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27/06/2016

Cartouche, de Philippe de Broca

Naissance du Belmondo sympathique et bondissant

Cartouche

Jean-Paul Belmondo multiplie les cascades dans ce film en costumes bourré de péripéties. Sa rencontre avec Philippe de Broca aura été déterminante. Le réalisateur aura contribué à la naissance de Bébel, acteur bondissant et populaire qui attire la sympathie du public.

            En 1961, Jean-Paul Belmondo, âgé de vingt-huit ans, faisait figure d’acteur fétiche de La Nouvelle Vague, suite au succès d’A bout de souffle, de Godard. Il avait alors l’image d’un comédien tournant dans des films à caractère intellectuel et appartenant à ce qu’on appelle le cinéma d’auteur. Sur le tournage d’un film de Chabrol, Belmondo fit la connaissance d’un garçon de son âge, Philippe de Broca, qui occupait un poste d’assistant-réalisateur. Les deux jeunes gens sympathisèrent.

   Cartouche, Philippe de Broca, Belmondo, Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Jess Hahn, Dalio, Noël Roquevert,Jacques Charon         Un jour de 1961, Philippe de Broca est contacté par un producteur pour adapter à l’écran Les Trois Mousquetaires. Enthousiasmé par la proposition, le jeune réalisateur contacte Belmondo pour qu’il soit la tête d’affiche du film. Mais un projet concurrent est déjà sur les rails, si bien que, pris de vitesse, Philippe de Broca se voit contraint d’abandonner. Mais il ne renonce pas pour autant à réaliser un film de cape et d’épée avec Belmondo en vedette. Passionné par la vie du célèbre brigand Cartouche, il décide d’en faire un héros de cinéma : ce sera un voleur au grand cœur, à mi-chemin entre Robin des Bois et Arsène Lupin.

            Pour les besoins du film, Belmondo, qui n’a jamais fait de cheval, prend des leçons d’équitation. En huit jours seulement, il apprend à monter et à cavaler. Le film prévoit aussi des scènes de duels et de bagarres que Belmondo décide d’exécuter lui-même, sans doublure. Il prend des leçons auprès d’un maître d’armes et se révèle si doué et si motivé que, là encore, il apprend très vite.

            Sur le plateau, Belmondo retrouve Claudia Cardinale, avec qui il avait déjà tourné en Italie, et Jean Rochefort, son camarade de la bande du Conservatoire. Quant à Dalio, vétéran du cinéma d’avant-guerre, il joue le rôle du chef des brigands, dont Cartouche dispute la prééminence.

Belmondo n'est pas sans rappeler Gérard Philippe

            Le film est bourré de péripéties, il n’y a pas un instant de répit. Belmondo est virevoltant de bout en bout. Il n’est pas sans rappeler Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, de Christian-Jaque. Dans les deux films on trouve un sergent recruteur qui fait signer au héros un engagement. Mais, tandis que Fanfan la Tulipe avait été tourné en noir et blanc, Cartouche, dix ans plus tard, bénéficie de la couleur et du format cinémascope, tel un film à grand spectacle. L’image est particulièrement soignée et les dialogues le sont tout autant. Le scénariste Daniel Boulanger a su faire contraster la gouaille de Belmondo avec le phrasé distingué et précieux des aristocrates du XVIIIe siècle. Jacques Charon, de la Comédie française, est particulièrement remarquable dans le rôle d’un colonel dont les victoires ne comptent pas le nombre de morts. Il allie parfaitement distinction, courtoisie et cynisme.

            Cartouche fit date dans la carrière de Belmondo. Grâce à Philippe de Broca, il put montrer qu’il n’était pas un acteur limité aux films intellectuels. Il savait aussi jouer des héros bondissants dans des films grand public. Comme le fait remarquer Bertrand Tessier dans son livre Belmondo l’incorrigible, c’est Philippe de Broca qui « va inventer Bébel, la star sympa qui sait mettre le spectateur de son côté. »

            Suite au succès de Cartouche, Belmondo allait tourner un nouveau film sous la direction de Philippe de Broca. Ce film, un film d’aventures, allait avoir pour titre L’Homme de Rio et allait faire de Belmondo la grande vedette qu’il est resté.

 

Cartouche, de Philippe de Broca, 1961, avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Jess Hahn, Marcel Dalio, Noël Roquevert et Jacques Charon, DVD Wild Side Video.

31/03/2014

La Grande Illusion, de Jean Renoir

Von Stroheim superstar

La Grande Illusion

Jean Gabin est l’acteur principal du film de Jean Renoir. Mais Erich von Stroheim lui vole la vedette. Il est inoubliable dans le rôle du commandant von Rauffenstein, un officier de la vieille aristocratie prussienne. Son personnage tend à phagocyter un film qui fit impression sur les spectateurs à sa sortie en 1937, alors que l’Europe était à nouveau menacée par la guerre.

