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21/09/2015

Les Grandes Familles, de Druon

Chronique sur les mœurs hypocrites de la France d’en-haut

Les Grandes Familles

Ce roman met en scène les La Monnerie, l’une des plus vieilles familles de France, alliée aux Schoudler, propriétaires de la banque du même nom. Sous forme de chronique, Druon entremêle les destins et les personnages, et dépeint des mœurs hypocrites. Les Grandes Familles est un livre très facile à lire, d’autant plus que Druon a l’art de la formule pour résumer une situation.

            Pour certains, Les Grandes Familles, c’est d’abord un film, réalisé par Denys de La Patelière, avec Jean Gabin, Pierre Brasseur, Bernard Blier et Jean Desailly. Pourtant on ne peut oublier que le film est l’adaptation du roman de Maurice Druon, auquel fut décerné le prix Goncourt en 1948.

         Les Grandes Familles, Druon   Le livre présente une fresque de la haute société des années 1920. Sous forme de chronique, Druon entremêle les destins, passe d’un personnage à l’autre et associe le lecteur à leur sort. Le livre est foisonnant, mais le récit n’est pas du tout confus. Les personnages sont très typés, le lecteur a le temps de s’intéresser à chacun d’entre eux et de se préoccuper de son sort. Le style de Druon est fluide ; l’auteur n’abuse pas des descriptions et surtout il a l’art de la formule. Il sait tourner ses phrases de façon à résumer une situation et frapper l’esprit du lecteur.

            La peinture que fait Druon des élites n’est pas reluisante. Les personnages sont mesquins et centrés sur eux-mêmes : « Chacun […] était un être trop important, ou se croyait tel, pour être occupé d’autre chose que de la pensée de soi. » A lire ce roman, on pourrait croire qu’il est l’œuvre d’un écrivain désabusé qui a beaucoup vécu. Or, en 1948, Druon avait à peine trente ans. Ce livre est donc sorti de la plume d’un jeune homme qui venait de faire son début dans la vie, mais qui, il est vrai, avait déjà traversé un certain nombre d’épreuves.

            La première des grandes familles dépeintes par Druon est celle des La Monnerie. Ils sont quatre frères : le marquis, le poète académicien, le ministre plénipotentiaire et le général. Les La Monnerie sont alliés aux Schoudler, propriétaires de la banque Schoudler, la fille du poète ayant épousé le fils du baron Noël Schoudler. Cette alliance contre nature ne fut pas vraiment du goût des La Monnerie, qui constituent l’une des plus vieilles familles de France. Avant son mariage, la fille du poète fut mise en garde au sujet des Schoudler : « ce sont des Juifs, mon enfant ; anoblis, convertis, c’est entendu ; mais enfin, il ne faut pas gratter très loin pour trouver le comptoir du prêteur sur gages. »

            Celui qui fait le plus honte aux frères La Monnerie, c’est leur demi-frère Lucien Maublanc, né du remariage de leur mère avec un roturier. Il aggrave son cas en étant buveur, coureur et joueur. Lors d’un conseil de famille orageux au cours duquel se règlent des comptes, Lucien Maublanc dit leurs quatre vérités aux La Monnerie : « Vous m’en voulez de ma naissance. Vous en avez voulu à ma mère d’avoir épousé en secondes noces un homme qui n’était pas marquis ou comte comme vous, et que vous méprisiez à cause de cela. A vos yeux, je suis le fruit d’une mésalliance. »

Jean de La Monnerie a acquis la célébrité

grâce à des vers volés à Sully Prudhomme

            Dans ce livre, le mensonge est permanent. Ainsi Jean de La Monnerie, de l’Académie française, a acquis la célébrité grâce à son poème L’Oiseau sur le lac ; or Druon nous apprend qu’il n’en est pas le véritable auteur. Un soir, après dîner, « Sully Prudhomme discourait d’un projet qu’il avait en tête ; La Monnerie avait cueilli l’idée au vol » et se l’était appropriée.

            Même les grands principes moraux que défend la famille ne sont que pur affichage. Le grand poète catholique aura multiplié les maîtresses, et son épouse bafouée, devenue veuve, lui en garde rancune. Mais elle aussi se révèle hypocrite. Quand sa nièce, mademoiselle Isabelle d’Huisnes, lui confesse qu’elle attend un enfant, elle lui conseille d’aller consulter le professeur Lartois, ami de la famille, « pour que tout se passe le plus silencieusement possible. » Isabelle est indignée de la recommandation émise par sa tante : « Comment, ma tante, c’est vous si pratiquante, vous qui ne manqueriez pas la messe un dimanche… » Melle d’Huisne n’a pas le temps de finir sa phrase, car Mme de La Monnerie, qui a réponse à tout, lui coupe sèchement la parole : « Oh ! ma petite enfant, tu ne vas me donner des leçons de conduite chrétienne ! […] Quand on commet un premier péché, il en entraîne toute une série d’autres. […] Tu commettras un péché de plus qui est la suite inévitable de tes autres péchés. »

            La personnalité la plus forte du roman est le baron Noël Schoudler, président de la banque Schoudler et régent de la Banque de France. Ce géant règne en potentat sur sa famille et ses affaires et ne supporte pas que les autres lui fassent concurrence. Quand il se rend compte que son fils et successeur désigné prend trop d’importance et commence de lui faire de l’ombre, il est décidé à lui donner une leçon, faisant ainsi abstraction de tout amour paternel. Quant à Lucien Maublanc, c’est sa bête noire, il est décidé à l’abattre. Dans l’exécution de ses œuvres, il s’adjoint Simon Lachaume, un jeune agrégé plein d’ambition, qui devient son fils de substitution.

            Pourtant, malgré sa puissance et la crainte qu’il inspire aux autres, Noël Schoudler présente une faiblesse, il a peur de la mort. Cette peur de la mort est récurrente dans le roman et habite l’ensemble des personnages, bien qu’aucun d’entre eux n’ose en parler, précise Druon : « Non ! Personne n’avoue jamais sa hantise de la mort ; et cette retenue n’est point, comme on le prétend dignité ; elle est souci surtout de ne pas effaroucher l’aide d’autrui. […] Tout, les civilisations, les cités, les sentiments, les arts, les lois et les armées, tout est enfant de la peur et de sa forme suprême, totale, la peur de la mort. »

            Rare personnage positif du livre, un père dominicain essaye d’expliquer le sens de la vie et de la mort à une jeune veuve dont le mari s’est suicidé.

            Les Grandes Familles est un livre très facile à lire, édité dans la collection Le Livre de Poche. Il existe une suite, publiée sous le titre Les Corps qui tombent, qui n’est malheureusement plus disponible en poche. Outre le film de Denys de La Patelière, il existe une adaptation en feuilleton qui avait été réalisée pour la télévision, à la fin des années quatre-vingt. Edouard Molinaro y dirigeait Michel Piccoli, Roger Hanin, Pierre Arditi et Marie Trintignant, dans les principaux rôles. Cette version est beaucoup plus fidèle au roman que le film de La Patelière.

 

Les Grandes Familles, de Maurice Druon, 1948, collection Le Livre de Poche.