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01/12/2014

Casque d'or

Echec à sa sortie, film mythique aujourd’hui

Casque d’Or

Au fil des rediffusions à la télévision, le film de Jacques Becker a acquis le statut de film mythique. Simone Signoret est resplendissante dans le rôle de Marie. Elle séduit Serge Reggiani qui joue le rôle d’un charpentier nommé Georges Manda. On les voit tous deux danser la valse dans la scène d’ouverture du film, restée mémorable.

            Le film fut un échec commercial. A sa sortie en 1952, un certain nombre de spectateurs furent décontenancés. Ils s’attendaient à un film policier et, au lieu de cela, ils découvraient à l’écran une histoire se déroulant dans le Paris des années 1900. Qui plus est, l’histoire mettait en scène des Apaches, c'est-à-dire les voyous de la Belle Epoque. Les spectateurs ressortirent déçus. Ce n’est que par la suite et avec les années, au fil des ressorties en salles et des diffusions à la télévision, que Casque d’Or acquit sa réputation de film mythique.

          casque d'or,jacques becker,simone signoret,reggiani  La séquence d’ouverture est la plus mémorable. Un beau dimanche d’été, dans une guinguette des bords de Marne, un menuisier nommé Georges Manda finit d’installer une estrade, quand une bande de jeunes gens turbulents vient s’installer à une table. L’une des filles, Marie, dite Casque d’Or du fait de sa coiffure, se montre très aguicheuse. Par provocation, elle fait de l’œil à Manda et lui demande si les charpentiers savent danser. Pour le lui montrer, il l’invite à valser avec lui. Ils dansent ensemble et, au moment de se séparer, ils promettent de se revoir. Mais Manda va se heurter à Félix, protecteur de Marie et chef de la bande d’Apaches.

            Casque d’Or vaut d’abord pour les acteurs. Simone Signoret, dans le rôle de Marie, est moqueuse et étincelante. Elle est âgée de trente ans quand elle tourne le film, et sa beauté est resplendissante sous ses cheveux blonds. De nos jours, le spectateur est d’autant plus ému de la voir ainsi qu’il sait que bientôt les années compteront double pour elle, sa beauté ne tardera pas à se faner et ne sera plus qu’un lointain souvenir.

            Serge Reggiani, dans le rôle de Manda, est presque méconnaissable, tant ses bacchantes à la mode 1900 lui donne un air sombre. Reggiani raconta des années plus tard que Simone ne savait pas danser la valse et qu’il avait dû la lui apprendre à cette occasion. En 1973, il enregistra une chanson intitulée Un menuisier dansait, dédiée à Simone Signoret.

            Claude Dauphin joue le rôle de Félix. Il exige de ses hommes qu’ils portent un chapeau et non une casquette, afin de ne pas se faire remarquer. Il cherche une forme de respectabilité. Ce qui ne l’empêche pas d’être cynique à l’occasion. Ainsi il fait liquider un garçon de café qui avait mouchardé ; pour éloigner les soupçons, il se désole en public de sa mort, et pousse le vice jusqu’à organiser une quête pour aider sa grand-mère.

Les hommes règlent leurs comptes

à coups de couteau

            Becker a reconstitué avec soin l’atmosphère du Paris 1900. On y voit des bourgeois en habit et à haut-de-forme venir s’encanailler dans un caf-conc au milieu des ouvriers à casquette. Ils ne seront pas déçus du déplacement.

            Le film est sombre. Les hommes règlent leurs comptes à coups de couteau, et la vie, pour eux, n’a pas grand prix. Seule l’amitié, comme souvent chez Becker, finit par montrer sa force, ainsi que l’amour. Une séquence insolite détonne dans cette histoire. On y voit Marie et Manda pousser la porte d’une église et s’y attarder quelques minutes pour apercevoir une cérémonie de mariage.

