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27/03/2017

La Nuit des généraux, de Litvak

Thriller insolite

La Nuit des généraux

En pleine Seconde Guerre mondiale, un officier de l’armée allemande enquête sur l’un de ses supérieurs soupçonné d’être un tueur en série. Peter O’Toole dans le rôle du meurtrier semble sorti d’un roman de Dostoïevski. Sous forme de film policier, La Nuit des généraux est un réquisitoire subtil contre la guerre et ses sacrifices inutiles.

             A Varsovie, en 1942, le corps d’une prostituée est retrouvé lardé de coups de couteau, dans un appartement de la ville. Le commandant Grau, de la Wehrmacht, est chargé de l’enquête. L’un des habitants de l’immeuble ose à peine lui révéler ce dont il a été le témoin : il a aperçu un officier allemand prendre la fuite en dévalant l’escalier ; il n’a vu que son pantalon, lequel comportait une large bande rouge sur le côté. Autrement dit, il s’agissait d’un général de l’armée allemande. Le commandant Grau, plutôt que de réfuter le témoignage, le prend très au sérieux et se passionne pour l’affaire. Il veut démasquer le général meurtrier.

             Une dla nuit des généraux,litvak,peter o’toole,omar sharif,philippe noiret,tom courtenay,donald pleasancee ses connaissances fait observer au commandant Grau qu’il n’y a pas lieu de s’offusquer de l’existence d’un général meurtrier, attendu que le meurtre est l’occupation de tous les généraux. Grau balaie cette objection d’un revers de la main et répond : « Ce qui est admirable sur une grande échelle est monstrueux sur une petite échelle. Comme il faut que les meurtriers de masse soient décorés, essayons d’appliquer la justice aux petits entrepreneurs. »

             Alors qu’une guerre mondiale se déroule sous les yeux du spectateur, alors que chaque jour des dizaines de milliers d’hommes meurent sur l’ensemble des théâtres d’opération, Grau, lui, poursuit son idée fixe et ne s’intéresse à rien d’autre qu’à son enquête. Peu lui importe le sort du monde, de l’Europe et de l’Allemagne ; il n’aura l’esprit tranquille que quand il aura arrêté son général meurtrier de prostituées.

               La liste des suspects se limite bientôt à trois généraux aux profils bien différents :

  • Le général von Seydlitz-Gabler, un aristocrate au physique imposant, mari fidèle et bon père de famille, homme d’une grande prudence, surtout préoccupé de sortir vivant de la guerre ;
  • Le général Kahlenberg, un moine-soldat, court de taille, au physique ingrat et au tempérament austère, dont l’armée est la seule compagne ;
  • Le général Tanz, l’archétype du soldat aryen, un athlète blond aux yeux bleus, qui prend plaisir à faire la guerre et qui fait détruire au lance-flammes un quartier entier de Varsovie, rien que pour jouir de la beauté du spectacle offert à ses yeux.

Tanz tue de sang-froid

et se veut un artiste du crime

qui prépare chacune de ses compositions

             En réalité, Tanz, interprété par Peter O’Toole, se veut un artiste du crime. Comme un peintre compose ses tableaux, il prépare ses meurtres avec soin. Il sait à l’avance comment il agira pour ne pas être identifié et pour que les soupçons retombent sur un tiers. Tanz semble sorti d’un roman de Dostoïevski et fait penser à certains de ses personnages qui ne tuent pas sous le coup de l’émotion, dans un accès de colère, mais qui tuent de sang-froid et de manière raisonnée. En cela, c’est un possédé.

            Kessel est le co-auteur du scénario de ce film d’Anatole Litvak. Plus de trente ans auparavant, en 1935, Litvak avait adapté L’Equipage, l’un des best-sellers de Kessel. L’année suivante, leur collaboration avait donné Mayerling, qui fut l’un des plus grands succès commerciaux du cinéma français d’entre-les-deux-guerres. En 1966, ils se retrouvèrent pour La Nuit des généraux.

            L’intrigue est narrée sous forme de retours en arrière. Le film s’attarde sur l’Allemagne de l’après-guerre, un pays prospère qui jouit du miracle économique, alors que vingt ans plus tôt il ressemblait à un champ de ruines. D’anciens généraux de la Wehrmacht sont devenus de paisibles retraités ou d’honorables hommes d’affaires ; ils se montrent soucieux de leur respectabilité dans une RFA qui est devenue pacifique et qui ne semble pas s’encombrer d’un quelconque sentiment de culpabilité.

            Les décors du film sont signés d’Alexandre Trauner, lequel fut le plus grand décorateur de l’histoire du cinéma. A l’écran, le contraste est saisissant entre les villes allemandes, reconstruites après la guerre, et le Varsovie de l’Occupation, dont un quartier est détruit au lance-flammes par la Wehrmacht.