            Quand, en 1937, Jean Renoir entreprend le tournage de La Grande Illusion, il offre tout naturellement le premier rôle à Jean Gabin. Quelques mois plus tôt, l’acteur est devenu la vedette numéro un du cinéma français, suite à la sortie sur les écrans de Pépé le Moko. La Grande Illusion rassemble des souvenirs de Renoir liés à la première guerre mondiale. Le lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin, est un officier mécanicien sorti du rang. Il vole en compagnie du capitaine de Boeldieu quand leur avion est descendu par les Allemands. Boeldieu est indemne, mais Maréchal est blessé au bras. C’est le commandant von Raffaunstein qui les abattus. Rauffenstein un véritable chevalier du ciel qui combat ses adversaire à la loyale. Il présente au lieutenant Maréchal ses excuses pour la blessure, et prie ses deux prisonniers à déjeuner. Puis, Boeldieu et Maréchal sont emmenés en captivité. Quelques mois plus tard, ils sont transférés dans une forteresse dont le commandant n’est autre que Rauffenstein. Il invite Boeldieu à dîner et, entre aristocrates, noue une relation privilégiée avec lui.

 la grande illusion,renoir,gabin,dita parlo,pierre fresnay,von stroheim,carette,dalio           Ce film montre que la guerre favorise le brassage des classes sociales et, en même temps, il joue sur les oppositions entre les différents milieux. Le lieutenant Maréchal, donc Jean Gabin, est un peu rustre, il n’est pas très cultivé et son vocabulaire est limité. A l’opposé, le capitaine de Boeldieu a un langage recherché, il parle couramment l’anglais et a des gestes posés. L’aristocrate français est interprété par Pierre Fresnay, qui n’a pas besoin de beaucoup se forcer pour être suffisant.

            Mais, dans le film, Gabin et Fresnay se font voler la vedette par l’acteur qui interprète Rauffenstein : Erich von Stroheim. En pleine préparation du tournage, Renoir était en quête d’un acteur pour le personnage quand il apprit que von Stroheim, alors en France, serait intéressé par le rôle. Renoir vénérait von Stroheim qui avait été un grand réalisateur du cinéma muet. Mais, rejeté par Hollywood, il s’était résolu à quitter l’Amérique. Renoir lui confie le rôle, bien que le personnage occupe une place a priori réduite dans le scénario. Or, si von Stroheim est un grand metteur en scène, c’est d’abord un grand metteur en scène de lui-même. Il prend son rôle d’officier prussien très au sérieux et lui donne toute son ampleur. C’est lui qui a l’idée de porter une minerve qui confère la raideur qui sied au personnage. C’est encore lui qui a l’idée de rejeter son buste vers l’arrière dès qu’il boit un verre. La personnalité de Rauffenstein est tellement forte, ses gestes sont si bien étudiés, que von Stroheim finit par phagocyter le film. Voler la vedette à Gabin, il fallait le faire !

Roosevelt recommanda le film

            Pendant des décennies, la version qui fut diffusée était une version ramenée à une heure et demie, qui resserrait le film sur la relation Boeldieu-Rauffenstein. Rauffenstein donnait ainsi l’impression d’être le personnage central du film. Depuis quelques dizaines d’années, le film est présenté dans une version plus longue, de plus d’une heure quarante-cinq. Jean Gabin y prend plus de place. La séquence au cours de laquelle il trouve refuge dans une ferme est davantage développée. En compagnie de Dalio, dans le rôle d’un autre officier français, il est abrité par une jeune Allemande veuve de guerre, jouée par Dita Parlo. Dans son montage actuel, La Grande Illusion est plus conforme au projet que Renoir avait en tête. Mais, en contrepartie, le film souffre d’une baisse de rythme à partir du moment où Boeldieu et Rauffenstein disparaissent de l’histoire. Sans devenir inintéressant, le film perd de sa force et devient alors plus quelconque.

            Longtemps les critiques se sont demandé ce qu’il fallait entendre par la grande illusion. La version diffusée de nos jours permet de répondre à cette interrogation. A la fin du film, Gabin dit : « J’espère que c’est la dernière guerre » et Dalio lui répond : « Tu te fais vraiment des illusions ! »

            Il serait vain de multiplier les exégèses de ce film et d’y lire des messages que peut-être il ne contient pas. A sa sortie, en 1937, La Grand Illusion rencontra un succès mondial, alors que la menace de guerre ne cessait de monter. Le président Roosevelt déclara : « Toute personne qui croit en la démocratie devrait voir ce film ». Ce film aurait-il eu un si grand destin s’il n’avait bénéficié de la prestation de von Stroheim et s’il était sorti dans un autre contexte ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

 

La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937), avec Jean Gabin, Dita Parlo, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim, Carette et Dalio, DVD StudioCanal.