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22/05/2017

La Porte étroite, de Gide

Le piège de la vertu

La Porte étroite

Une jeune fille s’efforce de mettre en pratique les paroles du Christ en plaçant la vertu au centre de sa vie. Elle se réfugie dans l’exaltation, oublie les joies terrestres, fait languir son fiancé et finit par se dessécher. Dans La Porte étroite, Gide met en garde contre l’héroïsme inutile, qui constitue un dévoiement du christianisme.

            « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », telles sont les paroles du Christ, rapportées par saint Luc, qui servent de base au récit de Gide. Un jour, au temple, le narrateur, Jérôme Palissier, qui appartient à une famille de la bourgeoisie protestante, entend son oncle pasteur commenter ce verset à l’occasion de son prêche dominical. Selon lui, la multitude des hommes prend un chemin spacieux et une porte large qui mènent à la perdition, alors que, enseigne le Christ, « étroite est la porte et resserrée est le chemin qui conduisent à la Vie, et il en est peu qui la trouvent. » Ces dernières paroles raisonnent dans les oreilles de Jérôme, alors âgé de quatorze ans. Il décide qu’il sera parmi les rares élus qui passent par la porte étroite.

         la porte étroite,gide   Jérôme aime sa cousine Alissa Bucolin, âgée de seize ans. Or cette fille est un être exigeant, qui elle-même recherche la vertu. Jérôme la compare à cette « perle de grand prix » dont parle l’Evangile. Elle pourrait être celle qui lui montre la route pour aller vers Dieu. C’est ainsi que, quand Jérôme passe la porte de la chambre d’Alissa, il y voit la porte étroite évoquée par saint Luc. Mais le comportement du garçon est-il pur ? Compte-t-il vraiment sur Alissa pour aller vers Dieu, ou ne prétend-il pas chercher Dieu afin de cheminer avec Alissa ?

            Jérôme entrevoit un « immense bonheur » dans la vie commune qu’il pourrait mener avec la jeune fille, mais il n’ose pas lui faire de demande tant que les conditions optimales ne sont pas réunies.

            Les années passent, et, à chaque fois que Jérôme fait un pas en direction d’Alissa, celle-ci trouve un prétexte pour se dérober. Dans un premier temps, elle le fait lanterner en lui faisant comprendre que le « contentement plein de délices » qu’il lui propose n’est pas suffisant. Puis, au fil des pages, elle dévoile sa véritable nature.

Gide reprend à son compte

la mise en garde de Bossuet au Grand Dauphin

            En vérité, Alissa se complaît dans la recherche de la vertu. Un jour, dans une lettre, elle s’en explique à Jérôme et lui écrit que ce n’est pas le bonheur qu’elle souhaite, mais l’« acheminement vers le bonheur ». Cette fille est tellement éprise de pureté qu’elle ne veut surtout pas pratiquer la vertu dans la perspective d’obtenir la « félicité », car cela voudrait dire, précise-t-elle, qu’elle pratique la vertu pour la récompense qu’elle en espère. Elle écarte toute espèce de troc qui la verrait échanger la sainteté sur terre contre la félicité dans le ciel. Elle le déclare à Jérôme : « C’est par noblesse naturelle, non par espoir de récompense, que l’âme éprise de Dieu va s’enfoncer dans la vertu. »

            Alissa s’enferme dans le mysticisme et l’exaltation. Elle finit par repousser Jérôme au motif que la route enseignée par le Seigneur est une route « étroite à n’y pouvoir marcher deux de front. » Dans son esprit de mortification, elle se prive de toute joie et de tout plaisir terrestres, et finit par se dessécher. Son rêve, dit-elle, est « monté si haut que tout contentement humain l’eût fait déchoir. »

                       Alissa est tombée dans le « piège de la vertu » et entend y faire tomber à son tour Jérôme, qui reste sans défense. Elle pratique la vertu uniquement pour y trouver une forme de noblesse, sans se soucier de savoir si cet héroïsme exalté aidera son prochain. Sa vertu est complètement stérile.

            Après la publication de La Porte étroite, Gide qualifia l’héroïsme d’Alissa d’« absolument inutile ». Il rappela que Bossuet, dans ses leçons au Grand Dauphin, le mettait en garde contre ces « penchants de l’âme » et ces « maximes de faux bonheur, qui ont fait périr tant de monde parmi nous… » Gide reprit à son compte cet avertissement et conclut qu’il gardait toute sa valeur, son roman servant d’illustration à la leçon de Bossuet.

            Comme dans La Symphonie pastorale, Gide met en garde, non contre la religion elle-même, mais contre une interprétation personnelle et dévoyée de ses préceptes.

 

La Porte étroite, d’André Gide, 1909, collections Le Livre de Poche (épuisé) et Folio.

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