           Sous l’apparence d’un film policier, La Nuit des généraux est un réquisitoire subtil contre la guerre avec ses morts et ses sacrifices inutiles, et même son héroïsme inutile. Film plus profond qu’il n’y paraît au premier abord, La Nuit des généraux est un thriller insolite, passionnant de bout en bout.

 

La Nuit des généraux, d’Anatole Litvak, 1966, avec Peter O’Toole, Omar Sharif, Philippe Noiret, Tom Courtenay et Donald Pleasance, DVD Sony Pictures.

08/09/2014

Mayerling, de Litvak

Le drame d’un amour impossible

Mayerling

Le film d’Anatole Litvak retrace les événements qui ont conduit au double suicide de l’archiduc Rodolphe et sa maîtresse Marie Vetsera. Le spectateur est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal. Mayerling, qui rencontra le succès à sa sortie en 1936, est servi par deux acteurs exceptionnels, Charles Boyer et Danielle Darrieux.

            En général, les films inspirés de faits historiques célèbres ont une fâcheuse tendance à être ennuyeux, tant ils essayent de coller à la réalité. Mayerling, d’Anatole Litvak, fait exception. Le film, qui rencontra le succès international à sa sortie en 1936, est avant tout une tragédie contant l’histoire d’un amour impossible entre un prince et une jeune femme.

           mayerling,litvak,charles boyer,danielle darrieux,jean debucourt,suzy prim,jean dax,kessel L’archiduc Rodolphe, héritier des deux couronnes d’Autriche et de Hongrie, épouse la princesse Stéphanie de Belgique. Ce mariage lui a été imposé par son père l’empereur François-Joseph. Mais un jour, lors d’une rencontre fortuite, Rodolphe fait la connaissance de Marie Vetsera, une jeune fille de la noblesse, dont il tombe aussitôt amoureux. L’empereur apprend la liaison et somme son fils de la rompre. Rodolphe déclare à son père qu’il a demandé à Rome l’annulation de son mariage, pour être libre d’épouser Marie. L’empereur est furieux.

            Le spectateur connait d’avance la fin du film, et pourtant il est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal qui empêchera à jamais leur union d’être brisée par autrui. En attendant le dénouement inéluctable, on chante et on danse beaucoup dans Mayerling. Les concerts et les bals sont nombreux dans la Vienne impériale, mais la tragédie plane.

            Les deux acteurs principaux sont exceptionnels. Charles Boyer interprète Rodolphe comme rarement un acteur aura joué le rôle d’un prince, tant il fait preuve de distinction. Même saoul au sortir d’une orgie, il continue d’en imposer. Il est nerveux tout au long du film, c’est un agité, mais un agité distingué. Mayerling contribua à la célébrité internationale de Charles Boyer, à qui Hollywood avait ouvert ses portes. Maurice Chevalier mis à part, Charles Boyer aura été le seul acteur français à réussir sa carrière américaine.

            Danielle Darrieux, dans le rôle de Marie Vetsera, offre la fraicheur de ses dix-neuf ans. Précédemment, elle avait montré sa capacité à jouer les jeunes filles espiègles dans des comédies alertes, telle Mauvaise Graine, de Billy Wilder. Cette fois elle montre sa capacité à interpréter un rôle grave. Elle est une Marie Vetsera qui réussit en même temps à être ingénue et lucide. On comprend que Rodolphe ait succombé à son charme. Plus tard dans sa carrière, Danielle Darrieux montra sa capacité à accepter les années qui passent, en jouant des femmes d’âge mûr souvent calculatrices ; on peut penser à Madame de…, de Max Ophuls, dans lequel, en 1953, elle retrouva Charles Boyer.

Les dialogues sont de Kessel

            Les rôles secondaires sont aussi très bien interprétés. Jean Dax est un empereur François-Joseph à l’esprit étroit et borné. Suzy Prim est l’entremetteuse, dans le rôle de la comtesse Larish. Quant à Jean Debucourt, il est un premier ministre obséquieux et sournois.

            Le film est rythmé. La musique est enivrante et les décors sont somptueux. On se croirait vraiment dans la Vienne impériale. Les dialogues sont signés de Joseph Kessel, dont Litvak venait d’adapter, avec succès, le roman L’Equipage. Après la sortie de Mayerling, Litvak quitta la France pour l’Amérique. Il revint en Europe dans les années soixante, pour y tourner La Nuit des généraux, film policier singulier qui se déroulait en pleine seconde guerre mondiale.

            Il existe une version en couleur et en cinémascope de Mayerling. Elle fut tournée par Terence Young en 1968, avec Omar Sharif et Catherine Deneuve. Bien qu’ayant tendance à être ennuyeuse, elle reste regardable, mais fait pâle figure à côté de la version de Litvak.

 

Mayerling, d’Anatole Litvak (1936), avec Charles Boyer, Danielle Darrieux, Jean Debucourt, Suzy Prim et Jean Dax, DVD StudioCanal.