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20/02/2017

Les Forêts de Ravel, de Michel Bernard

Dans la peau du soldat Ravel

Les Forêts de Ravel

Se fondant sur des faits biographiques attestés, Michel Bernard se glisse dans la peau de Ravel qui fut soldat pendant la Grande Guerre. Le compositeur avait été réformé et n’avait guère de goût pour la vie militaire, mais il désira tant faire son devoir qu’il fit jouer ses relations pour être incorporé et servir au plus près du front.

            Le compositeur Maurice Ravel était de constitution fragile. « La nature, écrit Michel Bernard, l’avait fait petit et costaud. » Il mesurait seulement un mètre soixante-et-un et avait les épaules étroites. En 1895, il avait été réformé par le conseil de révision et n’en avait pas été chagriné, n’étant guère attiré par la vie militaire. En août 1914, à la déclaration de guerre, Ravel était âgé de trente-neuf ans. Alors que ses proches, ses amis, son frère furent mobilisés et partirent pour le front, lui demeura à Paris sans que rien ne changeât dans sa vie. Mais il se sentit mal à l’aise et éprouva comme une honte, un déshonneur : « Cette vie sûre et confortable, qu’il avait tant désirée autrefois, qu’il avait patiemment aménagée, lui pesait. »

  Les Forêts de Ravel, Michel Bernard, Ravel          Alors il se présenta aux autorités militaires pour s’engager, mais il fut ajourné. Afin de servir malgré tout, il se porta volontaire pour assurer des veilles de nuit à l’hôpital de Saint-Jean-de-Luz. Ce service ne lui parut pas suffisant. Opiniâtre, il fit jouer ses relations pour obtenir son incorporation. User du piston dans ce sens est plutôt rare. Comme l’écrit Michel Bernard, « désirer à ce point [faire son devoir], cela excédait la morale commune. »

            En 1915, Ravel obtint enfin que son aptitude à servir fût reconnue. Il fut certes incorporé, mais seulement dans un service auxiliaire, celui du train. Il accomplit des missions de conducteur de camion et ne fut pas pour autant satisfait de sa situation. Il se considérait comme trop éloigné du front et voulait s’en rapprocher au plus près. En conséquence, il se porta volontaire pour effectuer des transports à Verdun, dans la zone des combats. En tant que conducteur d’ambulance chirurgicale, il ne manquait pas d’activité. Il accumula tellement de fatigue, que la nuit il dormait comme une masse. Lui qui avant-guerre souffrait d’insomnie, il devait maintenant lutter contre le sommeil : « Il goûtait l’ironie de la chose et annonçait dans ses lettres à sa mère et à ses amis que la guerre l’avait guéri de ses nuits blanches. »

A son grand étonnement,

Ravel fit preuve de calme et de détachement

au milieu des cadavres

            Ravel se trouvait à l’aise dans son uniforme. Bien que simple soldat et petit de taille, il avait de l’allure et restait attentif à son port de tête quand il revêtait sa tenue bien coupée, qu’un tailleur parisien lui avait confectionnée. Beaucoup de soldats qu’il croisait, croyant reconnaître un officier, le saluaient au passage.

            A Verdun, Ravel pataugea dans la boue et la gadoue au milieu des cadavres et du sang, mais il n’en fut pas écœuré : « Cette patience, ce calme et ce détachement, il ne s’en serait pas cru capable et personne n’aurait pu croire cela de lui. » En revanche, il fut très affecté par la mort de sa mère, qui le plongea dans un état de prostration. Cette mort marque une rupture dans sa vie.

            Dans son livre, Michel Bernard évoque l’œuvre musicale de Ravel, notamment Le Tombeau de Couperin, commencé en 1914, alors que la paix régnait encore ; le compositeur ne pouvait prévoir que la guerre donnerait à cette pièce « un sens aussi littéral ». Michel Bernard parle également de l’écriture du Concerto pour la main gauche commandé par un pianiste autrichien ancien combattant, que la guerre avait rendu manchot. La création de l’œuvre eut lieu à Vienne en présence de Ravel. L’exécution toute personnelle qu’en fit son commanditaire et interprète déplut fortement à Ravel, qui se leva et quitta sa place en plein récital.

            Au lendemain de la guerre, Ravel acheta une villa en région parisienne et gagna le surnom d’« ermite de Montfort-l’Amaury ». Celui qui avait été « soldat avec les plus humbles », était souvent désigné, dans les années vingt, comme le « plus grand compositeur vivant ».

            Le livre de Michel Bernard est bien un roman, l’auteur se glissant dans la peau du musicien, mais son roman est fondé sur des éléments biographiques attestés. Il n’y a pas de dialogue, ce qui pourrait décourager certains lecteurs, pourtant ce livre n’est pas ardu à lire. Il est cependant préférable de l’ouvrir à des moments où le cerveau est pleinement disponible pour se fondre dans le personnage de Ravel et être, par l’imagination, à l’écoute de sa musique.

 

Les Forêts de Ravel, de Michel Bernard, 2015, éditions de La Table Ronde.

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