            Jacques Becker fut affecté par l’échec de son film, lui qui rêvait tant du succès. Si bien que, pour son film suivant, il prit le contre-pied de Casque d’Or. Il se décida à réaliser un grand film policier qui aurait les faveurs du public. Après bien des hésitations, il recruta Jean Gabin et cela donna Touchez pas au grisbi, d’après un roman d’Albert Simonin. Et enfin, Becker obtint un succès à la fois public et critique. Touchez pas au grisbi relança la carrière de Gabin qui retrouva la popularité qui avait été la sienne avant la guerre.

 

Casque d’Or, de Jacques Becker, 1952, avec Simone Signoret, Serge Reggiani, Claude Dauphin et Raymond Buissière, DVD StudioCanal.

03/03/2014

Un crime au Paradis, de Jean Becker

Un régal d’humour noir

Un crime au Paradis

Le film de Jean Becker est un régal d’humour noir. Jacques Villeret interprète un cultivateur qui exploite le domaine du Paradis. Il est tyrannisé par sa femme, jouée par Josiane Balasko. Il va la tuer et sera défendu aux assises par un avocat interprété par André Dussolier. Les acteurs sont truculents à souhait.

            Fils du grand cinéaste Jacques Becker, Jean Becker est devenu, lui aussi, réalisateur. Il a obtenu un succès public en 1983, avec L’Eté meurtrier. Dans les années 1990 et 2000, il s’est spécialisé dans les films de terroir que ses détracteurs jugent passéistes et franchouillards. Il est vrai que Jean Becker a tendance à nous présenter une France qui n’existe plus. Chez lui, pas de supermarché et guère de grands ensembles. Un crime au paradis, tourné en 2004, n’échappe pas à la règle. L’histoire se passe dans un village « traditionnel » au cœur duquel on trouve une épicerie et des petits commerces. Précisons toutefois que le film est censé se dérouler en 1980 ; le spectateur comprend vite que Becker a choisi cette année-là parce que la peine de mort était encore en vigueur en France.

   un crime au paradis,jacques becker,villeret,balasko,dussolier,suzanne flon,daniel prevost         Jacques Villeret joue le rôle d’un cultivateur. Il exploite un domaine qui s’appelle le Paradis. Sa femme, Josiane Balasko, le tyrannise et fait de sa vie un enfer. Elle lui crève les quatre pneus de sa voiture, prétend avoir uriné dans sa soupe et, un jour, sacrilège, elle jette au feu le trésor de son mari : sa collection de timbres. Pour Villeret, c’en est trop. Un soir, au journal télévisé, il entend un célèbre avocat, joué par André Dussolier, qui s’est fait un nom en obtenant l’acquittement de ses clients accusés de meurtres.

            Villeret le rencontre en consultation et, lors de l’entretien, fait mine d’avoir déjà tué sa femme. Dussolier le presse de questions, il lui demande des détails sur les circonstances du crime, afin de savoir si un acquittement est envisageable (Dussolier : « Vous avez tué votre femme avec un couteau ? […] Bien, vous l’auriez empoisonnée, il y aurait eu préméditation. »). En réalité, Villeret adapte ses réponses en fonction de ce que l’avocat veut entendre. Dussolier définit la stratégie à suivre sans savoir qu’il est en train de renseigner son client sur un crime qu’il n’a pas encore commis. Fort des conseils de son avocat, obtenus sur un malentendu, Villeret rentre au Paradis et passe à l’acte.

            Ce film, nouvelle version de celui de Sacha Guitry intitulé La Poison, est un régal. Le spectateur s’amuse beaucoup, à condition de ne pas être rétif à l’humour noir. Les acteurs sont truculents à souhait, ce qui est devenu rare dans le cinéma contemporain. Villeret est on ne peut plus naïf, Balasko est délicieusement odieuse, Suzanne Flon, dans le rôle de la maîtresse (d’école), est la douceur même, et Dussolier donne l’impression d’avoir été avocat toute sa vie. A l’audience de la cour d’assises, il a fort à faire dans le duel qui l’oppose à Daniel Prévost, très sérieux dans son rôle d’avocat général qui requiert, « sans haine mais sans faiblesse », la peine capitale pour l’accusé. Le tribunal ressemble à un cirque dans lequel les numéros d’artistes se succèdent. Dussolier nous donne une leçon : devant la Justice, la victoire revient à la partie qui bluffe le mieux.

