06/03/2017
La Peau de chagrin, de Balzac
Récit fantastique et scientifique
La Peau de chagrin
Le jeune Raphaël de Valentin acquiert, chez un antiquaire, une peau de chagrin qui accomplit tous ses désirs. Mais dès qu’un souhait est satisfait, la Peau décroît en même temps que les jours de son propriétaire. Esprit rationnel, Raphaël ne comprend pas ce qui lui arrive, à une époque où la science est censée tout expliquer. La force du roman de Balzac est de mêler le fantastique et le scientifique.
Dans son livre Boussole, prix Goncourt 2015, Mathias Enard évoque La Peau de chagrin et publie le fac-similé d’une page de l’édition de 1834 du roman de Balzac. La reproduction contient la sentence inscrite sur la peau de chagrin achetée par le héros chez un antiquaire. Mathias Enard fait observer que le texte est écrit en arabe, ce qui le conduit à insister sur cette singularité : Balzac, réputé pour être le peintre des mœurs de la société française, s’est donc intéressé à l’Orient. Mieux, il fut le premier romancier français à publier un texte en arabe.
Au début du récit, le héros, Raphaël de Valentin, vingt-six ans, est au bord du suicide. Jeune homme pauvre, il se qualifie lui-même de « véritable zéro social, inutile à l’Etat, qui n’en avait aucun souci ». Désespéré, il erre dans les rues de Paris. Passant devant un antiquaire, il entre dans la boutique. Après avoir exposé sa situation au marchand, un vieillard aux « yeux verts », celui-ci lui tient cet étrange propos sur la vie et la mort :
L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort : VOULOIR et POUVOIR. Entre ces deux termes de l’action humaine, il est une autre formule dont s’emparent les sages et je lui dois le bonheur de ma longévité. VOULOIR nous brûle et POUVOIR nous détruit, mais SAVOIR laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme.
Il tend alors à Raphaël une peau de chagrin, et déclare :
Ceci est le POUVOIR et le VOULOIR réunis.
Conformément à l’inscription qu’elle contient, la Peau de chagrin promet d’accomplir les moindres désirs de son propriétaire. Mais l’inscription prévoit cette contrepartie : « A chaque vouloir je décroîtrai comme tes jours. » Raphaël se laisse tenter et achète la Peau.
Dès sa sortie de la boutique, il croise des camarades partis à sa recherche pour lui confier les rênes d’un journal qu’ils envisagent de fonder. « Quoiqu’il lui fût impossible de croire à une influence magique, écrit Balzac, il admirait les hasards de la destinée humaine. » Le soir même, un notaire se présente à Raphaël et l’informe que, suite au décès d’un lointain parent, il va toucher un héritage de six millions. Aussitôt, le jeune homme pâlit. La Peau de chagrin a décru. En l’achetant, il a conclu un pacte avec une force occulte.
Cette histoire a priori invraisemblable
a lieu à une époque où tout s’explique,
où la police traduirait un nouveau Messie devant les tribunaux
et soumettrait ses miracles à l’Académie des sciences
Le roman mêle étroitement le fantastique et le scientifique, ce qui lui donne sa force. Balzac insiste sur le fait que cette histoire a priori invraisemblable a « lieu dans Paris, sur le quai Voltaire, au dix-neuvième siècle, temps et lieu où la magie devrait être impossible. » Raphaël ne comprend pas ce qui lui arrive, il est un esprit rationnel représentatif de son temps qui est, précisément, encore celui de Voltaire ; il n’admet pas que sa vie puisse être menacée par une simple peau « à une époque où tout s’explique, où la police traduirait un nouveau Messie devant les tribunaux et soumettrait ses miracles à l’Académie des sciences. »
Le jeune homme reste convaincu que la science peut résoudre le mystère de cette peau qui rétrécit. Il visite des savants : d’abord un zoologiste, puis un physicien, puis un chimiste ; il leur demande de rendre à la Peau sa dimension initiale ; mais rien n’y fait, la science est impuissante à expliquer ce phénomène qui demeure surnaturel.
Au début de l’histoire, Raphaël était sur le point de se suicider, il était prêt à abréger ses jours tant qu’il gardait, jusqu’au dernier moment, la liberté de renoncer à son projet. Mais maintenant que l’échéance ne dépend plus de son libre arbitre, il a radicalement changé de point de vue : il a peur de mourir.
