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02/11/2020

Sur la scène internationale avec Hitler, de Paul-Otto Schmidt

Témoignage unique sur le IIIe Reich

Sur la scène internationale avec Hitler

Paul-Otto Schmidt fut l’interprète personnel de Hitler. Il fut le témoin d’entretiens que le dictateur allemand eut avec Mussolini, Chamberlain, Pétain… Il fait le portrait d’un Hitler moins sûr de lui qu’on ne pourrait le croire. Le dictateur veut avoir sa guerre, mais à condition qu’elle soit menée contre un ennemi facile à abattre.

             Quand Hitler accéda à la chancellerie du Reich, Paul-Otto Schmidt était interprète au ministère des Affaires étrangères, communément appelé la Wilhemstrasse, du nom de la rue où étaient situés les bureaux dudit ministère. Dans le courant de l’année 1935, Hitler eut besoin d’un interprète pour une conversation prévue avec le ministre britannique des Affaires étrangères. L’un de ses collaborateurs lui cita alors le nom du Dr Schmidt, réputé pour maîtriser parfaitement l'anglais, ainsi que le français. Quand Hitler apprit que ce fonctionnaire avait travaillé à Genève auprès de la SDN (Société des nations), il fut d’abord réticent à faire appel à lui ; puis il accepta de le prendre à l’essai. Non seulement l’essai fut concluant, mais Hitler fut vivement impressionné par les capacités de Schmidt, si bien qu’il le félicita en ces termes : « Vous vous êtes remarquablement acquitté de votre tâche. Je ne soupçonnais pas qu’il pût exister un tel art de la traduction. Jusqu’ici, j’avais dû m’arrêter à chaque phrase pour qu’on pût traduire. » Hitler fut si satisfait de Schmidt qu’il décida d’en faire son interprète personnel ; c’est ainsi que celui-ci assista aux rencontres du chancelier allemand avec des personnalités telles que Mussolini, Franco, Llyod George, Chamberlain, Eden, le duc de Windsor, Daladier, Pétain, Laval, Darlan… Dans bien des cas, Schmidt fut seul témoin de ces entretiens au cours desquels il servait d’interprète aux deux parties. D’où une neutralité voulue de sa part, l’interprète n’ayant pas à prendre partie ou à montrer ses sentiments, mais se devant de traduire les propos tels qu’ils sont tenus.

      sur la scène internationale avec hitler,paul-otto schmidt      L’impartialité voulue à laquelle prétend Schmidt le conduit à porter un jugement nuancé sur les hommes et les événements. Au cours des années, il est parvenu à découvrir les différents visages du dictateur. Il y a d’abord le Hitler qui sait user de ses charmes pour dire à son interlocuteur ce qu’il a envie d’entendre. Le récit de sa conversation avec Llyod George (Premier ministre du Royaume-Uni en 1918) est hallucinant : Hitler lui serre la main en lui disant que pour les Allemands c’est lui, Llyod George, qui est le véritable vainqueur de la Grande Guerre ; et l’ancien Premier ministre britannique repart enthousiaste, en déclarant à Schmidt à propos de Hitler : « C’est vraiment un grand homme ! » Au cours de nombre d’entretiens diplomatiques, Hitler se montre un négociateur calme et courtois, qui s’exprime avec adresse et intelligence, loin du nazi farouche que dépeint la presse anglaise. Mais, à plusieurs reprises, en face de ses visiteurs, Schmidt le voit, sans transition, céder à des explosions de violence verbale. « On l’eût dit devenu un autre homme », note Schmidt. Puis sa colère, feinte ou simulée, retombait, et il redevenait aussi calme qu’il l’avait été avant l’incident.

Hitler parlait 80 à 90 pour 100 du temps,

et c’était seulement tout à fait à la fin

que Mussolini pouvait prononcer quelques mots

            Hitler se plaisait à rester dans les généralités et détestait que son interlocuteur le poussât à préciser sa pensée. « C’est un fait, écrit Schmidt, que j’ai pu constater bien des fois en travaillant pour lui. Il préférait les développements généraux, les grandes lignes, les perspectives historiques et les vastes considérations philosophiques. Il évitait le plus souvent les détails concrets, car, en les abordant, il eût pu être conduit à trahir trop nettement ses véritables intentions. »

            Aux dires de Schmidt, Hitler avait la même attitude à l’égard de Mussolini. Il était avare de détails face à son allié et se gardait bien de lui dévoiler ses plans d’invasion, préférant le mettre devant le fait accompli. Bien que Mussolini comprenait l’allemand, Schmidt assistait à ses entretiens avec Hitler et traduisait en français les propos du chancelier. Schmidt souligne qu’au cours de ces rencontres Hitler monopolisait la parole : « Ces entretiens ne furent jamais des conversations au véritable sens du mot. Il vaudrait mieux les appeler des monologues de Hitler, pour bien préciser, car le dictateur allemand absorbait 80 à 90 pour 100 du temps, et c’était seulement tout à fait à la fin que Mussolini pouvait prononcer quelques mots. »

Lorsque, en 1936, il décida de remilitariser la Rhénanie,

Hitler eut très peur d’une réaction de la France,

mais elle ne vint pas

            Il serait facile pour nous, près d’un siècle plus tard, de réécrire l’histoire à la lumière de ce qui est advenu ; néanmoins, à lire Schmidt, il était encore possible, en 1936, d’arrêter Hitler à moindre frais. A cette date, le dictateur décida de faire entrer les troupes allemandes en Rhénane, violant ainsi le traité de Locarno qui en faisait une zone démilitarisée. Il eut alors très peur d’une réaction de la France, mais elle ne vint pas, et il en fut extrêmement soulagé. Même pendant la guerre, Hitler revint, en présence de Schmidt, sur cet épisode et déclara à plusieurs reprises : « Si les Français avaient alors avancé, nous eussions dû nous retirer avec notre courte honte, car les forces militaires dont nous disposions étaient insuffisantes même pour tenter une résistance modeste. »