 

Un crime au Paradis, de Jacques Becker (2004), avec Jacques Villeret, Josiane Balasko, André Dussolier, Suzanne Flon et Daniel Prevost, DVD Paramount.

04/11/2013

Le Trou, de Jacques Becker

Huis-clos étouffant, avec soif d’évasion

Le Trou

Le dernier film de Jacques Becker est une œuvre forte, inspirée d’une histoire vraie. Pendant deux heures, nous n’en croyons pas nos yeux. Nous voyons quatre hommes, munis de moyens de fortune, creuser un trou pour s‘échapper de leur cellule de la prison de la Santé.

            La scène d’ouverture du film se déroule dans chez un casseur de voitures de la banlieue parisienne. Un homme apparaît à l’écran et déclare à la caméra : « Bonjour, mon ami Jacques Becker a retracé dans tous ses détails une histoire vraie : la mienne ! Ca s’est passé en 1947 à la prison de la Santé. »

          le trou,jacques becker,jean keraudy,michel constantin,mark michel  Puis, une fois le générique passé, nous sommes projetés à l’intérieur des murs de la Santé que nous ne quitterons quasiment plus. Un jeune homme est incarcéré pour une tentative de meurtre dont il se dit innocent. Il est introduit dans une cellule où sont déjà entassés trois autres prévenus, dont celui que nous avons vu en ouverture du film et qui joue ici son propre rôle. Les trois hommes accueillent le nouveau venu, mais sont hésitants sur l’attitude à adopter à son égard. Ils ont de bonnes raisons de se méfier. Ils ont échafaudé un plan d’évasion et veulent prendre leurs précautions avant d’associer le jeune homme. Il a l’air sincère et sympathique. Mais la prudence élémentaire ne réclame-t-elle pas d’apprendre à le connaître avant de lui dire quoi que ce soit ? Les trois hommes choisissent de lui faire confiance et l’associe à leur plan d’une audace folle : creuser un trou dans le sol de leur cellule pour rejoindre les égouts.

Becker, cet oublié

            Le Trou est le dernier film de Jacques Becker, mort quelques mois après le tournage, en 1960. Becker est aujourd’hui injustement oublié. On se rappelle vaguement qu’il fut le réalisateur de Casque d’or, film aujourd’hui mythique, et de Touchez pas au grisbi, mais, bien souvent, on oublie Le Trou qui mérite d’être (re)découvert. C’est d’abord un huis-clos étouffant. Pendant deux heures, le spectateur reste enfermé dans une étroite cellule en compagnie de quatre détenus. Nous ne sommes autorisés à sortir que pour les rares moments de promenade. Alors, nous sommes saisis par la soif de liberté et aspirés par la tentative d’évasion. Là nous n’en croyons pas nos yeux. Avec des moyens de fortune, ces hommes vont réussir à creuser un trou qui les emmène dans les sous-sols de la Santé. Aucun obstacle ne va les arrêter. Avec une simple lime, ils enlèvent les gonds d’une porte et font mine de la remettre en place derrière eux pour donner l’impression que tout est normal. Nous vivons chaque minute du film avec intensité, car, à tout moment, les quatre hommes peuvent être découverts dans leur tentative d’évasion ; nous n’avons guère le temps de souffler.

            Pour des raisons d’authenticité, Jacques Becker avait voulu des acteurs non professionnels, dont Jean Keraudy dans sons propre rôle. Un de ces hommes sera remarqué et fera carrière au cinéma, notamment dans les comédies de Georges Lautner ; il s’agit de Michel Constantin qui fait ici ses débuts à l’écran. Pour le rôle du jeune homme, en revanche Becker avait voulu un acteur professionnel, en l’occurrence Mark Michel. A la fin du film, le spectateur comprendra pourquoi.

           

Le Trou, un film de Jacques Becker (1960), avec Michel Constantin, Jean Keraudy et Mark Michel, DVD Studio Canal.