Peu à peu, alors que la fortune ne cesse de lui sourire, Raphaël fuit ses désirs et ne se préoccupe plus que de sa propre conservation. Il a tellement peur de raccourcir sa vie qu’il fuit la vie en société. Ainsi il se promet « de ne plus jamais regarder aucune femme » et s’enferme dans son hôtel particulier. Quand il reconduit un visiteur venu exprimer une sollicitation, il le raccompagne en lui déclarant aimablement : « Je souhaite bien vivement que vous réussirez… » Or cette simple formule de politesse creuse, qui n’engage à rien, suffit à raccourcir la Peau de chagrin ! Désespéré, Raphaël se résout à se procurer de l’opium pour se plonger dans un sommeil factice, car, dit-il, « dormir, c’est encore vivre. » Pour prolonger sa vie, Raphaël fuit la vie.
La Peau de chagrin fut l’un des premiers succès de Balzac
Dans son roman, Balzac rend hommage au naturaliste Cuvier. Même si plus tard il prit, avec raison, le parti de Geoffroy Saint-Hilaire dans le débat l’opposant à Cuvier, Balzac fut un grand admirateur de celui-ci : dans La Peau de chagrin, il le qualifie de génie et de « plus grand poète de notre siècle ». Cuvier avait mis en évidence les couches superposées de civilisations fossilisées. L’observation de ces mondes disparus et réduits à l’état de cendres entassées, conduit Balzac à cette réflexion solennelle sur le sens de l’existence et sur LE TEMPS :
Nous nous demandons, écrasés que nous sommes sous tant d’univers en ruine, à quoi bon nos gloires, nos haines, nos amours : et si, pour devenir un point intangible dans l’avenir, la peine de vivre doit s’accepter ? Déracinés du présent, nous sommes morts jusqu’à ce que notre valet de chambre entre et vienne nous dire : « Madame la comtesse a répondu qu’elle attendait Monsieur ! »
Publiée en 1831, La Peau de chagrin fut l’un des premiers succès de Balzac, son « premier vrai roman », considérait Stefan Zweig. Pourtant on ne conseillera peut-être pas au lecteur désireux d’entrer dans son œuvre, de commencer par ce livre. De nos jours, il est publié dans une édition contenant seulement trois chapitres : Le Talisman, La Femme sans cœur et L’Agonie. Or La femme sans cœur, largement autobiographique, peut s’apparenter à une digression, ou tout au moins à un roman dans le roman, et ce en dépit de toutes les exégèses savantes faites sur le personnage de Fédora qui en est le centre ; et surtout ce chapitre deux contient un paragraphe totalisant plusieurs dizaines de pages à lui seul. Le texte ainsi présenté manque d’aération et paraît indigeste. On peut déplorer que, par excès de purisme, il n’existe plus, comme ce fut le cas jusque dans les années 1980, une édition de La Peau de chagrin reprenant les courts chapitres du feuilleton tel qu’il fut publié dans la presse, ce qui rendrait la lecture plus aisée.
En dépit de ces réserves, il n’en demeure pas moins que La Peau de chagrin est un roman riche en péripéties et en réflexions.
La Peau de chagrin, de Balzac, 1831, collections Folio, Le Livre de Poche et Pocket.
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06/09/2016
La Cousine Bette, de Balzac
Roman kaléidoscope sur la puissance de la femme
La Cousine Bette
La Cousine Bette est l’œuvre foisonnante d’un auteur bouillonnant d’idées. Balzac a imaginé un écheveau d’intrigues et une multitude de personnages. Son roman met en scène des hommes qui multiplient les conquêtes sans s’apercevoir qu’ils sont des marionnettes aux mains des femmes.
Stefan Zweig considérait que La Cousine Bette et Le Cousin Pons étaient les deux meilleurs romans de Balzac. Ils forment un diptyque intitulé Les Parents pauvres : la cousine Bette et le cousin Pons ont en commun d’être célibataires ; mais, alors que Pons est généreux et naïf, la cousine Bette, elle, est aigrie et jalouse, et s’ingénie à faire le mal.
La Cousine Bette débute dans l’hôtel particulier que possède à Paris la famille Hulot. Le baron Hulot d’Ervy, conseiller d’Etat, directeur au ministère de la Guerre, grand officier de la Légion d’honneur, est un ancien de la Grande Armée. Depuis la chute de l’Empire, « il s’était mis, nous dit Balzac, au service actif auprès des femmes ». En 1838, quand commence le roman, il est déjà âgé de soixante ans ; mais, voulant « rester beau à tout prix », il se teint les cheveux et les favoris pour continuer de plaire aux femmes. Son épouse, Adeline, née Fischer, lui est entièrement dévouée et ferme les yeux sur ses coupables agissements, tellement elle le veut heureux. Malgré ses quarante-sept ans, elle reste belle aux yeux des « amateurs de coucher de soleil ». Le baron et la baronne Hulot ont une fille, Hortense, âgée d’une vingtaine d’années, qu’ils songent à marier.
