14/03/2016
Les Diaboliques, de Clouzot
Le plus gros succès commercial de Clouzot
Les Diaboliques
Le directeur d’un pensionnat tyrannise son épouse et sa maîtresse. Les deux jeunes femmes veulent se débarrasser de lui et mettent au point le crime parfait. A sa sortie, le film de Clouzot, adapté d’un roman de Boileau-Narcejac, produisit un puissant effet sur les spectateurs. La scène finale les prenait par surprise.
Sorties en 1955, Les Diaboliques furent le plus gros succès commercial de Clouzot et marquèrent l’apogée de sa carrière, quelques années après Le Salaire de la peur, qui, lui aussi, avait rencontré les faveurs du public.
Le titre Les Diaboliques est emprunté à Barbey d’Aurevilly, mais le film est l’adaptation du roman Celle qui n’était plus, écrit par un duo d’écrivains peu connus à l’époque, Boileau-Narcejac. Le livre racontait comment un homme, aidé par sa maîtresse, assassinait son épouse. Au-delà de l’intrigue policière, il y avait dans le livre un sous-entendu qui prêtait aux deux femmes des mœurs contraires aux normes de l’époque. Pour éviter de choquer une partie du public et attirer le maximum de spectateurs, Clouzot modifia le sexe des personnages. Dans le film, c’est l’homme qui est assassiné par sa femme et sa maîtresse, les deux femmes cherchant à se débarrasser de celui qui les fait souffrir en les harcelant.
Par ailleurs, Clouzot transposa l’histoire dans un pensionnat, ce qui donne au film de faux airs de Disparus de Saint-Agil. Le côté féérique contraste avec la noirceur de l’histoire, et la présence de nombreux enfants à l’écran fait ressortir le caractère morbide de l’histoire.
Le spectateur passe de longues minutes à assister à la préparation de ce qui s’annonce comme un crime parfait. Il est le témoin de l’hésitation des deux jeunes femmes et, par moments, il est tenté de les pousser au crime afin que l’histoire avance.
Simone Signoret incarne la maîtresse de la future victime. A l’époque du tournage, elle est âgée d’une trentaine d’années et a gardé l’essentiel de sa beauté ; elle est inquiétante avec les lunettes noires derrière lesquelles elle se dissimule. Véra Clouzot joue le rôle de l’épouse bafouée. Bien que son expérience du cinéma était mince et se limitait à un petit rôle quasiment muet dans Le Salaire de la peur, son mari à la ville, Clouzot, était décidé à faire d’elle une star et lui attribua l’un des principaux rôles du film. Quant à Paul Meurisse, alors âgé d’une quarantaine d’années, il est le directeur de l’institution. Il se montre très autoritaire et prend du plaisir à tyranniser son épouse. Il est cependant condamné à mourir noyé dans une baignoire.
A ce trio il faut ajouter Charles Vanel dans le rôle du commissaire, ainsi que Noël Roquevert et Michel Serrault. Serrault, âgé de vingt-six ans, faisait ses débuts au cinéma. Paraissant plus vieux que son âge, il est l’un des professeurs de l’institution.
Il est de bon ton de préférer Vertigo, d’Hitchcock,
aux Diaboliques, de Clouzot
A sa sortie, le film fit un puissant effet sur les spectateurs. La dernière scène, inoubliable, les prenait par surprise. Clouzot, ayant anticipé leur réaction, avait interdit l’entrée en salle une fois le film commencé. Un carton placé à la fin annonçait : « Ne soyez pas diaboliques. Ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux. » Ce procédé fut repris, quelques années plus tard, par Hitchcock, pour la sortie de Psychose.
Hitchcock avait failli adapter le roman de Boileau-Narcejac. Il avait lu Celle qui n’était plus et avait voulu en acheter les droits d’adaptation, mais il avait été devancé par Clouzot. Apprenant cela, Boileau-Narcejac écrivirent D’entre les morts, spécialement pour qu’Hitchcock en tire un film, ce qu’il fit sous le titre de Sueurs froides (Vertigo).
