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15/12/2014

Le Voyage en Italie, de Rossellini

Le miracle de Rossellini

Le Voyage en Italie

Un couple se délite sous les yeux du spectateur. A l’occasion d’un voyage en Italie, M. et Mme Joyce en sont réduits à un tête-à-tête difficilement supportable. Ils échangent des propos aigres-doux et ne cessent de se disputer, même si en gens bien élevés ils n’élèvent jamais la voix. Seul un miracle pourrait sauver leur union. Dans ce film regardé aujourd’hui comme un chef-d’œuvre, Rossellini dirige Ingrid Bergman et George Sanders.

            Un couple de Britanniques, M. et Mme Joyce, fait un voyage en Italie suite au décès de leur oncle. Ils ont hérité de sa villa de Capri et se rendent sur place pour procéder à la vente. Très vite le spectateur s’aperçoit que M. et Mme Joyce ne s’aiment pas beaucoup. Leur entente n’est que de façade, elle est uniquement destinée au monde extérieur. Quand ils sont tous les deux, leur conversation se limite à l’échange de propos aigres-doux. Leur couple est en train de se déliter.

           le voyage en italie,rossellini,ingrid bergman,george sanders Le spectateur est invité à partager leur vie quotidienne et, de fait, pourrait se sentir comme un étranger. Après tout, c’est une situation qui met mal à l’aise que d’assister à des scènes de ménage. Pourtant le spectateur s’attache à M. et Mme Joyce. Transformé en psychothérapeute de salon, il essaye d’analyser les déboires du couple et veut comprendre comment ils ont pu en arriver là.

            M. et Mme Joyce sont d’âge mûr. M. Joyce est bien bâti et distingué. Madame Joyce, malgré la quarantaine approchant, reste belle et n’a pas encore perdu toute sa fraicheur. Ils n’ont pas de problème d’argent : ils roulent en Rolls-Royce et la perspective de prendre l’avion – nous sommes en 1954 - leur parait naturelle. Vis-à-vis du monde extérieur, en face de leurs amis notamment, ils sont très posés et donnent l’image d’un couple uni.

            Mais M. et Mme Joyce sont partis pour l’Italie sans leurs amis. Après huit ans de mariage, ce voyage constitue l’une des rares fois où ils sont condamnés à être tous les deux seuls, ils en sont réduits à un tête-à-tête difficilement supportable. Ils sont étrangers l’un pour l’autre et s’aperçoivent qu’ils n’ont aucun centre d’intérêt en commun. Mme Joyce est intellectuelle, elle a un côté romantique qui fait ricaner son mari, elle est férue de poésie et aime visiter les musées. Lui, déteste les musées ; il prétend s’y ennuyer. Il préfère une bonne bouteille de vin, la compagnie de jolies filles, et, dit-il, l’action.

            Le couple n’a pas d’enfant. D’où une souffrance de Mme Joyce qui trouve si beaux les enfants italiens. Ils n’ont qu’une seule voiture, objet de dispute. Un matin, alors que Monsieur continue de dormir, Madame emprunte la Rolls pour faire un tour en ville. A son retour, elle trouve son mari furieux qu’elle ne lui ait pas demandé si cela le gênait qu’elle prenne la voiture. Mais, comme les Joyce sont des gens bien élevés, jamais ils n’élèvent la voix. Toujours ils gardent leur sang-froid, la colère est intérieure. Cette dispute est l’incident de trop. Ils envisagent le divorce.

            Seul un miracle pourrait sauver le couple.

            Mme Joyce est interprétée par Ingrid Bergman, la compagne de Rossellini. Quant à M. Joyce, il est incarné par George Sanders. Le rôle semble avoir été écrit pour lui. Il est désabusé et traîne son ennui à travers l’Italie. Seul un verre de vin ou le sourire d’une jolie fille le sortent de sa torpeur. La version originale est en anglais ; ce qui permet au spectateur de profiter de la voix chaude et onctueuse de George Sanders, et de l’accent scandinave d’Ingrid Bergman.

            De nos jours, Le Voyage en Italie est regardé comme un chef d’œuvre de Rossellini. La scène finale du film permet de comprendre pourquoi le réalisateur fut considéré par certains comme un cinéaste d’inspiration catholique.