Adeline Hulot a une cousine, Elisabeth Fischer, surnommée la cousine Bette, ou tout simplement Lisbeth. Agée de quarante-trois ans, elle « était loin d’être belle comme sa cousine ; aussi était-elle prodigieusement jalouse d’Adeline. La jalousie formait la base de son caractère […]. » Un jour, dans la conversation, la vieille fille laisse entendre qu’elle a un amoureux, ce qui laisse les Hulot incrédules : « l’amoureux de la cousine Bette, vrai ou faux, devint alors un sujet de railleries. »
Le baron Hulot se prend
pour un seigneur libertin du dix-huitième siècle
sans comprendre qu’il vit au dix-neuvième siècle
En réalité, Lisbeth Fischer s’est liée avec son voisin de palier, un garçon qui a quinze ans de moins qu’elle. Il s’appelle Wenceslas Steinbock, il est comte polonais et vit en exil à Paris, où il est dans le dénuement. Mais il possède un réel talent d’artiste et d’artisan, « c’est un prince de l’outil » qui fabrique des sculptures. Un jour, après l’avoir sauvé du suicide, Lisbeth l’a pris en main et est devenue pour lui une mère. Elle lui a déclaré : « Je vous prends pour mon enfant ». Prenant conscience du talent de Steinbock, elle veut rendre célèbre son nom et lui procurer gloire et fortune. Pour arriver à ce résultat, elle est décidée à le faire travailler dur, quitte à le transformer en esclave. Tout se complique le jour où Mlle Hortense Hulot fait la connaissance du jeune homme ; elle en tombe amoureux et le vole à Lisbeth. Privée de son « enfant », la vieille fille est furieuse, mais garde sa colère pour elle. Décidée à se venger d’Hortense et de sa mère Adeline, elle se dit intérieurement : « Adeline, ô Adeline, tu me le payeras, je te rendrai plus laide que moi ! […] Adeline ! Adeline ! je te verrai dans la boue et plus bas que moi !... Hortense, que j’aimais, m’a trompée… »
A cette première intrigue viennent se greffer d’autres intrigues. De nombreux personnages entrent en scène au cours de ce roman, dont la fameuse Valérie Marneffe, mariée à un obscur fonctionnaire subordonné au baron Hulot au ministère de la Guerre. Elle multiplie les amants qui lui assurent son train de vie. Son mari étant souffreteux, elle planifie son veuvage, son remariage… puis à nouveau son veuvage, qui lui procureront rente et héritage.
Sauf exception, les hommes apparaissent comme des marionnettes manipulées par les femmes. De nombreux personnages sont dépravés et les cas d’adultère se multiplient au cours du roman. Il ne faut pas s’étonner de rencontrer la baron Hulot, alors âgé de quatre-vingts ans, s’éprendre d’une fillette de quinze ans. Il ne sait pas résister aux femmes, quitte à mettre en jeu sa fortune et l’honneur de sa famille. Le baron Hulot se prend pour un seigneur libertin du dix-huitième siècle sans comprendre qu’il vit au dix-neuvième siècle, dont les mœurs sont toutes autres.
Mme Marneffe commande un bronze de Samson et Dalila,
pour exprimer la puissance de la femme
La puissance de la femme et la faiblesse de l’homme éclatent au grand jour quand Valérie Marneffe soumet à sa volonté le baron Hulot, puis Wenceslas Steinbock. Elle commande au sculpteur un groupe de bronze représentant Samson et Dalila, en lui précisant : « Faites Dalila coupant les cheveux à l’Hercule juif ! […] Il s’agit d’exprimer la puissance de la femme. Samson n’est rien là. C’est le cadavre de la force. Dalila, c’est la passion qui ruine tout. »
Les personnages ne sont ni en noir et blanc, ni stéréotypés. Leur caractère est souvent complexe. Les bonnes actions sont difficiles à démêler des mauvaises ; car, si au premier abord certains actes apparaissent désintéressés, ils recèlent en réalité leur part de calcul. Cela devient vite évident dans le cas de Lisbeth, qui s’est fait la protectrice de Wenceslas Steinbock. Il y a même quelque chose de diabolique chez elle. C’est la reine de la dissimulation ; elle fait du mal aux Hulot en ne cessant de les convaincre qu’elle agit pour leur bien. Quand elle est reçue à dîner chez eux, elle est, nous dit Balzac, « une araignée au centre de sa toile ».