Certains critiques se plaisent à comparer les deux adaptations, d’autant plus que Celle qui n’était plus et D’entre les morts ont été écrits par Boileau-Narcejac sur le même principe de base. Il est en général de bon ton de préférer le film d’Hitchcock à celui de Clouzot, attendu que le cinéaste français aurait abusé de grosses ficelles. Il est vrai qu’il est existe une différence de fond entre les deux cinéastes dans le traitement de leur histoire. Dans Sueurs froides, Hitchcock coupe court à la surprise finale et met le spectateur dans la confidence. Fidèle à ses préceptes, il préfère le suspense à la surprise. Clouzot, lui, a essayé de jouer sur les deux tableaux en faisant cohabiter suspense et surprise finale, si bien que Les Diaboliques produisent un effet très fort sur le spectateur qui le voit pour la première fois. Quand, quelques années plus tard, ce même spectateur a l’occasion de revoir le film de Clouzot, il a plaisir à retrouver les acteurs et l’atmosphère du pensionnat. Mais, comme la dernière scène est inoubliable et marque le spectateur à jamais, le plaisir peut être sérieusement émoussé, l’effet de surprise ne pouvant plus jouer à nouveau. Pour cette raison-là, bien que ce soit son plus gros succès, on peut préférer aux Diaboliques d’autres films de Clouzot, tels Le Salaire de la peur, Le Corbeau ou Quai des Orfèvres.
Les Diaboliques, d’Henri-Georges Clouzot, 1955, avec Simone Signoret, Véra Clouzot, Paul Meurisse, Charles Vanel, Noël Roquevert et Michel Serrault, DVD René Chateau Vidéo.
07:30 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : les diaboliques, clouzot, simone signoret, véra clouzot, paul meurisse, vanel, noël roquevert, serrault | Lien permanent | Commentaires (0)
12/01/2015
Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville
Archétype du film de gangsters signé Melville
Le Deuxième Souffle
Lino Ventura joue le personnage de Gu, un gangster sur le retour. Il s’associe à des truands qui préparent l’attaque d’un fourgon de la Banque de France, et prévoit d’abattre de sang-froid les deux motards d’escorte. Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters tel que le conçoit Melville. Le temps s’écoule lentement, l’image est froide, mais le spectateur finit par s’attacher aux personnages.
De film en film, Jean-Pierre Melville a su créer un style qui lui soit propre. Certes il a emprunté des éléments aux films noirs américains, mais s’est bien gardé de réaliser de simples pastiches. Il a réussi à construire une œuvre originale, qui, depuis, a inspiré d’autres cinéastes, notamment américains, dans une espèce de mouvement d’aller et retour de part et d’autre de l’Atlantique.
Le Deuxième Souffle est bâti autour du personnage de Gu, truand sur le retour qui s’évade de prison. Dans sa cavale, il entre en contact avec les membres d’un gang qui cherchent un homme sûr et loyal pour les aider à monter un coup. Ils ont pour objectif d’intercepter et de dévaliser un fourgon de la Banque de France. Ils cooptent Gu, qui, fort de son expérience, doit tenir un rôle essentiel à la réussite du coup. Gu sera donc de la partie, mais, comme il est fatigué et a déjà beaucoup donné, il décide que cette participation sera la dernière avant son retrait définitif.
Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters signé Melville. Dès les premières images, une atmosphère lugubre s’installe : c’est l’hiver, il fait froid, la nuit est tombée, il n’y a pas un bruit, de hauts murs apparaissent, Gu est en train de s’évader. Dans le film, les gangsters sont habillés en gangsters, avec gabardines et chapeaux mous, et ils roulent dans de grosses américaines. On pourrait se croire en Amérique ; ainsi l’attaque du fourgon sur une petite route déserte à flanc de colline, rappelle les attaques de diligence dans le Far-West. Mais l’action se situe bien en France, en Provence pour l’essentiel. Ici, ce n’est pas la Provence de Pagnol et de Raimu qui est montrée, il fait froid dans les rues de Marseille et aucun personnage ne parle avec l’accent du Midi.
