30/01/2017
La Ruée vers l'Ouest (Cimarron), d'Anthony Mann
Œuvre mutilée, mais spectaculaire
La Ruée vers l’Ouest
(Cimarron)
Anthony Mann casse le mythe de la conquête de l’Ouest. Pour lui, ce n’est pas la soif de liberté, mais l’appât du gain qui fut la principale motivation des pionniers. Bien que mutilée par la Metro-Goldwin-Mayer, La Ruée vers l’Ouest reste un spectacle grand public contenant des scènes puissantes dans lesquelles on reconnaît la patte du réalisateur.
Le 22 avril 1889 au matin, des dizaines de milliers de colons étaient rassemblés aux frontières de l’Oklahoma. Venus avec leurs chariots, ils répondaient à l’appel du président des Etats-Unis, qui avait proclamé le territoire ouvert aux home seekers (les chercheurs de terre). Ce 22 avril, ce fut à midi précises que l’armée donna les coups de pistolet autorisant les colons à pénétrer en Oklahoma. Dès que le signal fut donné, les chevaux tirant les chariots s’élancèrent, dégageant d’impressionnants nuages de poussière. C’est le land run, la ruée vers la terre ; le premier arrivé est le premier servi ; le simple fait de planter un piquet sur une parcelle permet d’en revendiquer la propriété. Les colons, dont certains n’étaient arrivés qu’avec un dollar en poche, espéraient trouver en Oklahoma la terre promise, source de prospérité.
La ruée sur ce territoire reste une grande page de l’histoire américaine et a contribué au mythe de la conquête de l’Ouest. Dès 1931, l’un des premiers westerns parlants, Cimarron, d’après le roman d’Edna Ferber, racontait les conditions de la colonisation de l’Oklahoma. Ce film avait été l’un des grands succès de la MGM. Près de trente ans plus tard, à la fin des années cinquante, Edmund Granger, l’un des producteurs du célèbre studio, décida de tourner une nouvelle version de Cimarron, en couleur et en cinémascope. Il confia la mise en scène à Anthony Mann, réalisateur réputé de westerns, qui, quelques années plus tôt, avaient relancé la carrière de James Stewart.
Anthony Mann bénéficia de moyens importants. Le film fut entièrement tourné en extérieurs et en décors naturels, sans faire appel aux fameuses transparences chères au Hollywood de l’époque. De très nombreux figurants furent recrutés et trois-cents chariots furent nécessaires pour tourner la séquence de la ruée sur l’Oklahoma. Le résultat à l’écran est spectaculaire.
Le héros s’appelle Yancey Cravat ; il a reçu le surnom de Cimarron, parce qu’il est, nous dit-on, tête brûlée et indompté. Après avoir fait tous les métiers, il s’est marié, et avec sa jeune épouse il compte prendre possession d’une parcelle en Oklahoma. Il souhaite se stabiliser en cultivant la terre et en élevant des enfants. Mais un jour il est témoin du lynchage d’un Indien. Furieux d’avoir été le spectateur impuissant d’un crime, il est décidé à ne plus laisser passer la moindre injustice. Il prend la direction du journal local et entame un combat contre la violence, l’intolérance et l’inégalité.
Pendant qu’il se bat pour ses idées, d’autres colons, plus pragmatiques, travaillent la terre à la sueur de leur front, capitalisent… et font fortune. Quand Tom, un paysan mal dégrossi, a besoin d’un coup de main, il s’adresse à Yancey Cravat. Celui-ci, très avisé, lui recommande de prospecter le sous-sol. Le conseil s’avère judicieux, car Tom finit par trouver du pétrole. C’est ainsi qu’en quelques années le simple fermier qu’il était devient l’un des plus gros industriels de l’Oklahoma. Sa fortune faite, il devient un notable cynique et plein de morgue.
Pour Yancey Cravat, un compte en banque bien fourni n’est en rien
l’indicateur de l’accomplissement d’une vie
Anthony Mann montre la rapidité de la transformation de ce nouveau territoire. Au début du film, les colons se déplacent à cheval et dorment à la belle étoile. A la fin du film, ils circulent en automobile, communiquent par téléphone et édifient les premiers gratte-ciel, dotés d’ascenseurs. Ce fulgurant développement a été possible du fait de la dureté au travail de certains colons, mais aussi du fait de leur avidité. Leurs motivations sont uniquement matérielles, un quelconque idéal de liberté et de justice leur est complètement étranger. D’où l’ambiguïté du film.
