Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/09/2015

Hitchcock-Truffaut, d'Hitchcock et Truffaut

Hitchcock théoricien du cinéma

Hitchcock-Truffaut

Ce livre est constitué d’une série d’entretiens que Truffaut eut avec Hitchcock, principalement en 1966. Ce n’est pas une hagiographie, mais l’examen critique d’une œuvre. Hitchcock développe sa théorie du cinéma, explique pourquoi il a opté pour le suspense et ce qu’est le fameux Mac-Guffin.

            Dans ce livre, Hitchcock, répondant aux questions de Truffaut, passe en revue les films qu’il a tournés. Il remonte à ses débuts en Angleterre, dans les années vingt, au temps du cinéma muet. En 1966, au moment où se déroulent les entretiens, il éprouve une véritable nostalgie pour le muet, qui faisait du cinéma un art cent pour cent visuel. On peut supposer que dans ses premiers films il fut influencé par Fritz Lang. Cependant, quand Truffaut lui demande quels films du cinéaste allemand il avait vus, Hitchcock ne répond pas vraiment à la question. Il reste évasif et préfère changer de sujet, comme s’il avait une gêne à parler de Fritz Lang, son aîné de quelques années, qui certainement l’a inspiré. En fait, Hitchcock préfère parler de lui, de son œuvre et de ses théories sur le cinéma.

     hitchcock, truffaut       Hitchcock passe un long moment à s’expliquer sur le suspense, qui est au centre de son œuvre. Il oppose le suspense à la surprise et dit pourquoi il a préféré l’un à l’autre :

            « La différence entre le suspense et la surprise est très simple et j’en parle très souvent. Pourtant, il y a fréquemment une confusion dans les films, entre ces deux notions. Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup : boum, explosion. Le public est surpris, mais, avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart – il y a une horloge dans le décor ; la même conversation devient tout à coup intéressante parce que le public participe à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont sur l’écran : « Vous ne devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table, et elle va bientôt exploser. » Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l’explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense. »

            La conclusion d’Hitchcock est qu’il faut préférer informer le public quand on le peut. Dans le même ordre d’idée, il explique ce qu’est le Mac-Guffin, qui est récurrent dans son œuvre. Le Mac-Guffin, c’est le prétexte qui permet de construire une intrigue. Il s’agit par exemple de papiers, de documents, de secrets, dont le contenu est important aux yeux des personnages du film ; mais, pour le réalisateur, ils ne sont qu’un prétexte pour mettre en danger son héros. Le principe du Mac-Guffin a été largement utilisé au cinéma, il a aussi été repris en bande dessinée, notamment dans les albums de Tintin ; ce sera le fétiche ou le sceptre royal que veulent arracher les bandits.

Selon Hitchcock, plus réussi est le méchant,

plus réussi sera le film

            Hitchcock rappelle que son ambition première est de distraire les gens et qu’en conséquence filmer la vie quotidienne ne l’intéresse pas :

            « Je ne filme jamais une tranche de vie car, cela, les gens peuvent très bien le trouver chez eux ou dans la rue, ou même devant la porte du cinéma. Ils n’ont pas besoin de payer pour voir une tranche de vie. […] Tourner des films, pour moi, cela veut dire d’abord, et avant tout, raconter une histoire. Cette histoire peut être invraisemblable mais elle ne doit jamais être banale. »

            Hitchcock concède cependant que le spectateur accepte de s’ennuyer dans la première demi-heure d’un film, à condition qu’ensuite l’intensité dramatique suive une ligne ascendante. C’est ce qu’il appelle la courbe montante d’une histoire. Et toujours selon lui, il ne faut jamais négliger le personnage du méchant, car, dit-il, « Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film. »

