27/04/2015
French Cancan, de Renoir
Gabin-Danglar fonde le Moulin-Rouge
French Cancan
Le personnage de Danglar, interprété par Jean Gabin, fonde le Moulin-Rouge et rend célèbre le french cancan. La reconstitution du Montmartre de la fin du XIXe siècle est très réussie. Certaines scènes, directement inspirées de toiles d’Auguste Renoir, font de French Cancan un hommage rendu par Jean Renoir à son père.
Le cancan, nous dit le dictionnaire, est une danse tapageuse et excentrique, qui avait été en vogue dans les bals populaires vers 1840. Près de cinquante ans plus tard, en 1889, les repreneurs de l’ancien Bal de la Reine-Blanche, boulevard de Clichy, décidèrent d’y fonder un nouvel établissement ; ils lui donnèrent le nom de Bal du Moulin-Rouge. A la recherche d’une nouvelle attraction qui puisse séduire la clientèle, ils choisirent de ressortir de l’oubli le cancan, qu’ils rebaptisèrent le french cancan dans l’espoir de retenir l’attention de la clientèle anglo-saxonne.
Jean Renoir s’est souvenu de cette histoire pour écrire son film. Cependant, comme il s’agit d’une fiction, il a modifié l’identité du fondateur du Moulin-Rouge, auquel il a donné le patronyme de Danglar. Pour jouer le rôle, il s’adressa d’abord à Charles Boyer, mais, suite à son désistement, il se rabattit sur Gabin. Le choix de Gabin fut donc, pour Renoir, un choix par défaut. Pourtant les deux hommes se connaissaient bien pour avoir travaillé ensemble dans les années trente. Leur collaboration avait donné des films aussi marquants que La Grande Illusion et La Bête humaine. Mais, pendant la guerre, leurs routes avaient divergé ; Gabin s’était engagé dans les Forces françaises libres et avait combattu courageusement, tandis que Renoir avait poursuivi, à Hollywood, sa carrière de réalisateur. De plus, la paix revenue, Gabin n’était plus la vedette qu’il avait été avant la guerre et son nom, sur une affiche, n’était plus la garantie d’un succès auprès du public. En 1954, French Cancan marque les retrouvailles de Renoir et de Gabin.
Dans le film, Danglar est un entrepreneur de spectacles très endetté, il est constamment menacé de saisie, par les huissiers ; il escompte que son projet de french cancan au Moulin-Rouge le relancera. A cinquante ans passés, avec ses cheveux argentés, il demeure un grand séducteur qui plaît aux femmes. Il repère une jeune blanchisseuse, Nini, jouée par Françoise Arnoul. Il trouve sa bouille pleine de fraicheur et, au vu de sa souplesse, il décide d’en faire la vedette du french cancan. Nini devient sa maîtresse. Assez naïve, elle croit être la partenaire exclusive de son employeur ; elle ne comprend pas que Danglar, homme à femmes, est l’homme d’une seule fidélité, celle qui le lie au Moulin-Rouge.
Le film, tourné en Technicolor, est beau à regarder. Alexandre Trauner, le plus célèbre décorateur de l’histoire du cinéma, a parfaitement réussi la reconstitution du Montmartre de la fin du XIXe siècle, de la même manière que, dix ans plus tôt, il avait recréé le boulevard du Crime pour Les Enfants du paradis. L’illusion est parfaite. Certaines scènes sont directement inspirées des œuvres du peintre Auguste Renoir. D’une certaine manière, French Cancan est l’hommage d’un fils à son père, comme si Jean avait voulu mettre en mouvement les toiles d’Auguste.
Le film est aussi agréable à écouter. La musique a été écrite par Georges van Parys, compositeur réputé pour la qualité de ses mélodies. Le soir de l’ouverture du Moulin-Rouge, Cora Vaucaire interprète La Complainte de la Butte, pastiche de chanson réaliste, dont Jean Renoir a écrit les paroles.
Dans l’interprétation, le contraste est bien rendu entre les gens du peuple gouailleurs, notamment les danseuses, et les bourgeois à haut-de-forme très maniérés. Le film permit à Philippe Clay de faire ses débuts. Il interprète un huissier de justice, qui se révèle sur scène, en se transformant en homme caoutchouc.
A la fin du film, le rythme effréné des danses produit une gaieté presque contagieuse et fait tourner la tête.
French Cancan, de Jean Renoir, 1954, avec Jean Gabin, Maria Felix, Françoise Arnoul, Gianni Esposito et Philippe Clay, DVD René Chateau et Gaumont.
07:30 Publié dans Comédie, Film | Tags : french cancan, renoir, gabin, maria felix, françoise arnoul, gianni esposito, philippe clay | Lien permanent | Commentaires (0)
31/03/2014
La Grande Illusion, de Jean Renoir
Von Stroheim superstar
La Grande Illusion
Jean Gabin est l’acteur principal du film de Jean Renoir. Mais Erich von Stroheim lui vole la vedette. Il est inoubliable dans le rôle du commandant von Rauffenstein, un officier de la vieille aristocratie prussienne. Son personnage tend à phagocyter un film qui fit impression sur les spectateurs à sa sortie en 1937, alors que l’Europe était à nouveau menacée par la guerre.
