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09/01/2019

Traffic

Film naturaliste et haletant sur le trafic de drogue

Traffic

Michael Douglas joue le rôle d’un procureur nommé à la tête l’Office national des stupéfiants. En tant que général en chef il est chargé de gagner la guerre contre la drogue. Mais cette guerre n’est-elle pas perdue d’avance ? Soderbergh signe un film nuancé à la réalisation nerveuse et à la narration éclatée.

            Ayant des amis qui se droguaient, Soderbergh s’intéressa au phénomène et voulut en comprendre la nature. Il eut alors l’idée de tourner un film qui montrerait par quels procédés les trafiquants font entrer la drogue sur le territoire des Etats-Unis, et comment elle est revendue sur un bout de trottoir d’une ville américaine, pour, au bout du compte, être consommée par un particulier dans son salon. Sa volonté de démonter la chaîne du trafic de drogue le conduisit à éclater la narration et à alterner les scènes entre trois théâtres d’opération. Dans une espèce de kaléidoscope, Soderbergh décrit trois actions simultanées centrées sur différents personnages :

  • A Washington, le président des Etats-Unis nomme le procureur Wakefield au poste de directeur de l’Office national de contrôle des stupéfiants ;
  • A San Diego, deux agents de la DEA (Drug Enforcement Administration) sont sur le point de démasquer un important importateur de drogue ;
  • Au Mexique, un jeune policier incorruptible est recruté par le général Salazar, chef de la lutte antidrogue, pour s’attaquer à un important cartel.

    Traffic, Soderbergh, Michael Douglas, Don Cheadle, Benicio Del Toro, Dennis Quaid, Catherine Zeta-Jones        Le film souligne que la drogue est un fléau qui touche l’ensemble du corps social. Au début du film, le procureur a tendance à croire que seuls sont concernés les noirs qui habitent dans des ghettos ; puis il découvre que sa propre fille se drogue, et ainsi il prend conscience que même les jeunes gens de « bonne famille » ne sont pas à l’abri.

Le trafic de drogue est une industrie juteuse,

mais dangereuse

            Il faut dire que le trafic de drogue est une industrie juteuse. Les investisseurs bénéficient de rendements élevés, sachant que la marge de rentabilité avoisine les 300 pour cent. Mais c’est une activité dangereuse. Le trafiquant risque la prison, s’il est pris. Et s’il reste en liberté, il peut être à tout moment liquidé par un gang rival.

            Face à une telle situation, que faut-il faire ? A Washington, on a la solution. Il faut mener la guerre contre la drogue, ce qu’on appelle war on drugs. Le procureur Wakefield, en tant que Monsieur Drogue, est le général en chef désigné pour gagner ce combat. Mais, avant de mener toute guerre, il faut définir une stratégie et désigner l’ennemi numéro un. Faut-il s’attaquer en priorité aux clients, ou bien aux fournisseurs ? Sachant que l’on estime à vingt-cinq pour cent la proportion d’étudiants qui se droguent, s’attaquer aux consommateurs n’est-il pas un combat perdu d’avance ? N’est-il pas plus efficace de s’attaquer à la racine du mal en démantelant les cartels ?

La prévention n’intéresse guère les médias,

car elle est pauvre en image,

tandis que la guerre contre la drogue offre des images spectaculaires

            Le film oppose les méthodes américaines et mexicaines. Michael Douglas, représentant une démocratie, est soucieux de rester dans un cadre légal. En tant que procureur, il n’oublie pas de respecter les formes, car il sait qu’en face de lui, les avocats de la partie adverse n’hésiteront pas à se montrer procéduriers pour obtenir la relaxe de leurs clients. Les cartels étant implantés au Mexique, rien ne peut se faire sans une coopération étroite avec les autorités de ce pays. Au Mexique, qu’on pourrait qualifier de démocratie inachevée, on est moins regardant sur la méthode. Peu importent les moyens utilisés, seul le résultat compte. Le général Salazar est un homme à poigne qui n’hésite pas à donner la troupe pour s’attaquer au cartel de Tijuana. Il fait preuve d’une réelle efficacité en démantelant ledit cartel en seulement quelques semaines. Mais, assez curieusement, quand il est interrogé par le procureur Wakefield, sur le cartel rival, celui de Juarez, qui continue de sévir, il est évasif et explique qu’il lui faudra beaucoup plus de temps pour venir à bout de ce dernier cartel.

            Au Mexique, la politique de prévention est complètement absente. Très cynique, le général Salazar déclare que si un drogué est victime d’une overdose, cela fait un consommateur en moins. Parce que sa fille se drogue, le procureur est particulièrement conscient qu’une politique équilibrée doit comporter un volet répression et un volet prévention. Mais il est bien difficile de sensibiliser l’opinion publique sur ce dernier point. La prévention n’intéresse guère les médias, car elle est pauvre en image ; tandis que la guerre contre la drogue, par ses opérations paramilitaires et ses arrestations, offre des images spectaculaires.

Malgré les éléments de langage fournis par la Maison-Blanche,

le procureur éprouve un certain malaise à prendre une posture guerrière

            Dans ces conditions, la rhétorique guerrière est-elle bien appropriée ? La Maison-Blanche, elle, veut le croire. Elle pousse le procureur à s’appuyer sur l’exemple de sa fille : face aux médias, il n’a qu’à déclarer qu’en tant que père de famille il a été en première ligne dans le combat contre la drogue. Lui, il a vu le vrai visage de l’ennemi. Mais, malgré les éléments de langage que lui fournit la Maison-Blanche, le procureur éprouve un certain malaise à prendre une posture guerrière.

            D’une manière générale, le film est assez pessimiste : il montre que les cartel disposent d’un budget illimité et sont en avance sur les Etats. Très pédagogue, un important trafiquant explique au policier qui l’arrête qu’en l’envoyant en prison il ne fait que rendre service au gang adverse, lequel se débarrasse ainsi d’un dangereux concurrent ; car, ajoute-t-il, la demande est telle qu’il se trouvera toujours dans la nature un fournisseur pour y répondre. En résumé, la guerre contre la drogue est une guerre perdue d’avance.

            La réalisation de Soderbergh est sèche et nerveuse. On sent qu’il a voulu travailler vite, comme s’il tournait un reportage d’investigation pour la télévision. En conséquence, l’image n’apparaît pas toujours très soignée, de nombreuses séquences étant filmées caméra sur l’épaule. Certaines scènes en intérieur ont une lumière crue avec des couleurs bleutées et un abus de contre-jours. Ce parti-pris esthétique peut déconcerter certains spectateurs habitués à un certain académisme dans la réalisation. Mais, si l’on accepte ce type de mise en scène, alors peu à peu on est captivé par ce film qui ne fait la leçon à personne. Les caractères apparaissent complexes. Il n’y a pas a priori un camp du bien et un camp du mal. Quand un personnage entre dans l’histoire, il faut du temps au spectateur pour arriver à le cerner. Michael Douglas dans le rôle du procureur n’est pas le chevalier blanc que l’on pourrait croire qu’il est.

            Traffic est un film nuancé, rythmé et haletant. Au-delà, on pourrait même le qualifier de film naturaliste et social.

 

Traffic, de Steven Soderbergh, 2000, avec Michael Douglas, Don Cheadle, Benicio Del Toro, Dennis Quaid, Catherine Zeta-Jones, DVD Studiocanal.