            Devant ses interlocuteurs Hitler se faisait facilement menaçant, notamment face à Chamberlain venu le rencontrer à Berchtesgaden à l’été 1938, en pleine crise des Sudètes. Le dictateur lui déclara sans ambages : « Dans très peu de temps, j’aurai réglé cette question, de ma propre initiative, d’une manière ou d’une autre. ». Schmidt traduisit la dernière expression par « one way or another », Le Premier ministre britannique comprit aussitôt que Hitler n’excluait pas l’usage de la force et réagit vivement en disant que dans ces conditions sa présence était devenu inutile à Berchtesgaden et qu’il ne lui restait plus qu’à rentrer à Londres. Alors, à la grande stupéfaction de Schmidt, « l’inattendu se produisit, Hitler battit en retraite » A la veille de ce qui sera appelé les Accords de Munich, Hitler consentit, au dernier moment, à négocier ; ce revirement conduit Schmidt à avoir ce commentaire : « J’eus alors […] l’impression que Hitler s’effrayait devant les conséquences extrêmes. »

A l’annonce de la déclaration de guerre de l’Angleterre,

dont Schmidt lui fait part,

Hitler demeure pétrifié

            De la lecture de ce livre il ressort que Hitler voulait avoir sa guerre, mais une guerre localisée, contre la Pologne, un ennemi facile à écraser. A l’été 1939, Ciano, ministre italien des Affaires étrangères, visita Hitler au Berghof et le mit en garde contre un risque de réaction des puissances occidentales en cas d’invasion de la Pologne. Dans son récit, Schmidt écrit qu’il entend encore la phrase que prononça Hitler à cette occasion : « Je suis persuadé, dur comme fer, que ni l’Angleterre, ni la France n’entreront dans un conflit général. »

            Le 31 août, la Wehrmacht entre en Pologne. Le 2 septembre, l’ambassadeur de Grande-Bretagne en Allemagne appelle la chancellerie et demande à être reçu, le lendemain à 9 heures, par Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, afin de lui faire part d’une communication en provenance de Londres. Ribbentrop comprend que la communication n’aura rien d’agréable et qu’il s’agit probablement d’un ultimatum. Malgré la gravité de la situation, il se défile et ordonne à Schmidt de recevoir à sa place l’ambassadeur. Le lendemain, un dimanche, à 9 heures précises, c’est donc Schmidt, interprète au ministère des Affaires étrangères, qui reçoit l’ambassadeur britannique, lequel lui remet un ultimatum qui équivaut à une déclaration de guerre de son pays. Aussitôt Schmidt se rend à la chancellerie où l’attend Hitler  et lui traduit l’ultimatum remis par la Grande-Bretagne. Schmidt décrit la réaction du dictateur : « Hitler restait comme pétrifié, regardant droit devant lui. […] Il resta complètement silencieux et immobile à sa place. Au bout d’un moment, qui me parut une éternité, il se tourna vers Ribbentrop qui était resté comme figé, à la fenêtre. " Et maintenant ? " demanda Hitler à son ministre des Affaires étrangères, avec un éclair de fureur dans les yeux, comme s’il voulait exprimer que Ribbentrop l’avait faussement informé sur la réaction des Anglais. Ribbentrop répondit à voix basse : " Je présume qu’au cours des heures prochaines, les Français vont nous apporter un ultimatum équivalent. " » Sur ce point Ribbentrop eut raison, puisque, peu de temps après, la France remit à son tour un ultimatum aboutissant à un état de guerre.

            Malgré le déclenchement des hostilités, Hitler eut encore besoin des services de Schmidt. Il assista notamment à la signature de l’Armistice avec la France, à Rethondes, en juin 1940, et servit d’interprète lors de l’entrevue avec Pétain, à Montoire, quelques mois plus tard.

            Schmidt eut quelques ennuis à la fin de la guerre, car, lors de son arrestation, il était revêtu d’un uniforme SS : selon lui, Hitler, qui ne voulait plus le voir en civil, l’avait obligé à enfiler une telle tenue. Il est vrai que, comme l’écrit l’auteur, « dans le IIIe Reich, un uniforme n’était qu’un costume de figurant », tant les Allemands, sous le nazisme, était devenu un  peuple en uniforme.

            Schmidt, qui déclare ne pas avoir été nazi, tire une leçon de tous ces événements et se dit convaincu que la catastrophe qui se produisit fut rendue possible parce que l’Allemagne s’était éloignée des lois morales, essentiellement chrétienne. « J’ai constaté, au cours de ma carrière, écrit-il, que les hommes d’Etat et les peuples qui s’écartent de ces principes sont finalement conduits à la catastrophe, quelques trompeurs que puissent être des succès initiaux, remportés pendant une période plus ou moins longue. »

            Le témoignage de Paul-Otto Schmidt constitue un document de première importance pour comprendre les coulisses du IIIe Reich. Il fait le portrait d’un Hitler moins sûr de lui qu’on ne pourrait le croire, prêt à reculer quand il est acculé. Hitler veut avoir sa guerre, mais à condition qu’elle soit menée contre un ennemi facile à abattre.

            Dans l’édition française de ce livre publiée en 1950, Schmidt salue la mise en place du plan Schuman, créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier ; il écrit : « j’attends l’avenir avec confiance ».

 

Sur la scène internationale avec Hitler, de Paul-Otto Schmidt, 1950, éditions Perrin.

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