Le baron Hulot veut obtenir une nomination de complaisance
pour le mari de sa maîtresse
Balzac n’est pas tendre pour la monarchie de Juillet qu’il n’aime pas, mais il n’épargne pas non plus le régime de la Restauration. Pour s’attirer les faveurs de Mme Marneffe, le baron Hulot veut accélérer la promotion de son mari ; il s’adresse directement à son vieux camarade directeur du personnel au ministère de la Guerre. Ce dernier met en garde Hulot contre une nomination de complaisance qui serait accordée à M. Marneffe : « Ce serait un scandale dans les bureaux où l’on s’occupe déjà beaucoup de vous et de Mme Marneffe. » Mais, complètement désabusé, le directeur, comme pour relativiser, ajoute aussitôt : « Mon cher, on nous reproche tant de choses qu’une de plus ou une de moins ! nous n’en sommes pas à notre virginité en fait de critiques. Sous la Restauration, on a nommé des gens pour leur donner des appointements et sans s’embarrasser du service… »
Il y a malgré tout quelques personnages admirables, tel le maréchal Forzenheim, frère aîné du baron Hulot, qui, en « vrai républicain », éprouve l’ « amour du pays, de la famille et du pauvre ».
La passion, le vice, la jalousie, l’adultère, la concussion, la puissance de la femme et la faiblesse de l’homme sont au cœur de ce roman qui se lit d’autant plus facilement que l’histoire commence immédiatement. Certes il y a des descriptions et des digressions, mais les chapitres sont courts, ce qui permet à Balzac de montrer ses qualités de feuilletoniste en tenant en haleine le lecteur.
La Cousine Bette est l’un des derniers romans achevés par Balzac, Son cerveau est alors au paroxysme de la stimulation et de la création. Cette suractivité cérébrale lui fait imaginer une multitude de personnages et de situations, dont on ne retrouve l’équivalent que dans Splendeurs et misères des courtisanes, rédigés simultanément avec Les Deux Cousins.
Peu de temps après l’achèvement de La Cousine Bette, le cerveau de Balzac, soumis à trop de tensions, cessa de lui obéir et l’obligea à arrêter définitivement son activité d’écriture.
La Cousine Bette, de Balzac, 1846, collection Bordas (épuisé) et collections Folio, Garnier Flammarion et Le Livre de Poche (on pourra préférer les versions publiées en Folio et en Garnier Flammarion, qui reprennent la division en chapitres voulue par Balzac.)
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15/02/2016
La Recherche de l'absolu, de Balzac
Le monomaniaque à la passion dévorante
La Recherche de l’absolu
A Douai, un notable, Balthazar Claës, se livre à des expériences de chimie dans son laboratoire. Cet homme est à la recherche de l’absolu, qui lui apportera gloire et fortune. Il ne fait plus attention ni à sa femme, ni à ses enfants, ni au monde qui l’entoure, et ne s’intéresse plus qu’à ses expériences. Le portrait que fait Balzac de cet être monomaniaque est remarquable.
Dès la première page du roman, Balzac informe le lecteur qu’il ne le fera pas entrer tout de suite dans l’action. Il va d’abord lui infliger des pages d’exposition, que, déjà à l’époque, certains critiques trouvaient fastidieuses. Et Balzac de se justifier en évoquant « la nécessité de ces préparations didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient des émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation. » Le lecteur est donc prié de se montrer patient dans sa lecture des pages d’exposition, qui peuvent paraître longues et ardues. Mais ensuite, il se félicitera de s’être montré patient, tant il finira par s’attacher aux personnages et à l’histoire.
