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09/05/2016

Alstom, scandale d'Etat, de Jean-Michel Quatrepoint

Les secrets du dépeçage d’Alstom

Alstom, scandale d’Etat

(dernière liquidation de l’industrie française)

Jean-Michel Quatrepoint a enquêté sur la vente à la sauvette de la branche énergie du groupe Alstom. Il accuse les autorités françaises d’avoir bradé un bijou de famille, privant le pays de la maîtrise d’une activité stratégique. Selon lui, General Electric a été choisi comme repreneur pour des raisons inavouables.

            Après Péchiney, Arcelor, Lafarge et Alcatel, la France a perdu Alstom Energie, qui a été vendue aux Américains en 2015. Dans Alstom, scandale d’Etat, Jean-Michel Quatrepoint tire la sonnette d’alarme : année après année, la France se désindustrialise, elle perd ses fleurons les uns après les autres, ses dirigeants vendant les « bijoux de famille » dans l’indifférence générale. Selon lui, la vente à General Electric de la branche énergie d’Alstom constitue un cas d’école d’autant plus grave que la France se prive ainsi de la maîtrise d’une activité stratégique :

Dans la concurrence économique mondiale, ne pas être maître de sa filière énergétique va être un rude handicap. Voilà pourquoi la vente, à la sauvette, d’Alstom est une affaire d’Etat. Et les conditions de cette cession un scandale d’Etat. Car il était possible de faire autrement, voire de négocier des accords plus équilibrés.

    Alstom, scandale d'Etat, Jean-Michel Quatrepoint        Jean-Michel Quatrepoint remonte aux heures glorieuses de l’industrie française. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, Alsthom (avec un « h », à l’époque) était une filiale de la toute puissante CGE, Compagnie générale d’électricité. Ce vaste conglomérat était l’une des plus grosses entreprises au monde, valeur vedette du CAC40, l’une des fiertés de la France. La CGE était leader mondial des télécommunications et numéro un des câbles électriques. Dans cet empire, outre Alsthom, on trouvait Alcatel, Cegelec, les Câbles de Lyon, les Chantiers de l’Atlantique et même une branche médias avec L’Express et les Presses de la Cité. Rebaptisé Alcatel-Alsthom au début des années quatre-vingt-dix, le groupe a alors fière allure. Mais les apparences sont trompeuses. Son patron historique, Ambroise Roux, « grand maître de l’industrie française », n’a pas préparé l’avenir, il n’a pas vu venir la révolution numérique, qui va tout balayer sur son passage. Alcatel-Alsthom vit sur des acquis et n’est pas armé pour affronter le déferlement de la téléphonie mobile et de l’Internet. Pour trouver les milliards nécessaires au développement des activités de télécommunications, le groupe vend Alsthom (qui perd son « h » à cette occasion) et l’introduit en bourse, en 1999.

            Devenu un groupe indépendant, Alstom possède deux activités différentes : les transports, avec notamment la fabrication des rames TGV, et l’énergie. C’est dans l’énergie qu’Alstom décide de se renforcer en entamant une politique d’acquisition, coûteuse et risquée. Pour éviter la catastrophe - en clair, la faillite -, Patrick Kron est appelé à la rescousse. Ce major de Polytechnique est nommé PDG. Son ancien patron, Louis Gallois, le dit « extraordinairement intelligent, travailleur et doté d’un humour caustique. » Dans sa tâche de redressement d’Alstom, Patrick Kron est soutenu par Nicolas Sarkozy, ministre de l’économie et des finances, qui arrive à « tordre le bras » aux banquiers, de telle sorte qu’ils acceptent une restructuration de la dette du groupe.

            En 2004, Alstom est sauvé, du moins en apparence.