Yancey Cravat, lui, ne veut pas entrer dans ce jeu. Au grand désespoir de sa femme, il refuse le fauteuil de gouverneur que lui a proposé un comité de notables, qui cherchaient à récupérer une part de sa notoriété. Il est vrai que l’offre n’était pas dénuée d’arrière-pensées : les notable attendaient de lui une contrepartie, à savoir un certain degré de « coopération » de sa part. Pour Cravat, qui est un incorruptible, de telles conditions sont inacceptables. Il décline le poste afin de garder sa liberté. Quand sa femme lui fait observer que tous leurs amis sont devenus millionnaires, Yancey lui répond qu’un compte en banque bien fourni n’est en rien l’indicateur de l’accomplissement d’une vie.
En réalité, Yancey Cravat est un éternel insatisfait qui ne tient pas en place. Quand on le croit encore ici, il est déjà là-bas. Il abandonne sa femme et son fils pour défendre le pauvre et combattre l’injustice. En 1914, lorsque la guerre éclate en Europe, il s’engage comme volontaire dans l’armée britannique.
Ironie de l’histoire : des années plus tard, quand les notables voudront célébrer ce que fut l’esprit pionnier, ils édifieront une statue en mémoire de Yancey Cravat, alors que celui-ci se sera battu, toute sa vie, pour des valeurs qu’eux-mêmes auront allègrement piétinées.
Quand il comprit les intentions d’Anthony Mann,
le producteur s’affola et interrompit le tournage
Anthony Mann, fidèle à lui-même, ne se borna pas à tourner un livre d’images. Il voulut donner une dimension politique à son film et introduisit de la complexité dans les caractères. En plein tournage, le producteur Edmund Granger découvrit les intentions d’Anthony Mann et prit conscience qu’il était en train de s’éloigner du projet initial, qui était de célébrer un mythe de l’histoire américaine. Edmund Granger s’affola et interrompit le tournage. Il coupa des scènes au montage et en intercala d’autres, qu’il fit tourner par d’autres réalisateurs, et qui sont les moins réussies du film.
Anthony Mann, tenu à l’écart, ne reconnut pas son œuvre et la désavoua. La Ruée vers l’Ouest est donc une œuvre mutilée qui ne correspond pas au film qu’il avait en tête. Cependant l’ensemble est agréable à regarder et contient des scènes puissantes dans lesquelles on reconnaît la patte du réalisateur. Les puristes préfèrent en général ses précédents westerns, qui sont beaucoup plus personnels ; mais celui-ci touche davantage le public amateur de films à grand spectacle.
La Ruée vers l’Ouest (Cimarron), d’Anthony Mann, 1960, avec Glenn Ford, Maria Schell et Anne Baxter, DVD Warner Home Vidéo.
09:28 Publié dans Film, Western | Tags : la ruée vers l’ouest, cimarron, anthony mann, glenn ford, maria schell, anne baxter | Lien permanent | Commentaires (0)
20/07/2015
Le Cid, d'Anthony Mann
Film puissant et épique
Le Cid
Le Cid est un film à grand spectacle qui peut être vu par tous les publics. Anthony Man donne du souffle à sa réalisation et dirige un Charlon Heston tourmenté dans le rôle du Cid. Le film propose aussi une réflexion sur le pouvoir et les luttes qu’il entraîne.
A la fin des années quarante, Anthony Mann s’était fait remarquer par les films noirs qu’il avait réalisés. Dans les années 50, il se fit un nom dans le western en tournant une série de films ayant James Stewart pour vedette. Le succès fut au rendez-vous et cela contribua à remettre sur selle Stewart dont la carrière piétinait depuis la fin de la guerre. De nos jours, certains spécialistes placent très haut les films réalisés par Anthony Mann pendant toutes ces années. Clint Eastwood, pour sa part, aime à dire que si Anthony Mann n’était pas mort prématurément en 1966, il lui aurait demandé de le diriger dans L’Inspecteur Harry.
