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07/09/2015

Pétain, de Bénédicte Vergez-Chaignon

Du héros de Verdun à l’homme de Vichy

Pétain

Le livre de Bénédicte Vergez-Chaigon est un pavé d’un millier de pages, aux caractères serrés. L’auteur montre comment Pétain a pu, en moins de trois ans, passer du grade de colonel à la fonction de commandant en chef de l’armée française, et comment le vainqueur de Verdun, héros national, a pu se transformer en l’homme de Vichy, chef de l’Etat français et collaborateur avec l’ennemi.

            En ouverture de son livre, la très sérieuse historienne Bénédicte Vergez-Chaignon se livre à un exercice d’uchronie. Elle imagine que Pétain soit mort à la veille de la seconde guerre mondiale, en 1937 ou 1938 :

            « Mort à quatre-vingt-deux ou quatre-vingt-trois ans, le maréchal Pétain aurait été comblé d’honneurs. Ses cendres auraient été transférées à l’ossuaire de Douaumont, parmi les morts de Verdun, selon ses dernières volontés. […] Des rues, des établissements scolaires, des hôpitaux porteraient son nom, sans que personne ne trouve à y redire. Mais, en véritable personnage faustien, Philippe Pétain a acheté ses années de vie supplémentaires au prix de sa gloire et de sa postérité historique. »

  Pétain, Bénédicte Vergez-Chaignon          La lecture de cette biographie permet de mieux comprendre la personnalité de Pétain. Au printemps 1914, âgé de cinquante-huit ans, le colonel Pétain est un officier ordinaire, qui attend que l’heure de la retraite sonne. Il appartient à la génération qui se prépare à la revanche depuis plusieurs décennies. Etant âgé de quatorze ans en 1870, il était trop jeune pour combattre. Il s’apprête donc à partir en retraite sans avoir jamais fait la guerre. Mais, à l’été 1914, la guerre éclate et rebat les cartes.

            L’effectif de soldats mobilisés est tel, que le nombre d’officiers généraux n’est pas suffisant pour encadrer les divisions qui se mettent en place. Le grand quartier général est obligé de puiser dans le vivier des colonels. Ainsi le colonel Pétain est bombardé général et reçoit le commandement d’une division.

            Le 6 septembre 1914, sa division est impliquée dans de violents combats. Le général Pétain pourrait choisir de rester chaudement à l’arrière. Au lieu de cela, il « choisit de montrer l’exemple en se portant en avant de la première ligne, accompagné de quelques officiers », note Bénédicte Vergez-Chagnon, qui poursuit : « Ainsi apparaît l’un des éléments de ce qui constituera sa légende. »

Pétain acquiert une réputation d’organisateur

qui prépare soigneusement ses offensives

            L’ascension de Pétain est fulgurante. Simple colonel en 1914, il reçoit le commandement de l’armée de Verdun en 1916, puis, en 1917, il est nommé commandant en chef des armées du Nord et de l’Est, c’est-à-dire généralissime. Pétain a gagné une réputation d’organisateur, qui lui a permis de se distinguer. Avec lui, rien n’est improvisé, tout est réfléchi. Les offensives ne sont pas lancées prématurément, mais soigneusement organisées. Elles doivent être précédées de reconnaissance aérienne des positions ennemies, et de tirs d’artillerie précis et abondants.

            Pétain s’est aussi acquis la réputation d’être économe du sang des soldats. Bénédicte Vergez-Chaignon insiste cependant sur le fait que c’est par réalisme que Pétain veut en finir avec les percées inutiles et coûteuses en hommes. Ce n’est pas la compassion qui l’anime, car lui-même sait faire preuve de cruauté. Ainsi en Artois, écrit l’auteur, « le général fait ligoter et jeter par-dessus le parapet de la tranchée des hommes qui se sont mutilés volontairement en se tirant dans un membre, les exposant à une mort atroce différée. »

            En 1917, le nouveau commandant en chef Pétain est confronté à une grave crise qui touche l’armée : la guerre s’éternise et les mutineries se multiplient. Pétain fait face et apporte sa réponse : d’un côté il déclenche la répression contre ceux qu’il considère les meneurs et autorise les formes de justice expéditive avec condamnation à mort sans appel ; et d’un autre côté, une fois l’impression de terreur installée dans la troupe, il se préoccupe du quotidien des soldats, en améliorant notamment leur nourriture et leur équipement. Sans nul doute, cette méthode porte ses fruits. Mais, si Pétain redresse effectivement la situation, il n’est pas exagéré de dire que, fort de son succès, sa pensée s’est figée à la suite de Verdun et des mutineries. Dès cette époque, il acquiert la conviction d’avoir eu raison contre tout le monde et d’être le dernier recours pour faire face à une crise morale qui pourrait frapper le pays.

