Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/05/2017

Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque

Film pseudo-policier

Les Disparus de Saint-Agil

Dans ce film on retrouve l’atmosphère du roman de Pierre Véry, faite de fantaisie et de féérie. Erich von Stroheim et Michel Simon sont professeurs à la pension Saint-Agil, dont trois élèves disparaissent sans laisser de trace. Christian-Jaque obtint avec ce film un succès commercial supplémentaire.

            Pierre Véry qualifiait ses livres de romans pseudo-policiers : comme dans n’importe quel policier il y a un meurtre, une enquête, une énigme ; mais, chez lui, tout cela n’est que prétexte pour installer une atmosphère faite de fantaisie et de féérie. Ses romans frappèrent tant l’imagination des lecteurs, que le cinéma s’empara très tôt de son œuvre. C’est ainsi que Les Disparus de Saint-Agil, publiés en 1935, furent adaptés trois ans plus tard par Christian-Jaque.

   les disparus de saint-agil,christian-jaque,stroheim,michel simon,armand bernard,le vigan,aimé clariond,serge grave,mouloudji,jean claudio         Pierre Véry collabora à l’adaptation de son roman, qui est largement autobiographique : dans sa jeunesse, il avait été élève à la pension Sainte-Marie de Meaux et y avait fondé la société secrète des Chiche-Capon, qui comptait trois membres, dont lui-même. A une époque où les enfants rêvaient d’Amérique, ils décidèrent de s’embarquer pour gagner le pays des gratte-ciels, des cow-boys, des Indiens… Mais leur projet ne dépassa pas le stade des intentions.

            Ces éléments se retrouvent dans le roman et dans le film, qui lui est largement fidèle. La règle de l’unité de lieu est respectée : quasiment toute l’intrigue se déroule à l’intérieur du collège, que Pierre Véry a rebaptisé du nom singulier de pension Saint-Agil. L’atmosphère est très bien restituée : les élèves, et avec eux le spectateur, sont enfermés dans les murs de l’établissement, comme isolés du monde ; ils vont du dortoir à la salle de classe, puis de la salle de classe au réfectoire ; ils s’ébrouent dans la cour de récréation et passent dans le bureau du directeur, sans oublier de faire quelques séjours à l’infirmerie. Or, dans ce collège, il se passe des phénomènes mystérieux : trois élèves, Sorgue, Macroy et Beaume, calogués comme fortes têtes, disparaissent successivement, sans aucune explication…

Erich von Stroheim s’est composé un personnage

qui fait peur aux élèves

            Le film est dominé par l’interprétation d’Erich von Stroheim et de Michel Simon. Depuis son échec à Hollywood comme réalisateur, von Stroheim s’était installé en Europe et en était réduit à « faire l’acteur ». Il venait de tourner dans La Grande Illusion, de Jean Renoir, sortie quelques mois plus tôt ; son interprétation d’un officier prussien avait tellement impressionné les spectateurs français, que, sans aucune hésitation, son nom fut placé en haut de l’affiche des Disparus de Saint-Agil. Ici il joue le rôle du professeur d’anglais, langue dans laquelle il était plus à l’aise qu’en français. Avec son pardessus, son écharpe, son chapeau, son jeu de lunettes et ses cheveux en brosse, il s’est composé un personnage tout en raideur, qui fait peur aux élèves.

            Le contraste est fort avec Michel Simon, qui interprète le professeur de dessin. C’est un raté, un alcoolique, un impulsif. Il tyrannise ses élèves et les utilise comme souffre-douleur.

            Le directeur de Saint-Agil est joué par Aimé Clarion, de la Comédie française, habitué aux rôles de traitres distingués et raffinés.

            Serge Grave, Mouloudji et Jean Claudio incarnent Beaume, Macroy et Sorgue, les trois élèves membres de la société des Chiche-Capon. Malgré ses dix-huit ans, Serge Grave est encore en culottes courtes et a déjà derrière lui une longue carrière d’enfant acteur, tout comme Mouloudji, alors âgé de quinze ans. Enfants de prolétaires tous les deux, ils s’entendirent bien sur le tournage, mais n’aimaient guère Jean Claudio, qu’ils trouvaient, selon Gilles Schlesser, biographe de Mouloudji, « trop mignon, trop poli, trop bourgeois ».