Au début des années soixante, le producteur Samuel Bronston se lança dans la mise en chantier de grandes fresques historiques destinées à rivaliser avec la télévision. Il fit appel à Anthony Mann pour réaliser un film sur le Cid. Aujourd’hui encore, certains de ceux qui louent les films noirs et les westerns d’Anthony Mann estiment qu’il s’est fourvoyé en acceptant de se lancer dans une telle superproduction qui n’ajoute rien à sa gloire. On peut ne pas partager ce point de vue. Le résultat ne manque pas d’ampleur, Anthony Mann montre qu’il est capable de diriger des milliers de figurants dans de grandes scènes de bataille. ; il utilise intelligemment le cinémascope et surtout il donne du souffle à son film et fait de la vie du Cid une véritable épopée.
Le Cid a vraiment existé. Rodrigo Diaz de Vivar, dit le Cid, est né en 1043 et est mort en 1099, à Valence. Dès les premières minutes du film, le Cid apparaît comme un héros déchiré. Pour venger l’honneur de son père, il se bat en duel avec l’homme qui l’a bafoué. Bien que son adversaire soit le père de sa fiancée Chimène, donc son futur beau-père, il va jusqu’à le tuer. Il prend le risque de perdre l’amour de Chimène pour sauver l’honneur de son père.
Après sa victoire contre des Maures, au lieu d’exterminer ses prisonniers, le Cid les épargne, mais ne sait dire pourquoi. Ce n’est pas un surhomme, c’est un personnage traversé par le doute, mais son doute n’est pas stérile, il débouche sur l’action. Le Cid met son épée au service du roi pour la libération du territoire. Il place l’intérêt de l’Espagne au-dessus de tout. Non sans difficulté, il va jusqu’à sacrifier son bonheur personnel à la cause qu’il sert. Dans le film, il est beaucoup question de la parole donnée. Ainsi le Cid est fidèle à son serment, il se bat pour le roi qu’il a juré de servir, quels que soient ses sentiments personnels à l’égard de son souverain.
Le film aurait pu se résumer à un conflit de civilisation opposant chrétiens et musulmans. Mais la situation n’est pas aussi simple que cela. Les chrétiens eux-mêmes sont désunis. La Castille et l’Aragon se font la guerre, et deux frères se disputent la triple couronne de Castille. Pour sa part, le Cid ose se tourner vers des sarrasins d’Espagne et s’allient avec eux pour lutter contre l’émir Ben Youssouf, venu d’Afrique du nord. Une scène du film montre des soldats chrétiens fraternisant avec des soldats musulmans.
Le courage ne suffit pas à faire un roi.
Encore faut-il savoir écouter et faire preuve de tempérance,
de constance et de volonté
Tout en étant un spectacle destiné au grand public, Le Cid est aussi une réflexion passionnante sur le pouvoir. Le jeune roi d’Aragon commet erreurs sur erreurs. Il ne supporte pas que les faits donnent raison au Cid, qui s’opposait à sa vision des choses. Mais, plutôt que de faire amende honorable, le roi fait du Cid le bouc-émissaire de ses propres errements. D’une certaine manière, on peut y voir une illustration de la théorie du bouc-émissaire, telle que l’a développée René Girard. Jaloux du Cid, le jeune roi va jusqu’à s’automutiler, afin de convaincre chacun de son courage. Mais le film nous enseigne que le courage ne suffit pas pour faire un roi. Encore faut-il savoir écouter, faire preuve de tempérance, de constance et de volonté.
La scène d’automutilation et le personnage du jeune souverain psychologiquement instable, qui figurent dans Le Cid, seront repris, deux ans plus tard, par Anthony Mann dans son film La Chute de l’Empire romain, qui prolonge sa réflexion sur le pouvoir et les luttes qu’il entraîne.
