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11/03/2019

Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable

Livre à lire tant qu’on est jeune et en bonne santé

Au-delà de cette limite

votre ticket n’est plus valable

Dans la France de Giscard, un industriel, Jacques Rainier, est confronté à la crise économique. Il voit son affaire péricliter et envisage la liquidation. Parallèlement, à la veille de son soixantième anniversaire, il doit faire face à un autre déclin, celui de son corps qui se déglingue déjà. La lecture de ce livre ne peut être recommandée qu’à des jeunes gens en bonne santé qui pensent avoir la vie devant soi et que n’embarrassent pas les « tout-à-l’égout de l’âme », que délivre Romain Gary.

            Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable fut publié en 1975, alors que la France sortait d’une longue période de croissance économique, qui allait être baptisée les Trente Glorieuses. Le narrateur, Jacques Rainier, est un industriel qui a vécu ces années exceptionnelles au cours desquelles, selon ses propres mots, « la prospérité économique européenne paraissait avoir découvert le secret de la croissance perpétuelle. » Il précise : « L’automobile régnait. Le crédit coulait à flots. Le pétrole allait de soi. La France était devenue une bonne affaire. »

    Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, romain gary        Mais la situation se retourne en 1973, quand les pays membres de l’OPEP (Organisation des pays producteurs de pétrole) décident d’augmenter fortement le prix du pétrole. Jacques Rainier, qui possède des usines de papier et de contre-plaqué, est confronté à une hausse sans précédent du coût des matières premières. Il craint de disparaître, victime de la crise économique, d’autant plus qu’il ne fait pas le poids face à la concurrence. Il est trop petit aux yeux de l’Etat, pour lequel il ne compte pas. Selon Rainier Jean-Pierre Fourcade, ministre des Finances de Giscard, a décidé que seuls les plus grosses entreprises méritent de survivre : « Fourcade joue à fond sur les gros : la concentration, les géants, pour faire face à la compétition, à la concurrence à l’échelle planétaire. […] Je suis trop petit. Je ne peux pas menacer le gouvernement de trente mille chômeurs. C’est foutu. »

            Jacques Rainier comprend que la situation est intenable et qu’il va devoir liquider son affaire en la vendant à un étranger. Il voit dans le déclin de son entreprise le reflet du déclin de la France. Il se confie à sa compagne, Laure : « Je ne peux plus tenir. J’ai le choix de passer la main à un Allemand ou peut-être à un Américain. C’est, comme tu vois, une situation typiquement française. » Jaques Rainier voit aussi dans cette crise une crise plus grave que les précédentes : « Ce n’est pas une crise comme une autre. Toutes nos structures sont usées. Ce n’est même pas l’économie : nous somme en retard d’une technologie. L’économie tombe en panne parce qu’elle demeure attelée à une technologie que la rapidité même de son développement a rendu anachronique. » Derrière le déclin français il voit celui de l’Europe : « L’Europe a perdu son histoire. Elle n’a plus de vitalité propre. »

Confronté à l’irréversibilité de son déclin physique et moral,

Rainier se résout « à partir »

            Ce déclin de la France et de l’Europe est parallèle au déclin physique de Jacques Rainier. Car le narrateur frise la soixantaine. Il a ce que son médecin appelle des « angoisses vespérales », c’est-à-dire des angoisses du soir (de sa vie). Il parle de son « corps automnal » qui « se déglingue », et n’épargne aucun détail au lecteur, quand, dans de longues pages très crues, il conjugue ses pannes sexuelles à ses problèmes de prostate. Confronté à l’irréversibilité de son déclin physique et moral, Rainier se résout « à partir », fatigué qu’il est de mener « une lutte acharnée contre le corps usé ». Il met au point ce qu’il appelle la « solution finale » et s’adresse à lui-même une lettre de rupture : « Jacques Rainier, vous m’avez profondément déçu. […] Vous ne savez plus vivre dans le présent et le souci des lendemains est votre préoccupation constante. Lorsque vos pouvoirs sexuels déclinent, vous vous comportez comme un chef d’entreprise qui a peur de ne plus pouvoir faire face aux échéances et vous préférez vous retirer de l’affaire. […] J’ai donc pris la décision de rompre avec vous. » Dans son naufrage Jacques Rainier n’a qu’un seul point de repère, en la personne de Laura, une jeune fille pleine de fraicheur dont il est devenu l’amant. A vingt-deux ans, Laura fait son début dans la vie, elle est encore au printemps de son existence. L’amour qu’il porte pour Laura parviendra-t-il à sauver Jacques Rainier ?

            Ce roman est largement autobiographique : Jacques Rainier est véritablement le double littéraire de Gary. Tous deux ont le même âge, tous deux partagent la même hantise de la vieillesse, et tous deux aiment une femme beaucoup plus jeune qu’eux : Laura, en ce qui concerne le narrateur, et Jean Seberg, en ce qui concerne l’auteur. Sur le plan politique, Romain Gary, gaulliste historique et Compagnon de la Libération, ne se reconnaît pas plus que Jacques Rainier dans la France de Giscard, lequel peut donner l’impression d’être résigné à ce que la France soit rabaissée en rang de puissance moyenne.

            La lecture de ce livre ne peut être recommandée qu’à de jeunes gens en bonne santé qui pensent avoir la vie devant eux et que n’embarrassent pas les « tout-à-l’égout de l’âme », que délivre Romain Gary. Conséquemment, ce livre est à déconseiller à toute personne qui craint son entrée dans le grand âge. A cinquante-neuf ans, le narrateur estime déjà relever de la gérontologie.

 

Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, de Romain Gary, 1975, collection Folio.

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