Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/09/2020

Les Inconnus dans la maison, d'Henri Decoin

Raimu ténor du barreau

Les Inconnus dans la maison

Dans ce film dont le scénario est de Clouzot, Raimu joue un avocat déchu et alcoolique qui reprend la robe pour défendre l’amoureux de sa fille. Sa plaidoirie aux Assises reste un modèle d’éloquence. Elle permet au spectateur d’aujourd’hui de savoir à quoi ressemblaient ceux que l’on appelait les ténors du barreau.

            Les Inconnus dans la maison est un roman de Simenon dont Clouzot tira un scénario qu’Henri Decoin mit en scène. Au sens strict, ce n’est pas un film de Clouzot, qui, à l’époque, n’avait pas encore acquis le statut de metteur en scène ; mais c’est bien son esprit, ainsi que celui de Simenon, que l’on retrouve ici.

      les inconnus dans la maison,henri decoin,raimu,juliette faber,jean tissier,jacques baumer,noël roquevert,mouloudji,clouzot,simenon      Dans le film, comme dans le livre, l’histoire débute la nuit, alors que la pluie tombe sur la ville. Un cadavre est découvert dans l’hôtel particulier de maître Loursat de Saint Marc, un ancien avocat qui, depuis la mort de sa femme, vit seul avec sa fille Nicole. Le Parquet ouvre une enquête et nomme un juge d’instruction, lequel concentre rapidement ses soupçons sur un club de jeunes gens qui a pour habitude de se réunir dans un café de la ville. Le magistrat suspecte particulièrement l’un des membres de la bande, Emile, qui est l’amoureux de Nicole.

            Dans cette œuvre, l’intrigue est secondaire. Ce qui est essentiel, c’est l’atmosphère (qui est sombre) et les personnages. Le premier d’entre eux, c’est maître Loursat, magistralement interprété par Raimu. Depuis qu’il a perdu sa femme, il est devenu alcoolique : il ne cesse de boire parce que, dit-il, il ne peut pas ne pas boire. Raimu, avec son col cassé et son regard flasque, ne peut se déplacer sans sa bouteille à la main et se montre incapable de s’asseoir sans s’affaler sur son siège. Il se lève entre onze heures du matin et quatre heures de l’après-midi, et ne se préoccupe plus de sa réputation.

            Or, dans cette ville de province, le « quand dira-t-on » est essentiel. Tout le monde se connaît ; ou, plus précisément, tous les bourgeois se connaissent entre eux. Le procureur est le beau-frère de maître Loursat, qui est, à ses yeux, la honte de la famille. Le magistrat ne veut surtout pas ébruiter l’affaire, d’autant plus que les membres du club sont des jeunes gens appartenant aux meilleures familles de la ville. Le scandale menace de rejaillir sur toute la bonne société. Heureusement, si l’on peut dire, le principal suspect, Emile, est d’un niveau social en dessous : il est commis dans une librairie et sa mère est obligée de travailler pour vivre. Les autres membres du club, eux, sont des fils à papa qui vivent dans l’oisiveté. Alors, pour tromper leur ennui, ils se retrouvent au bistrot et passent leurs soirées à discuter autour d’un verre. Pour égayer leurs soirées, ils se distraient comme ils peuvent, en chapardant.

Maître Raimu rappelle

ceux qu’on appelait alors les ténors du barreau

            La première partie du film est consacrée à la description des mœurs de cette ville de province, tandis que la seconde est consacrée au procès. Maître Loursat a décidé de reprendre la robe pour défendre Emile. Il cesse alors de boire et essaie de redevenir le brillant avocat qu’il était auparavant. C’est une véritable métamorphose.

            Devant les Assises, la plaidoirie de maître Loursat, ou plutôt de maître Raimu, est exemplaire : c’est un modèle d’éloquence, dans la lignée de ceux que l’on appelait alors les ténors du barreau. Il ne rechigne pas aux effets de manche et fait vibrer le jury au son de sa voix, comme s’il s’agissait d’un Stradivarius. A l'instar de Maigret, il fonctionne à l’intuition et fait appel à son imagination pour éclaircir l’affaire qui lui est soumise.