Contrairement aux apparences, Le Cid ne se réduit pas à une accumulation de péripéties et de scènes de batailles, aussi réussies soient-elles. C’est une œuvre ambitieuse et puissante. Le personnage du Cid est interprété par Charlton Heston. Malgré sa carrure impressionnante et la série de victoire qu’il emporte, il ne cesse d’être tourmenté. Quant à Chimène, jouée par Sophia Loren, elle finira par faire passer l’Espagne avant son amour pour le Cid. Le film est indissociable de la musique de Miklos Rozsa, qui lui donne un souffle supplémentaire.
Le final du film est inoubliable. Il fait entrer le héros dans la légende. Alors que Valence est assiégée par les Maures, son ultime sortie achève de faire du Cid un héros messianique.
Le Cid, d’Anthony Mann, 1961, avec Charlton Heston, Sophia Loren, Raf Vallone et Geneviève Page, DVD Filmedia Opening.
07:30 Publié dans Film, Fresque historique, péplum, film en costumes, Histoire | Tags : le cid, anthony mann, charlton heston, sophia loren, raf vallone, geneviève page | Lien permanent | Commentaires (0)
13/09/2013
Cote 465 (Men in war), d'Anthony Mann
Les horreurs de la guerre
La Cote 465 (Men in war)
Dans Cote 465 (Men in war) Anthony Mann nous fait partager la vie d’une section de l’armée américaine plongée dans la guerre de Corée. Avec eux nous guettons l’ennemi, et avec eux nous essayons de surmonter la peur qui nous envahit.
Pour les amateurs du genre, la Cote 465 (Men in war) est un film de guerre à voir. D’abord, c’est un film signé Anthony Mann, or les films d’Anthony Mann, même ceux qui ont moins bonne réputation, sont des œuvres puissantes, tant le réalisateur fait preuve de personnalité et de maîtrise dans le traitement des sujets. Ensuite, c’est l’un des meilleurs films de guerre jamais tourné.
Men in war (le titre original est plus évocateur), littéralement Des hommes dans la guerre, a été tourné en 1957 et renouvelle profondément le genre. L’action se déroule quelques années plus tôt en Corée. Une section de l’armée américaine, commandée par le lieutenant Benson, est perdue en territoire ennemi. Elle cherche à rejoindre son régiment, quand elle tombe sur une jeep avec à son bord deux hommes fuyant les combats. Le véhicule est conduit par le sergent Montana, qui transporte son colonel, hagard et en état de choc.
Le film montre comment la section d’échapper à l’ennemi. La tension est permanente. Les soldats sont peut-être des héros, mais avant tout ce sont des hommes, et ils ont peur. Cette peur, le spectateur la ressent et la partage. Le visage du colonel, paralysé et hébété malgré ses galons et ses décorations, est impressionnant. L’ennemi peut être caché n’importe où. Il est à l’affût, prêt à bondir sur vous. Chaque buisson est une menace et peut se révéler un piège mortel. Les avant-plans de branchages sont nombreux à l’image et presqu’obsédants. Et comme si cela ne suffisait pas, une opposition se fait jour entre le lieutenant Benson et le sergent Montana. Le lieutenant est un officier réaliste, lucide et profondément humain. Le sergent est un sous-officier brutal, presque bestial et qui tire avant de réfléchir. Et, après quelques escarmouches, à qui les faits donnent-ils raisons ? Au lieutenant Benson ? non. Au sergent Montana ? oui. Sa bestialité et son instinct de survie sauvent à plusieurs reprises la section.
Sans aucun doute, Men in war a renouvelé le film de guerre par sa sécheresse presque documentaire, par sa brutalité, mais aussi par son humanisme. Ce film aurait pu être conçu sans musique, et pourtant, la musique d’Elmer Bernstein ajoute un supplément de tension et fait de Men in war une œuvre complète. Robert Ryan est à l’aise dans le rôle du lieutenant Benson et Aldo Ray, qui fut homme-grenouille pendant la seconde guerre mondiale, est plus vrai que nature dans le rôle du sergent Montana.
La Cote 465 (Men in war), un film d’Anthony Mann (1957) avec Robert Ryan et Aldo Ray, DVD Wild Side Video.
08:23 Publié dans Film, Film de guerre, Histoire | Tags : anthony mann, men in war, cote 465 | Lien permanent | Commentaires (0)