Les truands ont une morale très particulière. Lorsqu’ils attaquent le fourgon bancaire, ils abattent de sang-froid les deux motards d’escorte. Cela n’amuse nullement Gu d’agir ainsi, mais il dit ne pas pouvoir faire autrement. En revanche, il ne transige pas avec le code d’honneur du milieu et refuse, après son arrestation, de livrer le nom de ses complices. On en arrive même à une bizarrerie quand Gu décide de liquider le haut-fonctionnaire qui a donné le « tuyau » sur le fourgon, car, précise Gu, quelqu’un qui vend ses hommes et les envoie à la mort, n’est pas digne de confiance.
Le spectateur est en proie
à un sentiment ambivalent
Au moment crucial du film, Melville fait monter la tension ; il dilate le temps à son maximum dans la scène qui précède l’attaque du fourgon. Les minutes s’écoulent lentement et, pendant ce temps, le spectateur est en proie à un sentiment ambivalent. D’un côté il est mal à l’aise en pensant aux deux motards d’escorte qui vont mourir, et de l’autre il souhaite la réussite du coup, car il a fini par s’attacher et s’identifier au personnage du Gu.
Lino Ventura incarne Gu. Avec son pardessus, son chapeau, sa moustache et ses lunettes, il annonce le personnage qu’il jouera trois ans plus tard dans L’Armée des ombres du même Melville. Dans Le Deuxième Souffle, il est une silhouette, presqu’un spectre. On retrouve ici un thème récurrent dans l’œuvre de Melville : l’homme condamné d’avance, qui ne peut échapper à son implacable destin.
Le film oppose deux policiers aux styles et aux méthodes opposés. Paul Meurisse joue un commissaire qui se comporte en gentleman avec les gangsters et leurs maîtresses ; il est digne de respect, tandis que Paul Frankeur incarne un policier aux méthodes plus directes et plus brutales. Là aussi, une forme de morale très particulière finira par triompher.
Le film est long, il dure plus de deux heures, il est lent, et l’image en noir et blanc est froide. Certains spectateurs préfèreront « un bon vieux Jean Gabin » dialogué par Audiard, dans lequel les répliques fusent, si bien qu’on ne risque pas de s’ennuyer. Ici, il n’y a pas de bons mots, pas de dialogues inutiles, les personnages ne parlent que quand ils ont quelque chose à dire. Il n’y a pas de lourdeur non plus. Le Deuxième Souffle peut déstabiliser le jeune spectateur qui serait dopé au rythme trépidant des réalisations contemporaines. Mais, s’il se montre patient, il finira par s’attacher aux personnages et découvrira peu à peu des qualités insoupçonnées à l’œuvre de Melville.
Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville, 1966, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Raymond Pellegrin, Christine Fabrega, Paul Frankeur, Michel Constantin et Marcel Bozzuffi, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le deuxième souffle, jean-pierre melville, lino ventura, paul meurisse, raymond pellegrin, christine fabrega, paul frankeur, michel constantin, marcel bozzuffi | Lien permanent | Commentaires (0)
25/08/2014
La Vérité, de Clouzot
BB innocente
La Vérité
Clouzot dirige Brigitte Bardot dans un film aux dialogues mordants. L’actrice est poignante dans le rôle de Dominique, une fille facile qui comparait aux assises pour le meurtre de son amant. Le président de la cour, Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. Les avocats, Charles Vanel et Pau Meurisse rivalisent en effets de manche.
La vérité, qui donne son nom au film, est celle que doit établir la cour d’Assises de la Seine. Il s’agit donc de la vérité judiciaire. Les jurés ont à se prononcer sur l’accusation qui pèse sur la jeune Dominique Marceau, qui comparait pour le meurtre de Gilbert Tellier, son amant, mais aussi le fiancé de sa sœur. Si, comme les faits semblent le montrer, Dominique a froidement tué Gilbert parce qu’elle était jalouse de sa sœur, alors elle risque une très lourde peine, sachant que nombre d’éléments laissent supposer la préméditation. En revanche, si Dominique arrive à établir qu’elle était sincèrement amoureuse de Gilbert et qu’elle a agi par dépit et sans réfléchir, alors ses avocats pourront plaider le crime passionnel et faire valoir les circonstances atténuantes. Autrement dit, la cour doit examiner la nature du sentiment qui unissait Dominique et Gilbert, elle doit donc se livrer à un exercice très subjectif.