Ce film présente un tableau peu reluisant

de la bourgeoisie de province

            Tourné sous l’Occupation, le film fut produit par la Continental, société fondée par la Propagande allemande. Cela resta comme une tache sur cette œuvre et entraîna sa censure à la Libération, d’autant plus que l’on crut déceler des relents d’antisémitisme dans la manière dont est présenté le personnage joué par Mouloudji, l’acteur interprétant l’un des membres de la bande.

            D’une manière générale, on peut supposer que le tableau peu reluisant de la bourgeoisie de province, telle qu’elle est dépeinte dans ce film, avait tout pour déranger. Dans cette petite ville règne un esprit étriqué. Les enfants de notables sont étouffés par leurs parents et cherchent à échapper au conformisme de leur classe sociale ; dans ce but ils sont prêts à tous les écarts.

            On retrouve ici des thèmes que Clouzot allait plus tard développer dans son œuvre, une fois devenu son propre metteur en scène. On peut rapprocher Les Inconnus dans la maison du Corbeau, que Clouzot réalisa quelques mois après, et de La Vérité, dans laquelle, en 1960, il dirigea Brigitte Bardot. Dans ces deux films, Clouzot montre une vision sombre de l’humanité.

            En 1992, Georges Lautner tourna une nouvelle adaptation du roman de Simenon, avec Belmondo dans le rôle de maître Loursat. Belmondo y vit l’occasion de rendre hommage à Raimu, pour qui il avait une grande admiration. Le film de Lautner fut un échec en salles, et c’est la version avec Raimu qui reste la version de référence.

            En voyant Raimu, le spectateur d’aujourd’hui peut se faire une idée de ce à quoi ressemblaient, jadis, les plaidoiries des ténors du barreau.

 

Les Inconnus dans la maison, d’Henri Decoin, 1942, avec Raimu, Juliette Faber, Jean Tissier, Jacques Baumer, Noël Roquevert et Mouloudji, DVD MK2.

27/06/2016

Cartouche, de Philippe de Broca

Naissance du Belmondo sympathique et bondissant

Cartouche

Jean-Paul Belmondo multiplie les cascades dans ce film en costumes bourré de péripéties. Sa rencontre avec Philippe de Broca aura été déterminante. Le réalisateur aura contribué à la naissance de Bébel, acteur bondissant et populaire qui attire la sympathie du public.

            En 1961, Jean-Paul Belmondo, âgé de vingt-huit ans, faisait figure d’acteur fétiche de La Nouvelle Vague, suite au succès d’A bout de souffle, de Godard. Il avait alors l’image d’un comédien tournant dans des films à caractère intellectuel et appartenant à ce qu’on appelle le cinéma d’auteur. Sur le tournage d’un film de Chabrol, Belmondo fit la connaissance d’un garçon de son âge, Philippe de Broca, qui occupait un poste d’assistant-réalisateur. Les deux jeunes gens sympathisèrent.

   Cartouche, Philippe de Broca, Belmondo, Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Jess Hahn, Dalio, Noël Roquevert,Jacques Charon         Un jour de 1961, Philippe de Broca est contacté par un producteur pour adapter à l’écran Les Trois Mousquetaires. Enthousiasmé par la proposition, le jeune réalisateur contacte Belmondo pour qu’il soit la tête d’affiche du film. Mais un projet concurrent est déjà sur les rails, si bien que, pris de vitesse, Philippe de Broca se voit contraint d’abandonner. Mais il ne renonce pas pour autant à réaliser un film de cape et d’épée avec Belmondo en vedette. Passionné par la vie du célèbre brigand Cartouche, il décide d’en faire un héros de cinéma : ce sera un voleur au grand cœur, à mi-chemin entre Robin des Bois et Arsène Lupin.

            Pour les besoins du film, Belmondo, qui n’a jamais fait de cheval, prend des leçons d’équitation. En huit jours seulement, il apprend à monter et à cavaler. Le film prévoit aussi des scènes de duels et de bagarres que Belmondo décide d’exécuter lui-même, sans doublure. Il prend des leçons auprès d’un maître d’armes et se révèle si doué et si motivé que, là encore, il apprend très vite.