Jacques Prévert collabora à l’écriture du dialogue

            Bien que son nom ne soit pas crédité au générique, Jacques Prévert collabora à l’écriture du dialogue. On reconnaît sa patte dans cet avertissement lancé par un surveillant qui se fait Cassandre en ne cessant de répéter que la guerre approche. Ainsi on entend ce surveillant proclamer : « Comme un orage, elle va éclater, la guerre ! » ; ou encore : « Dire qu’il y a des gens qui disent qu’on n’aura pas la guerre ! » Précisons que le film fut tourné à l’hiver 1938.

            Quand il réalisa ce film, le jeune Christian-Jaque était déjà auréolé du succès de François Ier, dans lequel il avait dirigé Fernandel. Les Disparus de Saint-Agil rencontrèrent aussi les faveurs du public, si bien que, par la suite, Christian-Jaque adapta d’autres romans de Pierre Véry, dont L’Assassinat du père Noël. Tout au long de sa carrière, le réalisateur accumula les succès. Sa réussite finit par lui valoir l’hostilité d’une bonne partie de la critique, qui lui reprocha de se borner à faire un cinéma commercial. Pour répondre à ses contempteurs, Christian-Jaque se flatta de ne pas avoir de style.

            Pierre Véry continua d’écrire des romans et devint parallèlement scénariste de films. Mais, contrairement à son serment prêté à la société des Chiche-Capon, jamais il n’alla en Amérique.

 

Les Disparus de Saint-Agil, de Christian-Jaque, 1938, avec Erich von Stroheim, Michel Simon, Armand Bernard, Robert Le Vigan, Aimé Clariond, Serge Grave, Mouloudji et Jean Claudio, DVD Pathé.

04/10/2016

Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard), de Billy Wilder

Film sur Hollywood mêlant fiction et réalité

Boulevard du crépuscule

(Sunset Boulevard)

Dans ce film il est difficile de distinguer la fiction de la réalité. Gloria Swanson, authentique reine déchue du muet, joue quasiment son propre rôle en interprétant Norman Desmond, une actrice tombée dans l’oubli qui rêve de faire son retour à l’écran. Billy Wilder signe ici son premier grand film consacré à Hollywood.

            « Je voulais, déclara Billy Wilder, me compliquer un peu la vie, réussir une chose qui ne marche jamais vraiment : un film sur Hollywood ! » En 1950, quand il entreprit le tournage de Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard), Billy Wilder s’était déjà fait un nom à Hollywood. Il avait signé l’un des tous premiers films noirs, le remarquable Assurance sur la mort (Double Indemnity) ; et son film Le Poison (The Lost Week-end) lui avait valu la reconnaissance de ses pairs, qui lui avaient attribué l’Oscar du meilleur réalisateur.

          boulevard du crépuscule,sunset boulevard,billy wilder,gloria swanson,stroheim,william holden  Pour son film sur Hollywood, Billy Wilder, scénariste réputé, écrivit avec Charles Bracket l’histoire d’une reine déchue du muet qui rêve de faire son retour à l’écran. Billy Wilder contacta Mae West et Mary Pickford, qui toutes deux déclinèrent son offre de tenir le rôle principal. C’est alors qu’il se rabattit sur Gloria Swanson, qui, en 1950, était complètement oubliée du public ; elle avait été l'une des reines du muet, mais sa carrière avait été brisée par l’avènement du cinéma parlant au début des années trente. Sa présence pouvait donner au film l’authenticité que recherchait Billy Wilder. Il fit des essais avec elle et la trouva tellement grandiose dans ses répliques qu’il fut persuadé qu’il tenait son film. Seulement, la Paramount ne voulait plus entendre parler de Gloria Swanson, ses dirigeants gardant en mémoire tout l’argent qu’elle avait fait perdre au studio vingt ans plus tôt. Billy Wilder dut insister pour que ce fût elle qui tînt le rôle de Norman Desmond, le personnage principal du film.

