier en chômage, si bien qu’il se sentait fait pour le rôle principal (si l’on peut parler de rôle principal, sachant que les trois camarades sont censés être sur un pied d’égalité).

            Une fois Gabin ayant donné son accord, on pouvait supposer que le producteur suivrait sans hésiter, mais il n’en fut rien. Celui-ci traînait les pieds ; car, en tant que producteur, il était aussi patron, et, à ce titre, il ne voyait pas d’un bon œil cette histoire socialisante d’ouvriers s’unissant en coopérative pour échapper à la mainmise de la bourgeoisie. Gabin accepta alors un sacrifice financier qui contribua à lever les réticences du producteur.

Mécontent du résultat,

le producteur exigea que la fin du film fût modifiée

            Le tournage eut lieu au printemps de 1936, au moment même où le Front populaire emportait la victoire aux élections générales. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, La Belle Equipe n’est en rien un film engagé. On n’y trouve aucun message à caractère politique ; il ne contient aucun appel aux masses, ni la moindre allusion à l’actualité (tout au moins à l’actualité politique française). Cependant ce film reflète le climat social de l’époque et les espérances de la classe ouvrière, qui croit aux lendemains qui chantent, tout au moins au début ; car ensuite les choses se gâtent. Au fur et à mesure que l’intrigue progresse, la solidarité s’avère carrément impossible, chacun retombant dans son égoïsme naturel. Ce film est foncièrement pessimiste, à l’image de son réalisateur qui l’était de caractère.

            Duvivier avait donné à son histoire un dénouement dramatique qui déplut fortement au producteur. Celui-ci, après avoir visionné le film, fit part de son mécontentement et exigea de Duvivier qu’il substituât une fin heureuse à la fin dramatique qu’il avait tournée. Assez bizarrement, ledit producteur, qui initialement voyait d’un mauvais œil cette histoire de coopérative ouvrière, voulait maintenant la voir couronnée de succès, du moins dans la fiction. Duvivier modifia donc les dernières minutes du film, et c’est la version « optimiste » qui sortit dans la plupart des salles.

            Malgré la présence de Gabin en haut de l’affiche, le film fut un échec. Seule la chanson Au bord de l’eau, composée par Maurice Yvain et chantée par l’acteur, eut du succès.

            Au début des années 1990, Patrick Brion, grand admirateur de l’œuvre de Duvivier, diffusa les deux versions de La Belle Equipe dans son émission Le Cinéma de minuit, sur FR3. Patrick Brion avait réussi à mettre la main sur une copie du film, sortie en Allemagne, contenant la fin dramatique prévue à l’origine. Depuis le film a été restauré par Pathé dans la version voulue par le réalisateur.

            Par sa personnalité, Jean Gabin domine nettement l’interprétation masculine ; dans le film, on le voit piquer l’une de ses premières colères (ces fameuses colères allaient devenir, avec les années, sa marque de fabrique et finirent par indisposer certains critiques, qui y voyaient du cabotinage). Charles Vanel, alors âgé de quarante-trois ans (soit douze de plus que Gabin), fait figure de vieux au sein du groupe. Quant à Viviane Romance, elle est pleine de sensualité dans son rôle de garce qui fait chuter Gabin.

            Aujourd’hui La Belle Equipe apparaît comme le film permettant le mieux de saisir l’esprit du Front populaire. Sa valeur, tant historique que cinématographique, est considérable.

 

La Belle Equipe, de Julien Duvivier, 1936, avec Jean Gabin, Charles Vanel, Viviane Romance, Aimos et Charpin, DVD Pathé.

17/02/2014

Sous le ciel de Paris, de Julien Duvivier

Vingt-quatre heures au cœur du peuple de Paris

Sous le ciel de Paris

Julien Duvivier offre une plongée d’une journée au cœur de Paris. Pendant vingt-quatre heures des gens simples vont voir leur destin s’entrecroiser et leur vie basculer. Les personnages sont plein de vie, on y entend une célèbre chanson et pourtant le film est sombre

            Pour la postérité, Sous le ciel de Paris est d’abord une chanson qui aura été interprétée par les plus grands : Piaf, Montand, Mireille Mathieu, Claveau, les Compagnons de la chanson… Quelques personnes se souviennent peut-être que ce morceau est tiré d’un film de Julien Duvivier, dont le titre complet, indiqué au générique, est Sous le ciel de Paris coule la Seine.

       sous le ciel de paris,duvivier,brigitte auber,paul frankeur,françois périer,jeanson     Tourné à l’été 1950, le film nous offre une plongée d’une journée dans la vie de la capitale, du lever au coucher du soleil. Ce  ne sont pas les monuments qui intéressent Duvivier, mais les habitants qui font vivre la ville, et de préférence les gens simples. Pendant vingt-quatre heures, nous suivons la destinée d’une jeune fille de province débarquant gare d’Austerlitz ; nous rencontrons son fiancé qui passe ce jour le concours d’internat de médecine à l’Hôtel-Dieu ; au même moment une vieille demoiselle de soixante-et-onze ans cherche dans son quartier de la nourriture pour ses chats ; une petite fille rentre de l’école tremblant de peur à la perspective de montrer à ses parents son médiocre carnet de notes ; un peintre névrosé succombe à ses démons ; quai de Javel, des ouvriers se mettent en grève ; le chanteur Jean Bretonnière leur donne une aubade, il crée la chanson Sous le ciel de Paris à l’intention de l’un des ouvriers dont la famille célèbre l’anniversaire de mariage au cours d’un pique-nique sur les berges de la Seine.

            Pendant vingt-quatre heures nous suivons tous ces personnages dont les destins vont s’entrecroiser. Le soleil est là, Paris resplendit, les personnages sont pleins de vie et les enfants sont gouailleurs. Malgré tout, l’histoire virera au tragique, voire au tragi-comique. Il faut dire que les films de Duvivier sont en général sombres et pessimistes. Ici, Duvivier raconte une histoire qui, par sa noirceur, rappelle un autre de ses films : La Belle Equipe, tourné avec Jean Gabin, en plein Front populaire. On y voyait des ouvriers monter une guinguette et, au final, échouer dans leur entreprise.

            Sous le ciel de Paris a François Périer pour narrateur. Le commentaire, écrit par Henri Jeanson, est plein d’ironie. Son texte peut paraître lourd au premier abord, mais au fur et à mesure que le film avance, le spectateur est pris par les personnages et se demande comment la journée finira pour chacun d’entre eux. Il n’y a pas de vedette dans ce film ; Duvivier avait préféré miser sur des acteurs inconnus. Seuls Brigitte Auber, qui tournera sous la direction d’Hitchcock, et Paul Frankeur feront carrière.

 

Sous le ciel de Paris, de Julien Duvivier (1951), avec Brigitte Auber, Paul Frankeur et la voix de François Périer, DVD René Chateau Vidéo.