            Sur le plateau, Belmondo retrouve Claudia Cardinale, avec qui il avait déjà tourné en Italie, et Jean Rochefort, son camarade de la bande du Conservatoire. Quant à Dalio, vétéran du cinéma d’avant-guerre, il joue le rôle du chef des brigands, dont Cartouche dispute la prééminence.

Belmondo n'est pas sans rappeler Gérard Philippe

            Le film est bourré de péripéties, il n’y a pas un instant de répit. Belmondo est virevoltant de bout en bout. Il n’est pas sans rappeler Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, de Christian-Jaque. Dans les deux films on trouve un sergent recruteur qui fait signer au héros un engagement. Mais, tandis que Fanfan la Tulipe avait été tourné en noir et blanc, Cartouche, dix ans plus tard, bénéficie de la couleur et du format cinémascope, tel un film à grand spectacle. L’image est particulièrement soignée et les dialogues le sont tout autant. Le scénariste Daniel Boulanger a su faire contraster la gouaille de Belmondo avec le phrasé distingué et précieux des aristocrates du XVIIIe siècle. Jacques Charon, de la Comédie française, est particulièrement remarquable dans le rôle d’un colonel dont les victoires ne comptent pas le nombre de morts. Il allie parfaitement distinction, courtoisie et cynisme.

            Cartouche fit date dans la carrière de Belmondo. Grâce à Philippe de Broca, il put montrer qu’il n’était pas un acteur limité aux films intellectuels. Il savait aussi jouer des héros bondissants dans des films grand public. Comme le fait remarquer Bertrand Tessier dans son livre Belmondo l’incorrigible, c’est Philippe de Broca qui « va inventer Bébel, la star sympa qui sait mettre le spectateur de son côté. »

            Suite au succès de Cartouche, Belmondo allait tourner un nouveau film sous la direction de Philippe de Broca. Ce film, un film d’aventures, allait avoir pour titre L’Homme de Rio et allait faire de Belmondo la grande vedette qu’il est resté.

 

Cartouche, de Philippe de Broca, 1961, avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Jean Rochefort, Jess Hahn, Marcel Dalio, Noël Roquevert et Jacques Charon, DVD Wild Side Video.

14/03/2016

Les Diaboliques, de Clouzot

Le plus gros succès commercial de Clouzot

Les Diaboliques

Le directeur d’un pensionnat tyrannise son épouse et sa maîtresse. Les deux jeunes femmes veulent se débarrasser de lui et mettent au point le crime parfait. A sa sortie, le film de Clouzot, adapté d’un roman de Boileau-Narcejac, produisit un puissant effet sur les spectateurs. La scène finale les prenait par surprise.

            Sorties en 1955, Les Diaboliques furent le plus gros succès commercial de Clouzot et marquèrent l’apogée de sa carrière, quelques années après Le Salaire de la peur, qui, lui aussi, avait rencontré les faveurs du public.

  Les Diaboliques, clouzot, simone signoret, véra clouzot, paul meurisse, vanel, noël roquevert, michel serrault          Le titre Les Diaboliques est emprunté à Barbey d’Aurevilly, mais le film est l’adaptation du roman Celle qui n’était plus, écrit par un duo d’écrivains peu connus à l’époque, Boileau-Narcejac. Le livre racontait comment un homme, aidé par sa maîtresse, assassinait son épouse. Au-delà de l’intrigue policière, il y avait dans le livre un sous-entendu qui prêtait aux deux femmes des mœurs contraires aux normes de l’époque. Pour éviter de choquer une partie du public et attirer le maximum de spectateurs, Clouzot modifia le sexe des personnages. Dans le film, c’est l’homme qui est assassiné par sa femme et sa maîtresse, les deux femmes cherchant à se débarrasser de celui qui les fait souffrir en les harcelant.

            Par ailleurs, Clouzot transposa l’histoire dans un pensionnat, ce qui donne au film de faux airs de Disparus de Saint-Agil. Le côté féérique contraste avec la noirceur de l’histoire, et la présence de nombreux enfants à l’écran fait ressortir le caractère morbide de l’histoire.