La Vérité est ce qu’on appelle un film de procès. Le spectateur suit l’audience en quasi-simultané. Dominique est interprétée par Brigitte Bardot et, au bout d’un moment, le spectateur ne sait plus très bien si la cour est chargée de juger Dominique ou la vraie Brigitte Bardot, tant les deux semblent se confondre dans l’amoralisme qui leur est reproché. Dominique est une fille facile. Elle passe le plus clair de son temps au lit dans sa chambre à Saint-Germain-des-Prés, et se donne au premier venu. Lorsqu’à l’audience le portrait de l’accusée est tracé, le président, choqué et presque dégoûté, insiste sur le fait qu’elle a lu du Simone de Beauvoir. Bref, qu’elle soit coupable ou non des faits qui lui sont reprochés, Dominique sape l’ordre établi. En conséquence, la société doit se protéger d’elle.
Par contraste, sa sœur, jouée par Marie-José Nat, est une fille travailleuse et rangée. Elle honore son père et sa mère. La victime, Gilbert Tellier, interprété par Sami Frey, est un jeune homme brillant, bien élevé, qui porte une cravate la plupart du temps. Mais la cour ne voit pas que derrière les apparences de civilité qu’affichait Gilbert, se cachait un amant volage, possessif et colérique.
Les avocats sont presqu’interchangeables
Le président de la cour, superbement interprété par Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. A plusieurs reprises, il juge que Dominique sort de la bienséance dans ses déclarations, il lui coupe sèchement la parole et la tance en lui lançant : « Votre comportement est intolérable ! ». Il est par ailleurs piquant de voir la justice reformuler des déclarations faites dans un langage cru, afin de leur donner une forme présentable.
Les avocats sont presqu’interchangeables. Charles Vanel défend Dominique, tandis que Paul Meurisse, pour la partie civile, représente la mère de Gilbert. Ils n’hésitent pas à isoler quelques mots d’une phrase, à les sortir de leur contexte, du moment que cela sert la cause qu’ils défendent. Les faits sont têtus, dit-on, mais un même fait peut recevoir deux interprétations complètement opposées, comme s’évertuent à le montrer les deux ténors du barreau qui s’affrontent. Paul Meurisse multiplie les effets de manche et Charles Vanel procède lui aussi de la sorte pour casser les effets produits par son confrère.
A travers Dominique, la cour fait le procès d’une jeunesse dépravée. Clouzot n’épargne pas cette justice aux accents moralisateurs, mais il n’est pas tendre non plus pour le milieu de Saint-Germain-des-Prés. On peut estimer que sa peinture de la jeunesse manque de nuances, c’est ce que déplora Les Cahiers du cinéma à la sortie du film en 1960. La revue dénonça également le caractère académique de la mise en scène et la fameuse « qualité française » dont elle entendait se débarrasser.
La Vérité n’est probablement pas le meilleur film de Clouzot, mais c’est quand même un très bon film. La réalisation est de facture classique : les scènes d’audience sont entrecoupées de retours en arrière qui retracent le drame. Cependant, il faut reconnaître que les différentes séquences s’enchainent bien entre elles. Les dialogues ne laissent pas de place à l’improvisation et peuvent paraitre trop écrits, mais ils sont mordants. Les acteurs sont brillants, notamment Brigitte Bardot qui est poignante et émeut par sa spontanéité. Après l’avoir vue, comment douter qu’elle dit la vérité ?
La Vérité, de Henri-Georges Clouzot (1960), avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Charles Vanel, Paul Meurisse, Louis Seigner et Marie-José Nat, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Drame, Film | Tags : la vérité, clouzot, brigitte bardot, sami frey, vanel, paul meurisse, louis seigner, marie-josé nat | Lien permanent | Commentaires (0)