L’arrestation aux Etats-Unis d’un cadre d’Alstom

fait l’effet d’une bombe parmi les dirigeants du groupe

            Pendant ce temps, aux Etats-Unis, le DoJ (Department of Justice) enquête sur une affaire de corruption. Alstom est soupçonné d’avoir versé une commission pour obtenir un (petit) marché en Indonésie. Dans un premier temps, les dirigeants du groupe ne s’inquiètent pas, à l’image des dirigeants de BNP-Paribas impliqués dans une autre affaire. Tout change en 2013, quand un cadre supérieur d’Alstom en voyage aux Etats-Unis est arrêté par la police. Son arrestation et les conditions de sa détention font l’effet d’une bombe à Paris. Les dirigeants d’Alstom comprennent que le groupe est menacé d’une lourde amende et qu’eux-mêmes risquent la prison. Dès lors, il faut réagir, avant que l’étau ne se resserre trop.

            Dans son livre, Jean-Michel Quatrepoint se fait très clair. Il affirme que Patrick Kron s’est décidé à vendre l’activité énergie, moins pour désendetter le groupe que pour payer la lourde amende à laquelle la justice américaine ne manquerait pas de le condamner. Quatrepoint va plus loin en affirmant que, dès le début, le choix de Patrick Kron s’est porté sur General Electric, dans l’espoir d’obtenir l’indulgence du Department of Justice. L’auteur cependant porte un jugement nuancé sur les faits :

S’imaginer qu’il y a une relation directe, une concertation entre le DoJ et les grandes entreprises américaines serait une absurdité. La séparation des pouvoirs est l’un des principes de la Constitution américaine. Toutefois, rien n’empêche, dans les difficultés et face à l’adversité, de préférer se vendre à un groupe américain ayant pignon sur rue, dont l’entregent pourrait faciliter un arrangement avec la justice du pays.

            Dès lors, les choses sont jouées. Jean-Michel Quatrepoint se fait d’autant plus accusateur que, selon lui, Patrick Kron n’a pas profité de l’offre concurrente formulée par l’Allemand Siemens pour « faire monter les enchères » et obtenir de General Electric qu’il améliore son offre. Jean-Michel Quatrepoint montre également comment le sommet de l’Etat, François Hollande en tête, a laissé faire.

Quatrepoint accuse la classe politique et médiatique

de se focaliser sur le sociétal et le compassionnel,

impuissante qu’elle est à traiter des vrais sujets

            Par désintérêt et par manque de compétences, le gouvernement français a été complètement dépassé par les événements. Jean-Michel Quatrepoint reproche aux hommes politiques d’être plus à l’aise dans les dossiers dits « sociétaux » que dans les dossiers de politique industrielle. Il parle de « d’une classe politique – et médiatique- focalisée sur le compassionnel et le sociétal, impuissante qu’elle est à traiter des vrais sujets et à influer sur le cours du monde. » Certes, dans ce dossier, le gouvernement a sauvé les apparences en obtenant la constitution de co-entreprises détenues à la fois par General Electric et par Alstom. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, General Electric y sera majoritaire et contrôlera les finances, Alstom apportant ses compétences techniques, tant recherchées par les Américains. Et ce sont eux qui contrôleront Arabelle, l’une des turbines les plus sûres au monde, qui doit équiper les centrales nucléaires de type EPR.

            Quatrepoint précise que ce sont en fait les contrats de maintenance détenus par Alstom que General Electric convoitait :

Dans l’énergie, on ne gagne pas d’argent sur la vente d’une centrale ou d’une turbine, ni sur celle de tous les équipements qui leur sont associés, mais sur la maintenance, le service après-vente. […] En achetant Alstom Energie, General Electric acquiert une base de clients captifs.

            Alstom se retrouve aujourd’hui réduit à sa branche transports. Or les marges sont faibles dans cette activité, beaucoup moins rentable que l’énergie. Et la concurrence y est de plus en plus forte. Les Chinois, après avoir « volé » la technologie Siemens, sont attendus sur le marché et pèsent quatre fois plus lourd qu’Alstom. Quatrepoint entrevoit déjà un scénario inéluctable se dessiner : la vente de ce qui reste d’Alstom à un concurrent, probablement Siemens.

 

Alstom, scandale d’Etat, de Jean-Michel Quatrepoint, 2015, éditions Fayard.

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