            Le spectateur passe de longues minutes à assister à la préparation de ce qui s’annonce comme un crime parfait. Il est le témoin de l’hésitation des deux jeunes femmes et, par moments, il est tenté de les pousser au crime afin que l’histoire avance.

            Simone Signoret incarne la maîtresse de la future victime. A l’époque du tournage, elle est âgée d’une trentaine d’années et a gardé l’essentiel de sa beauté ; elle est inquiétante avec les lunettes noires derrière lesquelles elle se dissimule. Véra Clouzot joue le rôle de l’épouse bafouée. Bien que son expérience du cinéma était mince et se limitait à un petit rôle quasiment muet dans Le Salaire de la peur, son mari à la ville, Clouzot, était décidé à faire d’elle une star et lui attribua l’un des principaux rôles du film. Quant à Paul Meurisse, alors âgé d’une quarantaine d’années, il est le directeur de l’institution. Il se montre très autoritaire et prend du plaisir à tyranniser son épouse. Il est cependant condamné à mourir noyé dans une baignoire.

            A ce trio il faut ajouter Charles Vanel dans le rôle du commissaire, ainsi que Noël Roquevert et Michel Serrault. Serrault, âgé de vingt-six ans, faisait ses débuts au cinéma. Paraissant plus vieux que son âge, il est l’un des professeurs de l’institution.

Il est de bon ton de préférer Vertigo, d’Hitchcock,

aux Diaboliques, de Clouzot

            A sa sortie, le film fit un puissant effet sur les spectateurs. La dernière scène, inoubliable, les prenait par surprise. Clouzot, ayant anticipé leur réaction, avait interdit l’entrée en salle une fois le film commencé. Un carton placé à la fin annonçait : « Ne soyez pas diaboliques. Ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux. » Ce procédé fut repris, quelques années plus tard, par Hitchcock, pour la sortie de Psychose.

            Hitchcock avait failli adapter le roman de Boileau-Narcejac. Il avait lu Celle qui n’était plus et avait voulu en acheter les droits d’adaptation, mais il avait été devancé par Clouzot. Apprenant cela, Boileau-Narcejac écrivirent D’entre les morts, spécialement pour qu’Hitchcock en tire un film, ce qu’il fit sous le titre de Sueurs froides (Vertigo).

            Certains critiques se plaisent à comparer les deux adaptations, d’autant plus que Celle qui n’était plus et D’entre les morts ont été écrits par Boileau-Narcejac sur le même principe de base. Il est en général de bon ton de préférer le film d’Hitchcock à celui de Clouzot, attendu que le cinéaste français aurait abusé de grosses ficelles. Il est vrai qu’il est existe une différence de fond entre les deux cinéastes dans le traitement de leur histoire. Dans Sueurs froides, Hitchcock coupe court à la surprise finale et met le spectateur dans la confidence. Fidèle à ses préceptes, il préfère le suspense à la surprise. Clouzot, lui, a essayé de jouer sur les deux tableaux en faisant cohabiter suspense et surprise finale, si bien que Les Diaboliques produisent un effet très fort sur le spectateur qui le voit pour la première fois. Quand, quelques années plus tard, ce même spectateur a l’occasion de revoir le film de Clouzot, il a plaisir à retrouver les acteurs et l’atmosphère du pensionnat. Mais, comme la dernière scène est inoubliable et marque le spectateur à jamais, le plaisir peut être sérieusement émoussé, l’effet de surprise ne pouvant plus jouer à nouveau. Pour cette raison-là, bien que ce soit son plus gros succès, on peut préférer aux Diaboliques d’autres films de Clouzot, tels Le Salaire de la peur, Le Corbeau ou Quai des Orfèvres.

 

Les Diaboliques, d’Henri-Georges Clouzot, 1955, avec Simone Signoret, Véra Clouzot, Paul Meurisse, Charles Vanel, Noël Roquevert et Michel Serrault, DVD René Chateau Vidéo.