Le président Poincaré est effaré par le pessimisme de Pétain

            Alors que Pétain estime que sa méthode a fait ses preuves, assez curieusement il ne fait pas l’unanimité. Raymond Poincaré, président de la République, est effaré par son pessimisme. Il est vrai que dans presque toutes les situations Pétain, tel un Cassandre, multiplie les mises en garde et prévoit le pire. Ainsi, en cas d’échec, note l’auteur, « on ne pourra pas dire qu’il n’avait pas prévenu. » Clemenceau, président du Conseil, continue d’apporter son soutien à Pétain, mais, quand il s’agit de nommer un chef suprême à la tête des armées alliées, il donne la préférence à Foch. Dans son livre Le Tigre, publié en 1930, Jean Martet, qui fut son secrétaire, rapporte cette confidence que lui fit Clemenceau après la Grande Guerre :

            « A Doullens, je me suis trouvé entre deux hommes, l’un qui me disait que nous étions fichus, l’autre qui allait et qui venait comme un fou et qui voulait se battre. Je me suis dit : « Essayons Foch. Au moins, nous mourrons le fusil à la main. » J’ai laissé cet homme sensé, plein de raison, qu’était Pétain ; j’ai adopté ce fou qu’était Foch. C’est le fou qui nous a tirés de là. »

            Après la victoire de 1918, Pétain est couvert d’honneurs. Elevé à la distinction de maréchal de France, il est maintenu à la tête de l’armée française. En 1922, il a soixante six ans et, déjà, le général Buat, son second, note que le maréchal vieillit et qu’ « il lui arrive d’être embrouillé et peu compréhensible. »

La méthode Pétain en politique internationale

consiste à proposer d’emblée des concessions

pour montrer sa bonne volonté

            Dans les années qui suivent, le maréchal Pétain fait preuve de loyauté vis-à-vis de la République. Loin d’être un militaire factieux, il est au contraire un homme respectueux des institutions. Mais, pessimiste par nature, il voit la guerre approcher et se convainc que la France n’est pas prête. Il est très remonté contre le SNI, le syndicat national des instituteurs, et parle de « l’influence néfaste » qu’exercent certains maîtres sur leurs élèves. En 1934, pour la première fois, il parle de procéder au « redressement moral […] nécessaire au bien du pays. » Un an plus tard, le journal La Victoire lance l’appel : « C’est Pétain qu’il nous faut. »

            En mars 1939, Pétain est nommé ambassadeur à Madrid, auprès du gouvernement franquiste. Face au risque de guerre avec l’Allemagne, Pétain a pour mission d’obtenir la neutralité de l’Espagne. Cette ambassade sert de laboratoire à sa méthode en matière de relations internationales. A Madrid, Pétain rencontre Franco et cède à toutes ses demandes. Il s’agit, selon Bénédicte Vergez-Chaignon, de « proposer d’emblée des concessions, y compris majeures, pour montrer sa bonne volonté, demander ensuite que le partenaire, rival ou adversaire, agisse de même, être prêt à de nouvelles concessions si la première passe n’a pas abouti. En somme, une politique du toujours plus faible au toujours plus fort […]. » Cette méthode que Pétain utilise face à Franco, il la reproduira face à Hitler et se lancera dans la politique de collaboration avec l’Allemagne.

            En mai 1940, l’armée allemande envahit la France. Pétain est rappelé en France et entre au gouvernement. Devenu vice-président du Conseil, il est accablé par la débâcle et parle d’ « affreuse épreuve ». Il porte sa part de responsabilité, lui qui, quelques années auparavant, jugeait le massif des Ardennes infranchissable par l’armée ennemie. Pourtant, en juin 1940, Pétain apparaît comme le recours. Il ne croit plus du tout à un renversement de la situation militaire et se résigne à un armistice. Il veut le signer le plus tôt possible, de façon à ce qu’il soit assez avantageux. Selon l’auteur, « non seulement il pense que l’armistice préserve un avenir […], mais il pense être le mieux – le seul – pour en tirer quelque chose. » L’armistice signé, il fait voter une loi, le 11 juillet 1940, qui lui accorde les pleins pouvoirs, mais dans le cadre de la République. Dès le lendemain, un acte constitutionnel, outrepassant la loi votée la veille, fait de lui le chef de l’Etat et abolit la République.

            La seconde partie du livre est essentiellement consacrée aux quatre années passées par Pétain à la tête de l’Etat français. Très détaillée, elle intéressera surtout les spécialistes. En revanche, les 400 premières pages, sur Pétain avant Vichy, peuvent être lues par un public assez large.

 

Pétain, de Bénédicte Vergez-Chaignon, 2014, éditions Perrin.

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