            Qu’on ne s’y méprenne pas, ce livre, n’est pas une hagiographie ; on n’y trouve aucune trace de vénération béate pour Hitchcock. Tout en étant un admirateur sincère de son œuvre, Truffaut n’hésite pas à la critiquer. Et Hitchcock lui-même, sous certaines conditions, accepte bien volontiers de se livrer à son autocritique. Truffaut en fait la remarque dans sa conclusion : « On l’a vu tout au long de ce livre, Hitchcock était plutôt sévère pour son travail, toujours lucide et volontiers autocritique… à condition toutefois que le film discuté soit ancien de quelques années et que son échec ait été compensé par une plus fraîche réussite. » Ainsi Hitchcock se félicite du succès universel de Psychose (Psycho), qui n’aura coûté que huit cent mille dollars et qui aura rapporté treize millions de bénéfices, et il émet un vœu à l’adresse de Truffaut : « J’aimerais que vous fassiez un film qui vous rapporterait autant d’argent à travers le monde ! » En revanche, il critique lourdement certains de ses films précédents ; il dit avoir honte d’avoir pris un gros salaire pour Les Amants du Capricorne (Under Capricorn), qui fut un échec ; et il dit du Faux Coupable (The Wrong Man) : « Classons ce film dans les mauvais Hitchcock », provoquant, sur ce point, le désaccord de Truffaut qui trouve des qualités à ce film.

            Pour qui connaît un peu les films d’Hitchcock, ce livre est une porte d’entrée sur le monde du cinéma et le métier de réalisateur.

 

Hitchcock-Truffaut, d’Alfred Hitchcock et François Truffaut, 1983, collection Ramsay Poche Cinéma (épuisé) et éditions Gallimard.

21/09/2015

Les Grandes Familles, de Druon

Chronique sur les mœurs hypocrites de la France d’en-haut

Les Grandes Familles

Ce roman met en scène les La Monnerie, l’une des plus vieilles familles de France, alliée aux Schoudler, propriétaires de la banque du même nom. Sous forme de chronique, Druon entremêle les destins et les personnages, et dépeint des mœurs hypocrites. Les Grandes Familles est un livre très facile à lire, d’autant plus que Druon a l’art de la formule pour résumer une situation.

            Pour certains, Les Grandes Familles, c’est d’abord un film, réalisé par Denys de La Patelière, avec Jean Gabin, Pierre Brasseur, Bernard Blier et Jean Desailly. Pourtant on ne peut oublier que le film est l’adaptation du roman de Maurice Druon, auquel fut décerné le prix Goncourt en 1948.

         Les Grandes Familles, Druon   Le livre présente une fresque de la haute société des années 1920. Sous forme de chronique, Druon entremêle les destins, passe d’un personnage à l’autre et associe le lecteur à leur sort. Le livre est foisonnant, mais le récit n’est pas du tout confus. Les personnages sont très typés, le lecteur a le temps de s’intéresser à chacun d’entre eux et de se préoccuper de son sort. Le style de Druon est fluide ; l’auteur n’abuse pas des descriptions et surtout il a l’art de la formule. Il sait tourner ses phrases de façon à résumer une situation et frapper l’esprit du lecteur.

            La peinture que fait Druon des élites n’est pas reluisante. Les personnages sont mesquins et centrés sur eux-mêmes : « Chacun […] était un être trop important, ou se croyait tel, pour être occupé d’autre chose que de la pensée de soi. » A lire ce roman, on pourrait croire qu’il est l’œuvre d’un écrivain désabusé qui a beaucoup vécu. Or, en 1948, Druon avait à peine trente ans. Ce livre est donc sorti de la plume d’un jeune homme qui venait de faire son début dans la vie, mais qui, il est vrai, avait déjà traversé un certain nombre d’épreuves.

            La première des grandes familles dépeintes par Druon est celle des La Monnerie. Ils sont quatre frères : le marquis, le poète académicien, le ministre plénipotentiaire et le général. Les La Monnerie sont alliés aux Schoudler, propriétaires de la banque Schoudler, la fille du poète ayant épousé le fils du baron Noël Schoudler. Cette alliance contre nature ne fut pas vraiment du goût des La Monnerie, qui constituent l’une des plus vieilles familles de France. Avant son mariage, la fille du poète fut mise en garde au sujet des Schoudler : « ce sont des Juifs, mon enfant ; anoblis, convertis, c’est entendu ; mais enfin, il ne faut pas gratter très loin pour trouver le comptoir du prêteur sur gages. »

            Celui qui fait le plus honte aux frères La Monnerie, c’est leur demi-frère Lucien Maublanc, né du remariage de leur mère avec un roturier. Il aggrave son cas en étant buveur, coureur et joueur. Lors d’un conseil de famille orageux au cours duquel se règlent des comptes, Lucien Maublanc dit leurs quatre vérités aux La Monnerie : « Vous m’en voulez de ma naissance. Vous en avez voulu à ma mère d’avoir épousé en secondes noces un homme qui n’était pas marquis ou comte comme vous, et que vous méprisiez à cause de cela. A vos yeux, je suis le fruit d’une mésalliance. »