            Billy Wilder contacta également Erich von Stroheim, qui donna son accord pour jouer le rôle du chauffeur de Gloria Swanson/Norman Desmond. Dans l’histoire, le chauffeur est un ancien réalisateur, qui jadis avait dirigé la star dans un film. Or, dans la « vraie vie », Erich von Stroheim avait effectivement dirigé Gloria Swanson au sommet de sa gloire ; c’était en 1928, dans Queen Kelly, un film qui avait été un échec retentissant et qui avait précipité la chute de Stroheim réalisateur et de Gloria Swanson. C’est ce film qui avait failli ruiner la Paramount.

Gloria Swanson/Norman Desmond se distrait

en se repassant ses vieux films dans la salle de projection de sa villa

            Dans Boulevard du crépuscule, Gloria Swanson/Norman Desmond vit recluse à l’intérieur de sa villa de Beverly Hills. Elle a pour seuls compagnons son chimpanzé et son chauffeur. Elle passe ses soirées en solitaire dans la salle de projection qu’elle s’est fait aménager chez elle. Elle se distrait en se repassant ses vieux films, qui lui rappellent sa gloire passée. Et bien sûr, pour plus d’authenticité, Billy Wilder la montre en train de visionner Queen Kelly.

            Billy Wilder compléta la distribution avec William Holden. Holden, âgé d’une trentaine d’années, n’avait pas encore acquis la notoriété ; il interprète un jeune scénariste fauché, qui écrit un script pour Gloria Swanson/Norman Desmond. Il a tant besoin d’argent qu’il accepte d’habiter chez elle, quitte à donner l’impression d’être entretenu. C’est lui qui sert de narrateur au film ; la voix-off n’alourdit pas la réalisation, mais donne à l’histoire une dimension propre aux films noirs.

            L’une des scènes les plus fortes du film montre le grand retour de Gloria Swanson/Norman Desmond au studio de la Paramount. Suite à un malentendu, elle croit que son projet de film a été approuvé par les producteurs. Rayonnante, elle arrive dans sa limousine (datant des années trente) conduite par Erich von Stroheim. Elle fait son entrée sur le plateau et  surprend en plein travail Cecil B. DeMille, qui joue ici son propre rôle. Elle engage une conversation avec lui, persuadée qu’il a accepté de la diriger dans le film qu’elle rêve de tourner. La scène est cocasse et cruelle.

            Dans ce film il est difficile de démêler la fiction de la réalité. Ainsi, à un moment, on voit Gloria Swanson/Norman Desmond jouer aux cartes avec d’autres stars déchues, parmi lesquelles on reconnaît aisément Buster Keaton. Erich von Stroheim joue presque son propre rôle en interprétant ce personnage de cinéaste maudit qui ne semble pas avoir toute sa raison. Quand, à la fin du film, il dirige Gloria Swanon/Norman Desmond pour une ultime représentation, il donne l’impression de vouloir montrer que son talent vaut bien celui de Cecil B. DeMille, qui lui continue de tourner, pour de vrai, à la même époque.

            Lorsque Boulevard du crépuscule fut présenté à Hollywood, il fit forte impression par son audace. Vingt-cinq ans plus tard, Billy Wilder retrouva William Holden dans un autre grand film, Fedora : on y voit à nouveau l’acteur tentant de contribuer au retour à l’écran d’une star déchue du cinéma.

 

Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard), de Billy Wilder, 1950, avec Gloria Swanson, Erich von Stroheim et William Holden, DVD Paramont Pictures.

31/03/2014

La Grande Illusion, de Jean Renoir

Von Stroheim superstar

La Grande Illusion

Jean Gabin est l’acteur principal du film de Jean Renoir. Mais Erich von Stroheim lui vole la vedette. Il est inoubliable dans le rôle du commandant von Rauffenstein, un officier de la vieille aristocratie prussienne. Son personnage tend à phagocyter un film qui fit impression sur les spectateurs à sa sortie en 1937, alors que l’Europe était à nouveau menacée par la guerre.