 

Le Voyage en Italie, de Roberto Rossellini, 1954, avec Ingrid Bergman et George Sanders, DVD Arte Editions.

08/12/2014

Passion française, les voix des cités, de Gilles Kepel

Nouveaux visages de la France

Passion française,

les voix des cités

Gilles Kepel, orientaliste reconnu, se rend à Marseille et à Roubaix-Tourcoing pour y rencontrer des candidats aux élections, issus de l’immigration. C’est l’occasion d’un coup de projecteur sur les quartiers populaires des deux métropoles. A Marseille, Kepel est frappé de l’importance prise par le trafic des stupéfiants. Il note aussi la présence ostensible du salafisme, qu’il retrouve à Roubaix.

            Gilles Kepel est l’un des plus grands spécialistes français du monde musulman. C’est un spécialiste reconnu qui analyse froidement son objet d’étude. On peut dire de lui qu’il parle des passions sans passion et sans emportement. A l’occasion des élections législatives de 2012, il a constaté que, pour la première fois, un nombre non négligeable de candidats étaient issus de l’immigration. Au total, il en a dénombré quatre-cents à travers le territoire français. Kepel est allé à leur rencontre après les élections, pour savoir qui ils sont, ce qu’ils pensent et ce qui motive leur action politique.

 passion française,les voix des cités,gilles kepel           Passion française, les Voix des cités compile les interviews des candidats aux élections, à Marseille et à Roubaix-Tourcoing. Kepel a choisi de rapprocher les deux métropoles, parce qu’elles ont le point commun de posséder un électorat populaire important et parce qu’elles sont situées aux extrémités d’une méridienne qui sépare la France de part et d’autre.

            Kepel ne se borne pas à livrer des interviews brutes, il y ajoute ses commentaires et une mise en perspective, qui constituent la véritable valeur ajoutée de l’ouvrage.

            En traversant les quartiers populaires de Marseille, Kepel est frappé des bouleversements qui se sont produits en l’espace d’une génération. Dès les années 80, les drogues dures faisaient leur apparition, mais, trente ans plus tard, elles sont devenues omniprésentes, au point que l’auteur s’interroge sur l’existence d’un prétendu modèle marseillais qui avait pourtant été vanté par les pouvoirs publics, notamment lors des émeutes urbaines de 2005. Pendant les événements, la ville était étrangement restée calme ; mais, se demande Kepel, n’est-ce pas parce que Marseille est sous la coupe des caïds qui étaient décidés à faire régner l’ordre, afin de ne pas gêner leurs affaires ? En 2012, Samia Ghali, du Parti socialiste, sénateur des Bouches-du-Rhône, a déclenché une polémique en déclarant souhaiter l’intervention de l’armée pour mettre fin aux trafics. Elle explique à Kepel qu’elle a déjà entendu, au sein des familles dont un enfant se drogue, une mère dire « Quand j’achète du poulet, j’en prends pour dix et un autre pour celui qui se drogue », parce que, poursuit Samia Ghali, un drogué, ça paraît bête, mais ça mange beaucoup. » Kepel décrit le supplice du barbecue que les trafiquants infligent aux individus qu’ils veulent punir. Ils criblent la victime de balles, l’enferment dans le coffre d’une voiture et y mettent le feu.

            A Marseille, Kepel est également frappé par la présence ostensible du salafisme, qu’il qualifie de « symptôme nouveau et fulgurant ». Le salafisme est une branche de l’islam sunnite issue du wahabbisme, religion en vigueur en Arabie Séoudite. Ses adeptes sont d’autant plus identifiables que les hommes portent une longue barbe, avec moustache rasée, et une calotte, tandis que les femmes sont vêtues du niqab, voile intégrale, qui contrevient à la loi de 2010 interdisant de « porter une tenue destinée à dissimuler son visage ».

Roubaix, « la Mecque du socialisme »,

est devenue le laboratoire

de l’islam de France

            L’emprise du salafisme n’est pas une spécificité marseillaise, Kepel la retrouve dans l’agglomération lilloise. A Roubaix, un candidat lui a donné rendez-vous à la Grande Brasserie de l’impératrice Eugénie. Pendant l’entretien, Kepel jette un coup d’œil à travers la verrière qui donne sur la place de la Liberté, où se trouve une bouche de métro. A ce moment-là, il remarque le nombre de femmes circulant vêtues du niqab noir, et il se dit qu’il serait illusoire de croire qu’un contrôle de police pourrait empêcher ce fait accompli. D’ailleurs Kepel reconnaît lui-même qu’au bout de quelques jours il a fini par s’habituer au phénomène et ne plus remarquer les femmes voilées.