Jean de La Monnerie a acquis la célébrité

grâce à des vers volés à Sully Prudhomme

            Dans ce livre, le mensonge est permanent. Ainsi Jean de La Monnerie, de l’Académie française, a acquis la célébrité grâce à son poème L’Oiseau sur le lac ; or Druon nous apprend qu’il n’en est pas le véritable auteur. Un soir, après dîner, « Sully Prudhomme discourait d’un projet qu’il avait en tête ; La Monnerie avait cueilli l’idée au vol » et se l’était appropriée.

            Même les grands principes moraux que défend la famille ne sont que pur affichage. Le grand poète catholique aura multiplié les maîtresses, et son épouse bafouée, devenue veuve, lui en garde rancune. Mais elle aussi se révèle hypocrite. Quand sa nièce, mademoiselle Isabelle d’Huisnes, lui confesse qu’elle attend un enfant, elle lui conseille d’aller consulter le professeur Lartois, ami de la famille, « pour que tout se passe le plus silencieusement possible. » Isabelle est indignée de la recommandation émise par sa tante : « Comment, ma tante, c’est vous si pratiquante, vous qui ne manqueriez pas la messe un dimanche… » Melle d’Huisne n’a pas le temps de finir sa phrase, car Mme de La Monnerie, qui a réponse à tout, lui coupe sèchement la parole : « Oh ! ma petite enfant, tu ne vas me donner des leçons de conduite chrétienne ! […] Quand on commet un premier péché, il en entraîne toute une série d’autres. […] Tu commettras un péché de plus qui est la suite inévitable de tes autres péchés. »

            La personnalité la plus forte du roman est le baron Noël Schoudler, président de la banque Schoudler et régent de la Banque de France. Ce géant règne en potentat sur sa famille et ses affaires et ne supporte pas que les autres lui fassent concurrence. Quand il se rend compte que son fils et successeur désigné prend trop d’importance et commence de lui faire de l’ombre, il est décidé à lui donner une leçon, faisant ainsi abstraction de tout amour paternel. Quant à Lucien Maublanc, c’est sa bête noire, il est décidé à l’abattre. Dans l’exécution de ses œuvres, il s’adjoint Simon Lachaume, un jeune agrégé plein d’ambition, qui devient son fils de substitution.

            Pourtant, malgré sa puissance et la crainte qu’il inspire aux autres, Noël Schoudler présente une faiblesse, il a peur de la mort. Cette peur de la mort est récurrente dans le roman et habite l’ensemble des personnages, bien qu’aucun d’entre eux n’ose en parler, précise Druon : « Non ! Personne n’avoue jamais sa hantise de la mort ; et cette retenue n’est point, comme on le prétend dignité ; elle est souci surtout de ne pas effaroucher l’aide d’autrui. […] Tout, les civilisations, les cités, les sentiments, les arts, les lois et les armées, tout est enfant de la peur et de sa forme suprême, totale, la peur de la mort. »

            Rare personnage positif du livre, un père dominicain essaye d’expliquer le sens de la vie et de la mort à une jeune veuve dont le mari s’est suicidé.

            Les Grandes Familles est un livre très facile à lire, édité dans la collection Le Livre de Poche. Il existe une suite, publiée sous le titre Les Corps qui tombent, qui n’est malheureusement plus disponible en poche. Outre le film de Denys de La Patelière, il existe une adaptation en feuilleton qui avait été réalisée pour la télévision, à la fin des années quatre-vingt. Edouard Molinaro y dirigeait Michel Piccoli, Roger Hanin, Pierre Arditi et Marie Trintignant, dans les principaux rôles. Cette version est beaucoup plus fidèle au roman que le film de La Patelière.

 

Les Grandes Familles, de Maurice Druon, 1948, collection Le Livre de Poche.

14/09/2015

La Peau douce, de Truffaut

L’engrenage fatal d’un adultère

La Peau douce

Un homme d’âge mûr se prend de passion pour une jeune hôtesse de l’air qui devient son idée fixe. Il la retrouve en cachette et s’efforce de donner le change à sa femme et à son entourage. Truffaut, qui a assimilé les leçons d’Hitchcock, filme ce drame de l’adultère comme un suspense.

