16/06/2014
Fractures françaises, de Christophe Guilluy
La France périphérique contre la France des métropoles
Fractures françaises
Ce livre, publié en 2010, continue d’alimenter le débat sur le devenir de la société française. Le géographe Christophe Guilluy, chiffres à l’appui, oppose deux France : la France des banlieues des grandes métropoles, gâtée depuis plus de vingt ans par la classe politique, et la France périphérique, celle des villes moyennes, sinistrée par la crise et oubliée par les élites. Malgré son caractère polémique, Fractures françaises permet de mieux comprendre la progression électorale du Front national.
Le géographe Christophe Guilluy casse bien des idées reçues concernant les quartiers périphériques des grandes métropoles. En premier lieu, il dénonce la surmédiatisation de la question des banlieues. Depuis plus de vingt ans, la classe politique concentre ses efforts sur les Zus, Zones urbaines sensibles, alors que leurs habitants ne représentent que 7% de la population vivant en France. Guilluy dénonce aussi l’association mentale qui assimile banlieues et jeunes. A la télévision, quand on parle de quartiers périphériques on montre systématiquement des jeunes à l’écran. Or, rappelle Guilluy, la question des banlieues a fait irruption dans le débat national en 1979, avec les émeutes de Vaux-en-Velin, au cours desquelles des voiture furent brûlées. Un jeune de 1979 a aujourd’hui plus de cinquante ans. Brûle-t-il encore des voitures ? Habite-il le même quartier ? se demande Guilluy, qui remet les pendules à l’heure en rappelant que, contrairement à ce que continue de croire la classe politique, les banlieues ne sont pas des fontaines de jouvence ; elles non plus n’échappent pas au papy-boom. Guilluy poursuit en montrant qu’en réalité les quartiers sensibles connaissent des mouvements de population. Ce sont des sas pour les populations nouvellement arrivées en France. Les logements sociaux y sont très recherchés, y compris à la Courneuve. Seulement, les habitants de ces quartiers espèrent en partir le plus tôt possible. Guilluy parle de territoires tremplin.
Plus grave, Guilluy accuse gauche et droite confondues d’avoir réduit la question sociale à la question des banlieues en reprenant la thématique du ghetto à l’américaine. En quelque sorte, la question des banlieues serait devenue « la » question sociale. D’où la politique de discrimination positive qui a vu le jour à Sciences Po Paris. Des places sont réservées aux jeunes issus des « cités », au nom de la diversité. Selon Guilluy, les élites introduisent ainsi insidieusement l’idée que ce sont les jeunes de banlieues qui ont besoin d’être aidés et que, sous-entendu, ces jeunes sont d’origine immigrée. Guilluy rappelle qu’en 2004 Nicolas Sarkozy déclarait : « Le fils de Nicolas et Cecilia a moins besoin d’être aidé par l’Etat que le fils de Mohamed et Latifa. » Guilluy rappelle aussi le propos de Manuel Valls en 2009. Ce jour-là, le maire d’Evry visitait le marché de sa ville en présence d’une caméra, et, à la vue d’une foule bigarrée, déclarait : « Belle image d’Evry » et il ajoutait à l’adresse de son directeur de cabinet : « Tu me mets quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos. » En clair, ce jour-là Manuel Valls assumait que la question des banlieues ne se réduit pas à la question sociale ou à la question urbaine, mais contient aussi une dimension ethnoculturelle.
Selon Guilluy, la France périphérique
devrait être au cœur de la question sociale
Guilluy accuse les élus d’avoir gâté les banlieues des grandes métropoles à coup de millions, et dans le même temps d’avoir oublié la France qu’il qualifie de périphérique, celle des villes moyennes et des zones rurales. Pour les élites, la France populaire, industrielle et rurale a vécu. Pour Guilluy, bien au contraire, cette France n’est pas du tout en voie de disparition et reste majoritaire. Mieux, elle connaît un dynamisme démographique certain. Ainsi, la Mayenne enregistre le taux de fécondité le plus fort de France derrière la Seine-Saint-Denis. Cette France périphérique devrait être au cœur de la question sociale, car elle est sinistrée par les plans sociaux et la pauvreté y est plus importante qu’ailleurs. Guilluy rappelle que le taux de pauvreté est plus fort dans le Cantal, en Corse ou dans l’Aude, qu’en Seine Saint-Denis.
Dans cette France périphérique on trouve beaucoup de foyers appartenant aux classes populaires ou à la classe moyenne inférieure. Ces populations aux revenus modestes ont tendance, par fierté, à refuser d’habiter en logement social. Certains d’entre eux sont des néoruraux, non par choix mais par nécessité. Ils vivent dans des pavillons qui ne sont plus le signe d’une ascension sociale, mais qui témoignent du fait qu’ils sont relégués de plus en plus loin des métropoles dans lesquelles ils n’auraient pas les moyens de vivre. Si le chômage survient, alors ces populations se trouvent de fait assignées à résidence, leur situation nouvelle les empêchant d’emménager, notamment dans les bassins d’emploi des métropoles à l’immobilier hors-de-prix.
Ne craignant pas la polémique, Guilluy s’en prend aux fameux bobos. Cette bourgeoisie de fraîche date habite les métropoles ouvertes à la mondialisation. Guilluy parle de villes-monde, comme Paris, Lyon ou Toulouse. Ces nouvelles élites présentent la mobilité comme une vertu et se veulent elles-mêmes nomades. Elles entendent donner l’exemple en pratiquant le « vivre ensemble ». Le XIXème arrondissement de Paris, avec ses populations mêlées, en serait l’exemple. Les bobos investissent les immeubles anciens des quartiers délaissés. Ils vivent aux côtés de populations d’origines diverses, mais, d’après Guilluy, ils se concentrent dans les mêmes immeubles et s’y coupent du reste du monde, à grand renfort de digicodes et d’interphones.
Les bobos jouent la carte de la mixité scolaire, mais seulement à l’école élémentaire. Dès le collège, ils choisissent soigneusement l’établissement où envoyer leur progéniture. Dans tel collège, le principal sépare les élèves en fonction de leur origine, mais d’une manière indirecte. Il met en place des classes européennes, des classes recevant l’enseignement d’une langue rare, ou des classes réservées aux enfants musiciens. Ainsi, un tri hypocrite serait effectué.
Guilluy dénonce la mondialisation imposée au peuple par les élites. Il soutient que le vote en faveur du Front national est la conséquence de l’inquiétude des classes populaires face à l’insécurité sociale et culturelle résultant de la mondialisation néolibérale. Pour Guilluy, si la classe politique continue de refuser de voir la réalité, alors la situation finira par être ingérable. Il juge même le conflit inévitable.
Fractures françaises est un livre très riche. Guilluy cherche à théoriser une réalité observée, par certains, sur le terrain. Le livre n’est pas toujours facile à lire, mais les exemples sont nombreux et des idées fortes en ressortent. Malgré son caractère polémique, Fractures françaises nourrit le débat et permet de mieux comprendre l’évolution de la société française.
Fractures françaises, de Christophe Guilluy (2010), collection Champs Flammarion.
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