            On peut se rappeler avec ironie que Roubaix fut jadis surnommée la Mecque du socialisme avant de devenir le laboratoire de l’islam de France. Le tournant date de 1983. Cette année-là, la Marche des beurs s’était terminée à Roubaix, ville dans laquelle le Front national avait fait une percée au printemps précédent en totalisant 15% des voix aux élections municipales. C’est à l’occasion de ce scrutin qu’André Diligent, catholique et centriste, avait conquis la mairie. Imprégné de catholicisme social, il voulait utiliser ce modèle, et, raisonnant par analogie, pensait que l’islam allait permettre d’encadrer la jeunesse issue de l’immigration. Ainsi qu’il l’avait promis pendant la campagne, il autorisa la construction d’une mosquée. La délivrance d’un permis de construire pour un tel édifice constitua une première à une époque où, à travers la France, les mairies, notamment celles détenues par la gauche, refusaient de telles autorisations.

            C’est aussi à Roubaix qu’a éclaté, en 2010, la polémique sur le Quick halal, le restaurant ayant décidé de servir exclusivement de la viande certifiée halal. René Vandierendock, dauphin et successeur d’André Diligent à la mairie, annonça son intention de porter l’affaire en justice, puis, sous la pression, y renonça.

            Roubaix, comme d’une manière générale la région Nord-Pas-de-Calais, est devenue une « terre d’élection » pour le Front national. Salima Saa, candidate malheureuse de l’UMP, analyse le vote FN et déclare qu’il n’est pas guidé par des réflexes xénophobes ; ce serait la résultante d’une misère sociale, dans une ville où le taux de chômage est très élevé. Elle ajoute aussi que l’électorat musulman a été préoccupé par la question du mariage pour tous, mais « a quand même voté PS. »

            L’une des plus fortes personnalités est représentée par Gérald Darmanin, de l’UMP, élu député du Nord en 2012, à l’âge de vingt-neuf ans. Ajoutons que depuis la publication du livre, il a aussi été élu maire de Tourcoing, en mars 2014. Gérald Darmanin est fils d’une femme de ménage et petit-fils d’un Musulman d’Algérie harki. Il est le seul de sa famille à être bachelier, et il est diplômé de Sciences-po. Il déclare à Kepel que l’électorat du Nord ne décide pas de son vote en fonction de la question de l’immigration. Lui-même se détache de certains discours tenus à l’UMP et fait l’apologie du vote musulman : « Il y a même des musulmans qui me demandent d’installer des caméras vidéos dans leur rue. Contre la drogue, ils sont très durs, les musulmans pratiquants. On situe directement les musulmans à gauche, alors qu’il n’y a aucune raison pour qu’ils votent naturellement pour la gauche. Ils ont un discours volontiers « réactionnaire » en fait [rire], bien plus en tout cas que les catholiques. » Gérald Darmanin précise que « la question du halal, à Tourcoing, est très douloureuse », mais il tient à faire savoir que cela lui pose moins de problème qu’à son concurrent socialiste, « probablement très laïque. »

            Dans Passion française, Kepel décrit une réalité très complexe. Il nous fait rencontrer des candidats aux convictions et aux positionnements divers. Certains revendiquent leur identification à la société française et ont le mot « laïcité » à la bouche, tandis que d’autres jouent volontiers la carte musulmane. Kepel conclut que la majorité des électeurs qui se considèrent musulmans se déterminent, dans les urnes, non sur des critères communautaires, mais en fonction de leur appartenance sociale.

 

Passion française, les voix des cités, de Gille Kepel, 2014, éditions Gallimard.

01/12/2014

Casque d'or

Echec à sa sortie, film mythique aujourd’hui

Casque d’Or

Au fil des rediffusions à la télévision, le film de Jacques Becker a acquis le statut de film mythique. Simone Signoret est resplendissante dans le rôle de Marie. Elle séduit Serge Reggiani qui joue le rôle d’un charpentier nommé Georges Manda. On les voit tous deux danser la valse dans la scène d’ouverture du film, restée mémorable.

