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11/10/2016

C'était les Daudet, de Stéphane Giocanti

Une histoire littéraire de la IIIème République

C’était les Daudet

L’histoire de la famille Daudet, telle que la raconte Stéphane Giocanti, se confond avec celle de la IIIème République. Alphonse Daudet devint un écrivain à succès suite à la défaite de 1870. Son fils aîné, Léon, fut d’abord le « fils privilégié de la République », avant d’en être son adversaire en tant que rédacteur en chef de L’Action française. Cependant le réactionnaire Léon Daudet surprit par ses choix esthétiques d’avant-garde.

            Le jeudi 12 février 1891, MM. Jules Ferry, Georges Clemenceau, Victor Schœlcher, Emile Zola, Edmond de Goncourt et bien d’autres hautes personnalités, se retrouvent dans la salle des fêtes de la mairie du XVIème arrondissement de Paris. Ils sont invités à la célébration du mariage de M. Léon Daudet et Mlle Jeanne Hugo. Le fils aîné de l’écrivain Alphonse Daudet épouse la petite fille de Victor Hugo, immortalisée par le poème « Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir ». L’ombre du grand homme, mort six ans auparavant, plane sur la cérémonie. Conformément aux vœux laissés par le défunt, seul un mariage laïc est célébré. Cette journée offre, selon Stéphane Giocanti, « un grand moment de communion officielle en plein âge d’or de la IIIème République, à l’heure où le régime tout entier semble célébrer une stabilité durement acquise. »

                   c'était les daudet,stéphane giocanti     Le livre de Stéphane Giocanti montre l’importance prise par la famille Daudet dans la IIIème République naissante. Au départ, il y eut Alphonse, né en 1840, dans cette Provence à laquelle il resta attaché toute sa vie et qui inspira une bonne partie de son œuvre. En 1857, il monta à Paris rejoindre son frère aîné et devint le secrétaire du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III. Il publia Les Lettres de mon moulin, qui furent saluées par la critique, mais qui, dans un premier temps, ne rencontrèrent pas leur public.

            Le jeune Alphonse était un homme à femmes qui menait une vie de bohème. Sa rencontre avec Mlle Julie Allard allait le corriger. Ils se marièrent en 1867, et, dès lors, Mme Alphonse Daudet décida de faire de son mari un grand écrivain. Leur fils cadet, Lucien, reconnut, bien des années après, l’influence exercée par sa mère sur son père : « Jeune fille aussi belle que cultivée, elle avait décidé que ce bohème fantaisiste […] deviendrait, par sa volonté à elle, un homme rangé, un bon mari, un excellent père et le grand écrivain qu’il allait être. » L’importance prise par Madame dans le couple fut telle, que de mauvaises langues firent circuler la rumeur selon laquelle c’était elle qui écrivait les livres de Monsieur.

            La défaite de 1870 donna aux œuvres d’Alphonse Daudet une résonnance particulière. Tout d’un coup il se trouva en phase avec les préoccupations de la société, et ses livres rencontrèrent de nombreux lecteurs. Dans Les Contes du lundi, Alphonse Daudet annonce, selon Stéphane Giocanti, « le patriotisme qui prévaudra tout au long des années 1880, lorsque l’Etat républicain sera consolidé, mais avec des touches merveilleusement poétiques, ici tendres, ailleurs acérées. » Sur le plan politique, Alphonse Daudet n’était ni royaliste, ni bonapartiste, ni même particulièrement républicain, mais c’était un ardent patriote qui pleurait les provinces perdues. Son conte La Dernière Classe est d’autant plus émouvant qu’il avait lui-même parcouru l’Alsace, sac au dos, avant la guerre.

Léon Daudet imposa Proust, se battit pour Céline,

défendit Gide et s’enthousiasma pour Debussy, puis Picasso

              Dans ce contexte, le fils aîné des Daudet, Léon, devint, selon Stéphane Giocanti, « le fils privilégié de la République ». Il entama des études de médecine, mais les abandonna au bout de quelques années, après avoir échoué au concours d’internat. Il en tira un roman intitulé Les Morticoles, qui se révéla dévastateur pour l’académie de médecine et les mandarins. Comme son père, le jeune Léon n’avait pas d’idées politiques arrêtées. Son mariage avec Jeanne Hugo fut un échec. Ils divorcèrent, puis Léon épousa sa cousine Marthe Allard. N’ayant pas été marié religieusement à Jeanne Hugo, il put épouser sa cousine à l’église. C’est dans les années qui suivirent et sous l’influence de sa nouvelle femme, que Léon revint au catholicisme de sa jeunesse et épousa les idées royalistes. Il rencontra Maurras et devint rédacteur en chef de L’Action française.

          A la tête du journal, Léon Daudet acquit une réputation de royaliste de choc et de pamphlétaire sans merci. Malgré tout, il garda une grande indépendance d’esprit et une liberté totale dans ses choix littéraires, qui purent heurter sa famille politique.

            Son père avait été l’exécuteur testamentaire d’Edmond de Goncourt, mais était mort peu après. En conséquence, c’est Léon qui mit en place l’académie dont les frères Goncourt avaient rêvé. Il en devint le président à la suite d’Huysmans et voulut imposer ses choix. En 1919, il fit campagne pour que le prix Goncourt fût décerné à A la recherche du temps perdu : A l’ombre des jeunes filles en fleur. L’ardent patriote qu’il était, préféra, au lendemain de la Grande Guerre, récompenser l’œuvre de Proust, plutôt que Les Croix de bois, de Dorgelès. Il faut dire que Lucien son frère cadet lui avait fait découvrir Proust, dont il était plus que le confident.

            « Les lettre ne sont point un divertissement de jeunes filles,

et la vraie bibliothèque n’est pas rose. »

            Dans les années 1930, Léon Daudet se battit pour Céline ; mais, cette fois-ci, il échoua ; et le Goncourt alla aux Loups, de Mazeline. Il défendit également Gide, malgré les idées très différentes des siennes que ce dernier professait.

            Conscient que ses choix esthétiques pouvaient déconcerter ses lecteurs, Léon Daudet se justifia en écrivant : « La question morale, en littérature et en art, m’importe peu, alors qu’en pédagogie, je la crois essentielle. » Plus tard, il ajouta : « Les lettre ne sont point un divertissement de jeunes filles ni de frères de lais, et la vraie bibliothèque n’est pas rose. » Stéphane Giocanti salue « la lucidité de son jugement littéraire » et rappelle que Léon Daudet s’intéressait à toutes les formes d’art. Jeune homme, il avait défendu Pelléas et Mélisande, pourtant sifflé à leur création, et avait qualifié Debussy de « musicien de génie ». Parvenu à l’âge mûr, il s’enthousiasma de la même manière pour Picasso.

             C’était les Daudet est un livre touffu, mais riche en enseignements. A travers une grande famille d’écrivains, c’est l’histoire de la IIIème République que Stéphane Giocanti retrace. Léon Daudet mourut en 1942, deux ans après le sabordage de cette république dont il avait été le « fils privilégié ».

 

C’était les Daudet, de Stéphane Giocanti, 2013, éditions Flammarion.