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30/05/2016

Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar

Souvenirs apocryphes d’un empereur

Mémoires d’Hadrien

Marguerite Yourcenar se glisse dans la peau de l’empereur Hadrien et imagine ce qu’eussent pu être ses mémoires, s’il en avait laissés. Elle fait preuve d’un tel mimétisme, qu’au bout d’un moment le lecteur finit par se convaincre qu’il est vraiment en train de lire les souvenirs laissés par Hadrien lui-même.

            L’empereur Hadrien n’a jamais laissé de mémoires. Mais, en puisant dans les sources de l’époque, notamment dans sa correspondance, Marguerite Yourcenar a imaginé ce qu’eussent pu être les souvenirs de l’empereur. Le résultat est étonnant. Marguerite Yourcenar s’efface complètement derrière son personnage ; elle fait preuve d’un tel mimétisme, d’une telle empathie, qu’au bout d’un moment le lecteur finit par se convaincre qu’il est vraiment en train de lire un texte rédigé par Hadrien lui-même. Soyons franc. Ce livre ne se dévore pas comme un roman policier. L’absence totale de dialogues peut décourager nombre de lecteurs et le langage soutenu employé par l’auteur peut paraître difficile et ardu. Pour bien profiter de ce livre, il est préférable de le lire quand on a du temps, notamment du « temps de cerveau disponible ».

         Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien  Marguerite Yourcenar a donné à ces mémoires apocryphes la forme d’une longue lettre qu’Hadrien écrit à Marc-Aurèle, un garçon de dix-sept ans, déjà désigné par lui pour régner un jour sur l’empire. Hadrien est alors âgé de soixante ans, c’est un homme diminué par la maladie ; il sent que son corps, « ce fidèle compagnon », ne lui répond plus. Même s’il ignore quand il va mourir, il sait que ses jours sont comptés, et, avant de partir, il fait à Marc-Aurèle le récit de sa vie.

            Hadrien est né en Espagne, où « l’hellénisme et l’orient étaient inconnus ». Dans ce pays rustique de garnisons, il reçoit une instruction militaire qui le prépare à un mode de vie rude. Mais cette éducation à la dure est équilibrée par l’apprentissage du grec, la langue de la philosophie. Le garçon a la chance d’être envoyé à Athènes, ville qui immédiatement conquiert son cœur. Jeune homme, Hadrien est surnommé « l’étudiant grec ». Quand un jour il a une cicatrice au menton, il y voit là « un prétexte pour porter la courte barbe des philosophes grecs ». Il avoue lui-même : « C’est en latin que j’ai administré l’empire ; […] mais c’est en grec que j’aurai pensé et vécu. »

Hadrien veut le pouvoir pour lui-même,

afin de se réaliser avant de mourir

            Hadrien devient un proche du nouvel empereur, Trajan, un Romain d’Espagne comme lui. Mais, alors qu’Hadrien concilie les qualités de soldat et de philosophe, Trajan est avant tout un militaire. C’est même, selon Hadrien, un « empereur-soldat », qui vit modestement au milieu de ses hommes. Il est constamment en campagne et veut toujours étendre les limites géographiques de l’empire. Cette soif insatiable de conquêtes, notamment ce rêve d’Orient qui habite Trajan, finit par inquiéter Hadrien. Hadrien a conscience des « raisons pratiques » d’ordre politique, économique et commerciale qui dictent ces guerres, il constate également que Trajan est un empereur heureux que la victoire n’a jamais déserté. Mais il sait aussi que toutes ces conquêtes sont bien fragiles et qu’il suffirait de presque rien pour faire basculer une situation qui confine à l’absurde. Selon Hadrien, l’empereur prend des risques inconsidérés et se condamne à la victoire perpétuelle : « Le moindre revers aurait eu pour résultat un ébranlement de prestige que toutes les catastrophes pourraient suivre ; il ne s’agissait pas seulement de vaincre, mais de vaincre toujours, et nos forces s’épuiseraient. » Tombé malade, Trajan meurt au cours d’une campagne contre les Parthes, au bout de vingt ans de règne. Hadrien lui-succède.