            Le film fut un échec commercial. A sa sortie en 1952, un certain nombre de spectateurs furent décontenancés. Ils s’attendaient à un film policier et, au lieu de cela, ils découvraient à l’écran une histoire se déroulant dans le Paris des années 1900. Qui plus est, l’histoire mettait en scène des Apaches, c'est-à-dire les voyous de la Belle Epoque. Les spectateurs ressortirent déçus. Ce n’est que par la suite et avec les années, au fil des ressorties en salles et des diffusions à la télévision, que Casque d’Or acquit sa réputation de film mythique.

          casque d'or,jacques becker,simone signoret,reggiani  La séquence d’ouverture est la plus mémorable. Un beau dimanche d’été, dans une guinguette des bords de Marne, un menuisier nommé Georges Manda finit d’installer une estrade, quand une bande de jeunes gens turbulents vient s’installer à une table. L’une des filles, Marie, dite Casque d’Or du fait de sa coiffure, se montre très aguicheuse. Par provocation, elle fait de l’œil à Manda et lui demande si les charpentiers savent danser. Pour le lui montrer, il l’invite à valser avec lui. Ils dansent ensemble et, au moment de se séparer, ils promettent de se revoir. Mais Manda va se heurter à Félix, protecteur de Marie et chef de la bande d’Apaches.

            Casque d’Or vaut d’abord pour les acteurs. Simone Signoret, dans le rôle de Marie, est moqueuse et étincelante. Elle est âgée de trente ans quand elle tourne le film, et sa beauté est resplendissante sous ses cheveux blonds. De nos jours, le spectateur est d’autant plus ému de la voir ainsi qu’il sait que bientôt les années compteront double pour elle, sa beauté ne tardera pas à se faner et ne sera plus qu’un lointain souvenir.

            Serge Reggiani, dans le rôle de Manda, est presque méconnaissable, tant ses bacchantes à la mode 1900 lui donne un air sombre. Reggiani raconta des années plus tard que Simone ne savait pas danser la valse et qu’il avait dû la lui apprendre à cette occasion. En 1973, il enregistra une chanson intitulée Un menuisier dansait, dédiée à Simone Signoret.

            Claude Dauphin joue le rôle de Félix. Il exige de ses hommes qu’ils portent un chapeau et non une casquette, afin de ne pas se faire remarquer. Il cherche une forme de respectabilité. Ce qui ne l’empêche pas d’être cynique à l’occasion. Ainsi il fait liquider un garçon de café qui avait mouchardé ; pour éloigner les soupçons, il se désole en public de sa mort, et pousse le vice jusqu’à organiser une quête pour aider sa grand-mère.

Les hommes règlent leurs comptes

à coups de couteau

            Becker a reconstitué avec soin l’atmosphère du Paris 1900. On y voit des bourgeois en habit et à haut-de-forme venir s’encanailler dans un caf-conc au milieu des ouvriers à casquette. Ils ne seront pas déçus du déplacement.

            Le film est sombre. Les hommes règlent leurs comptes à coups de couteau, et la vie, pour eux, n’a pas grand prix. Seule l’amitié, comme souvent chez Becker, finit par montrer sa force, ainsi que l’amour. Une séquence insolite détonne dans cette histoire. On y voit Marie et Manda pousser la porte d’une église et s’y attarder quelques minutes pour apercevoir une cérémonie de mariage.

            Jacques Becker fut affecté par l’échec de son film, lui qui rêvait tant du succès. Si bien que, pour son film suivant, il prit le contre-pied de Casque d’Or. Il se décida à réaliser un grand film policier qui aurait les faveurs du public. Après bien des hésitations, il recruta Jean Gabin et cela donna Touchez pas au grisbi, d’après un roman d’Albert Simonin. Et enfin, Becker obtint un succès à la fois public et critique. Touchez pas au grisbi relança la carrière de Gabin qui retrouva la popularité qui avait été la sienne avant la guerre.

 

Casque d’Or, de Jacques Becker, 1952, avec Simone Signoret, Serge Reggiani, Claude Dauphin et Raymond Buissière, DVD StudioCanal.