            Quand, en 1937, Jean Renoir entreprend le tournage de La Grande Illusion, il offre tout naturellement le premier rôle à Jean Gabin. Quelques mois plus tôt, l’acteur est devenu la vedette numéro un du cinéma français, suite à la sortie sur les écrans de Pépé le Moko. La Grande Illusion rassemble des souvenirs de Renoir liés à la première guerre mondiale. Le lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin, est un officier mécanicien sorti du rang. Il vole en compagnie du capitaine de Boeldieu quand leur avion est descendu par les Allemands. Boeldieu est indemne, mais Maréchal est blessé au bras. C’est le commandant von Raffaunstein qui les abattus. Rauffenstein un véritable chevalier du ciel qui combat ses adversaire à la loyale. Il présente au lieutenant Maréchal ses excuses pour la blessure, et prie ses deux prisonniers à déjeuner. Puis, Boeldieu et Maréchal sont emmenés en captivité. Quelques mois plus tard, ils sont transférés dans une forteresse dont le commandant n’est autre que Rauffenstein. Il invite Boeldieu à dîner et, entre aristocrates, noue une relation privilégiée avec lui.

 la grande illusion,renoir,gabin,dita parlo,pierre fresnay,von stroheim,carette,dalio           Ce film montre que la guerre favorise le brassage des classes sociales et, en même temps, il joue sur les oppositions entre les différents milieux. Le lieutenant Maréchal, donc Jean Gabin, est un peu rustre, il n’est pas très cultivé et son vocabulaire est limité. A l’opposé, le capitaine de Boeldieu a un langage recherché, il parle couramment l’anglais et a des gestes posés. L’aristocrate français est interprété par Pierre Fresnay, qui n’a pas besoin de beaucoup se forcer pour être suffisant.

            Mais, dans le film, Gabin et Fresnay se font voler la vedette par l’acteur qui interprète Rauffenstein : Erich von Stroheim. En pleine préparation du tournage, Renoir était en quête d’un acteur pour le personnage quand il apprit que von Stroheim, alors en France, serait intéressé par le rôle. Renoir vénérait von Stroheim qui avait été un grand réalisateur du cinéma muet. Mais, rejeté par Hollywood, il s’était résolu à quitter l’Amérique. Renoir lui confie le rôle, bien que le personnage occupe une place a priori réduite dans le scénario. Or, si von Stroheim est un grand metteur en scène, c’est d’abord un grand metteur en scène de lui-même. Il prend son rôle d’officier prussien très au sérieux et lui donne toute son ampleur. C’est lui qui a l’idée de porter une minerve qui confère la raideur qui sied au personnage. C’est encore lui qui a l’idée de rejeter son buste vers l’arrière dès qu’il boit un verre. La personnalité de Rauffenstein est tellement forte, ses gestes sont si bien étudiés, que von Stroheim finit par phagocyter le film. Voler la vedette à Gabin, il fallait le faire !

Roosevelt recommanda le film

            Pendant des décennies, la version qui fut diffusée était une version ramenée à une heure et demie, qui resserrait le film sur la relation Boeldieu-Rauffenstein. Rauffenstein donnait ainsi l’impression d’être le personnage central du film. Depuis quelques dizaines d’années, le film est présenté dans une version plus longue, de plus d’une heure quarante-cinq. Jean Gabin y prend plus de place. La séquence au cours de laquelle il trouve refuge dans une ferme est davantage développée. En compagnie de Dalio, dans le rôle d’un autre officier français, il est abrité par une jeune Allemande veuve de guerre, jouée par Dita Parlo. Dans son montage actuel, La Grande Illusion est plus conforme au projet que Renoir avait en tête. Mais, en contrepartie, le film souffre d’une baisse de rythme à partir du moment où Boeldieu et Rauffenstein disparaissent de l’histoire. Sans devenir inintéressant, le film perd de sa force et devient alors plus quelconque.

            Longtemps les critiques se sont demandé ce qu’il fallait entendre par la grande illusion. La version diffusée de nos jours permet de répondre à cette interrogation. A la fin du film, Gabin dit : « J’espère que c’est la dernière guerre » et Dalio lui répond : « Tu te fais vraiment des illusions ! »

            Il serait vain de multiplier les exégèses de ce film et d’y lire des messages que peut-être il ne contient pas. A sa sortie, en 1937, La Grand Illusion rencontra un succès mondial, alors que la menace de guerre ne cessait de monter. Le président Roosevelt déclara : « Toute personne qui croit en la démocratie devrait voir ce film ». Ce film aurait-il eu un si grand destin s’il n’avait bénéficié de la prestation de von Stroheim et s’il était sorti dans un autre contexte ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

 

La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937), avec Jean Gabin, Dita Parlo, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim, Carette et Dalio, DVD StudioCanal.