            Cette succession n’est pas allée de soi. C’est Plotine, veuve de Trajan et devenue entre-temps grande amie d’Hadrien, qui a imposé son protégé. Pour faciliter les choses, elle déclara que, sur son lit de mort, l’empereur agonisant avait, par lettre, désigné Hadrien. Très vite la rumeur se propagea selon laquelle la succession reposait sur une fraude. Au soir de sa vie, Hadrien en garde mémoire : « Mes ennemis ont accusé Plotine d’avoir profité de l’agonie de l’empereur pour faire tracer à ce moribond les quelques mots qui me léguaient le pouvoir. […] Mais il faut bien avouer que la fin, ici, m’importaient plus que les moyens : l’essentiel est que l’homme arrivé au pouvoir ait prouvé par la suite qu’il méritait de l’exercer. » Devenu empereur à quarante ans passés, Hadrien est impatient de rencontrer enfin son destin, car il avait peur de mourir avant de se réaliser : « Tous les problèmes de l’empire m’accablaient à la fois, mais le mien propre pesait davantage. Je voulais le pouvoir. Je le voulais pour imposer mes plans, essayer mes remèdes, restaurer la paix. Je le voulais surtout pour moi-même avant de mourir. »

Antinoüs occupe une place centrale dans les Mémoires d’Hadrien

            Pour apparaître comme le successeur naturel de Trajan, Hadrien, quand il était jeune homme, avait épousé Sabine, petite nièce de l’empereur-soldat. Ce mariage avait été, reconnaît Hadrien, « un triomphe pour un ambitieux de vingt-huit ans ». Mais, par la suite, il fut « source d’irritation et d’ennuis ». Hadrien écrit à Marc-Aurèle qu’au cours de son règne il avait envisagé de se séparer d’elle : « J’aurais pu me débarrasser par le divorce de cette femme point aimée […]. Mais elle me gênait fort peu […]. Elle assistait aujourd’hui sans paraître s'en apercevoir aux manifestations d’une passion qui s’annonçait longue. » Ici Hadrien fait allusion à sa passion pour Antinoüs.

            Antinoüs occupe une place centrale dans les Mémoires d’Hadrien. C’est en Asie mineure, à l’occasion de l’un de ses multiples voyages, que l’empereur fit la connaissance de ce jeune Grec, natif de Bithynie, dont la beauté tout de suite le fascina. Ce fut comme un coup de foudre : « Une intimité s’ébaucha. Il m’accompagna par la suite dans tous mes voyages, et quelques années fabuleuses commencèrent. […] Ce beau lévrier avide de caresses et d’ordre se coucha sur ma vie. » Hadrien évoque longuement Antinoüs vivant… et mort. Quand il est retrouvé noyé dans le Nil, c’est en philosophe qu’Hadrien accepte la mort du garçon qui a quitté la vie quelques semaines avant d’avoir vingt ans, « épouvanté de déchoir, c’est-à-dire de vieillir ». L’empereur veut immortaliser les traits de son favori qui fut pour lui l’image de la beauté, et fait graver de multiples médailles et pièces à son effigie. Il fonde une ville qui lui est dédiée, Antinoé, en Egypte, et établit le culte d’Antinoüs. C’est ainsi que les mères dont le fils est malade l’invoquent pour obtenir la guérison.

            Diminué, Hadrien décide de rentrer en Italie pour régler ses affaires : « Je me disais que seules deux choses m’attendaient à Rome ; l’une était le choix de mon successeur, qui intéressait tout l’empire ; l’autre était ma mort, et ne concernait que moi. »

            Tout au long du livre, Hadrien apparaît comme un être conforme à la réputation que la postérité lui a accordée, c’est-à-dire celle d’un empereur philosophe qui a beaucoup réfléchi au pouvoir, à la vie et à la mort. Marguerite Yourcenar va au-delà du factuel pour essayer de comprendre en profondeur la signification des événements qui ont jalonné la vie d’Hadrien, ce qui donne au livre sa force.

Post-scriptum : Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, inspirèrent à Hervé Cristiani la chanson Antinoüs.

 

 Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, 1951, collection Folio.

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