Quand, en 1937, Jean Renoir entreprend le tournage de La Grande Illusion, il offre tout naturellement le premier rôle à Jean Gabin. Quelques mois plus tôt, l’acteur est devenu la vedette numéro un du cinéma français, suite à la sortie sur les écrans de Pépé le Moko. La Grande Illusion rassemble des souvenirs de Renoir liés à la première guerre mondiale. Le lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin, est un officier mécanicien sorti du rang. Il vole en compagnie du capitaine de Boeldieu quand leur avion est descendu par les Allemands. Boeldieu est indemne, mais Maréchal est blessé au bras. C’est le commandant von Raffaunstein qui les abattus. Rauffenstein un véritable chevalier du ciel qui combat ses adversaire à la loyale. Il présente au lieutenant Maréchal ses excuses pour la blessure, et prie ses deux prisonniers à déjeuner. Puis, Boeldieu et Maréchal sont emmenés en captivité. Quelques mois plus tard, ils sont transférés dans une forteresse dont le commandant n’est autre que Rauffenstein. Il invite Boeldieu à dîner et, entre aristocrates, noue une relation privilégiée avec lui.
Ce film montre que la guerre favorise le brassage des classes sociales et, en même temps, il joue sur les oppositions entre les différents milieux. Le lieutenant Maréchal, donc Jean Gabin, est un peu rustre, il n’est pas très cultivé et son vocabulaire est limité. A l’opposé, le capitaine de Boeldieu a un langage recherché, il parle couramment l’anglais et a des gestes posés. L’aristocrate français est interprété par Pierre Fresnay, qui n’a pas besoin de beaucoup se forcer pour être suffisant.
Mais, dans le film, Gabin et Fresnay se font voler la vedette par l’acteur qui interprète Rauffenstein : Erich von Stroheim. En pleine préparation du tournage, Renoir était en quête d’un acteur pour le personnage quand il apprit que von Stroheim, alors en France, serait intéressé par le rôle. Renoir vénérait von Stroheim qui avait été un grand réalisateur du cinéma muet. Mais, rejeté par Hollywood, il s’était résolu à quitter l’Amérique. Renoir lui confie le rôle, bien que le personnage occupe une place a priori réduite dans le scénario. Or, si von Stroheim est un grand metteur en scène, c’est d’abord un grand metteur en scène de lui-même. Il prend son rôle d’officier prussien très au sérieux et lui donne toute son ampleur. C’est lui qui a l’idée de porter une minerve qui confère la raideur qui sied au personnage. C’est encore lui qui a l’idée de rejeter son buste vers l’arrière dès qu’il boit un verre. La personnalité de Rauffenstein est tellement forte, ses gestes sont si bien étudiés, que von Stroheim finit par phagocyter le film. Voler la vedette à Gabin, il fallait le faire !
Roosevelt recommanda le film
Pendant des décennies, la version qui fut diffusée était une version ramenée à une heure et demie, qui resserrait le film sur la relation Boeldieu-Rauffenstein. Rauffenstein donnait ainsi l’impression d’être le personnage central du film. Depuis quelques dizaines d’années, le film est présenté dans une version plus longue, de plus d’une heure quarante-cinq. Jean Gabin y prend plus de place. La séquence au cours de laquelle il trouve refuge dans une ferme est davantage développée. En compagnie de Dalio, dans le rôle d’un autre officier français, il est abrité par une jeune Allemande veuve de guerre, jouée par Dita Parlo. Dans son montage actuel, La Grande Illusion est plus conforme au projet que Renoir avait en tête. Mais, en contrepartie, le film souffre d’une baisse de rythme à partir du moment où Boeldieu et Rauffenstein disparaissent de l’histoire. Sans devenir inintéressant, le film perd de sa force et devient alors plus quelconque.
Longtemps les critiques se sont demandé ce qu’il fallait entendre par la grande illusion. La version diffusée de nos jours permet de répondre à cette interrogation. A la fin du film, Gabin dit : « J’espère que c’est la dernière guerre » et Dalio lui répond : « Tu te fais vraiment des illusions ! »
Il serait vain de multiplier les exégèses de ce film et d’y lire des messages que peut-être il ne contient pas. A sa sortie, en 1937, La Grand Illusion rencontra un succès mondial, alors que la menace de guerre ne cessait de monter. Le président Roosevelt déclara : « Toute personne qui croit en la démocratie devrait voir ce film ». Ce film aurait-il eu un si grand destin s’il n’avait bénéficié de la prestation de von Stroheim et s’il était sorti dans un autre contexte ? Poser la question, c’est déjà y répondre.
La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937), avec Jean Gabin, Dita Parlo, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim, Carette et Dalio, DVD StudioCanal.
09:05 Publié dans Film, Film de guerre, Histoire | Tags : la grande illusion, renoir, gabin, dita parlo, fresnay, stroheim, carette, dalio | Lien permanent | Commentaires (0)