A Douai, monsieur Balthazar Claës-Molina de Nourho, qui se fait tout simplement appeler Balthazar Claës, appartient à l’une des plus vieilles familles de la ville. En 1812, il est âgé d’une cinquantaine d’années et a tout pour être heureux : une femme aimante, de beaux enfants et de l’argent. Pourtant, depuis trois ans, il a beaucoup changé. Alors qu’il était auparavant un caractère noble et attentionné, il s’est renfermé sur lui-même. Il passe l’essentiel de ses journées à l’intérieur du laboratoire qu’il s’est aménagé dans sa vaste demeure. Il ne prend même plus soin de lui-même, nous dit Balzac : « Ses mains poilues étaient sales, ses longs ongles avaient à leurs extrémités des lignes noires très foncées. »
Devenu très distrait comme le sont bien des savants, Balthazar ne s’aperçoit pas de sa crasse, pas plus qu’il ne se rend compte de la présence de sa femme et de ses enfants, ou qu’il n’a conscience qu’il est en train de brûler dans ses expériences la fortune de la maison Claës. Tout son esprit est tourné vers les travaux de chimie qu’il mène dans son laboratoire. Depuis plusieurs années maintenant, il s’est lancé dans la recherche de l’absolu : « une substance commune à toutes les créations, modifiée par une force unique. » Plus concrètement, il mène des expériences qui le conduisent à décomposer le diamant, pour en avoir le secret et en fabriquer ensuite. Or il est sur le point d’aboutir. Plein d’enthousiasme, il s’en ouvre à sa femme Joséphine, qui commençait d’être inquiète de tout cet argent dépensé en vaines expériences. Il veut lui faire partager sa joie et lui déclare : « Mais demain, mon ange, notre fortune sera peut-être sans bornes. Hier en cherchant des secrets bien plus importants, je crois avoir trouvé le moyen de cristalliser le carbone, la substance du diamant. O ma chère femme !... dans quelques jours tu me pardonneras mes distractions. » Régulièrement, Balthazar est sur le point de conclure brillamment sa série d’expériences. Ainsi, quelques temps plus tard, à nouveau il se montre plein d’enthousiasme et dit à sa femme : « Je n’osais te dire qu’entre l’absolu et moi, à peine existe-t-il un cheveu de distance. » Et, encore un autre jour, il déclare que « dans six semaines tout sera fini ! » Il lui suffirait d’un rien pour atteindre le résultat escompté. Mais, en attendant, il lui faut encore disposer de numéraire pour financer ses ultimes expériences. C’est ainsi qu’il aliène la fortune de sa famille au profit d’une chimère.
Balthazar se montre séduisant comme le serpent,
pour extorquer de l’argent à ses proches
Les intentions de Balthazar sont nobles, il veut donner à sa famille gloire et fortune. Mais, comme le fait remarquer Marthe, sa bonne, « il est possédé par le démon, cela se voit ! » Et, après tout, il est bien connu que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Entièrement centré sur lui-même et ses expériences, Balthazar se coupe progressivement du monde extérieur. Il est devenu monomaniaque. Seule la recherche de l’absolu stimule son cerveau. Il ne s’intéresse à rien d’autre. Même les graves événements politiques de l’époque ne retiennent pas son attention. En 1812, la Retraite de Russie le laisse complètement indifférent. Ainsi que l’écrit Balzac : « il n’était ni mari, ni père, ni citoyen, il fut chimiste. »
Par contraste, dans cette histoire, les femmes se montrent admirables. Joséphine est parfaitement lucide sur l’état de son mari et déplore sa monomanie. Elle le met en garde en lui disant que, par ses expériences, il poursuit l’impossible. Cependant elle accepte de le voir engloutir la fortune de la famille. Son amour pour son mari est tel, qu’elle finira par se sacrifier entièrement à lui. Peut-être plus admirable encore est leur fille Marguerite, une jeune femme digne, réfléchie et volontaire, qui aime tellement son père qu’elle voudrait le voir revenir à la raison. Mais la voie est étroite, car il est devenu un être redoutable. Il flatte autrui et se montre séduisant comme le serpent, pour extorquer de l’argent à ses proches. Et s’ils refusent, il se raidit et les accuse d’être égoïstes, alors que lui ne l’est pas, car, comme il le souligne lui-même, « il travaille pour l’humanité ».
Comme souvent chez Balzac, il est beaucoup question d’argent et les notaires sont de la partie. Mais ce qui fait l’originalité de l’histoire, c’est le portrait que fait Balzac d’un monomaniaque dévoré par sa passion, tel qu’on en trouvera plus tard dans l’œuvre de Stefan Zweig. A cela s’ajoutent les peintures de femmes amoureuses, l’une de son mari, l’autre de son père, qui sont aussi très réussies.
La Recherche de l’absolu, de Balzac, 1834, collection Folio.
07:30 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XIXe siècle | Tags : la recherche de l'absolu, balzac, la comédie humaine | Lien permanent | Commentaires (0)