            Directeur de la revue Ratures, Pierre Lachenay est un spécialiste reconnu de littérature française. Son dernier livre, Balzac et l’argent, fait autorité. Invité à donner une conférence au Portugal, il prend l’avion, et, au cours du vol, il repère la jeune hôtesse de l’air qui assure le service. Coïncidence : à Lisbonne, tous deux descendent dans le même hôtel. Ils se reconnaissent et sympathisent. Il l’invite à boire un verre au restaurant de l’hôtel. Il lui parle de Balzac et arrive à retenir son attention. Pendant toute une soirée il l’abreuve de paroles et elle les boit. La différence de classe sociale et l’écart d’âge ne semblent pas un obstacle. Rentré à Paris, Lachenay veut absolument revoir Nicole, la jeune hôtesse de l’air. Elle est devenue son idée fixe.

 La Peau douce, truffaut, Dorléac, Jean Desailly, Daniel Ceccaldi, Nelly Benedetti           Pierre Lachenay est un homme d’âge mûr. C’est un individu rangé et un mari fidèle, père d’une fillette. Jusqu’ici il n’a jamais trompé sa femme, mais le démon de midi s’est emparé de lui. Sa passion pour Nicole est plus forte que tout et menace de le consumer. Depuis qu’il a fait sa connaissance, il est devenu un autre homme. Lui-même ne se reconnaît plus. Dorénavant sa vie est orienté dans un seul but, être auprès d’elle. Cet objectif conditionne toutes les décisions qu’il a à prendre. Invité dans une ville de province à donner une conférence sur Gide, il pense d’abord refuser. Mais quand il s’aperçoit que cela lui donne l’occasion de s’éloigner de sa femme et de retrouver Nicole en toute liberté, il accepte, quitte à mentir aux autres, mais aussi à lui-même, en ce qui concerne ses véritables motivations.

            Le spectateur sait que Lachenay veut revoir sa maîtresse et se demande comment il va s’y prendre pour donner le change à son entourage, car Lachenay tient à sa respectabilité ; il veut continuer de fréquenter régulièrement Nicole sans que quiconque soit au courant. Mais mener une double vie n’est pas son fort. Il se montre maladroit, est un piètre dissimulateur et s’enferre dans ses mensonges. Lachenay se place tout seul dans une situation intenable et sans issue.

            La force de Truffaut est d’avoir filmé ce drame de l’adultère comme un suspense. Autant on peut émettre des réserves sur les films noirs qu’il a tournés, autant ici la réussite est complète. Pour narrer son histoire, il a assimilé les leçons d’Hitchcock. Dès les premières minutes, le suspense se met en place dans un moment banal de la vie quotidienne. Lachenay est en route pour l’aéroport, mais sa voiture est prise dans un embouteillage, si bien qu’il risque de manquer son avion. Dans ces instants, l’accompagnement musical renforce la tension. La partition de Georges Delerue fait penser aux musiques de Bernard Hermann, le compositeur « attitré » d’Hitchcock.

            Dans ses films, Truffaut accorde beaucoup d’importance à ses personnages. Ici c’est encore le cas. La relation entre Lachenay et Nicole, joués par Jean Desailly et Françoise Dorléac, apparaît vite comme étant intense, alors qu’a priori tout les oppose. Lachenay est le prototype du bourgeois intellectuel, installé dans la vie, qui a beaucoup lu et beaucoup réfléchi. Il traite Nicole en fillette, lui disant qu’il la préfère en robe, plutôt qu’en blue-jean, et il aime à l’appeler « ma petite fille ». Pourtant, malgré sa jeunesse, c’est elle qui se montre plus raisonnable et plus réfléchi que lui. Même si elle a plaisir à le voir, elle comprend bien que leur relation ne peut être durable. Mais lui, aveuglé par sa passion, refuse de voir la réalité en face. Il se comporte comme un grand enfant, se trouve à chaque fois des excuses et refuse de rompre, alors qu’il est encore temps. Tout cela est appelé à déboucher sur ce qu’un personnage du film appelle « un beau gâchis ».

 

La Peau douce, de François Truffaut, 1964, avec Françoise Dorléac, Jean Desailly, Nelly Benedetti et Daniel Ceccaldi, DVD MK2.