28/11/2016
L'Argent des autres, de Christian de Chalonge
Le scandale de la Garantie Foncière à l’écran
L’Argent des autres
Une grande banque protestante est mêlée à un scandale financier. Son président, interprété par Michel Serrault, se défausse sur un salarié qui fait office de bouc-émissaire. Le réalisateur Christian de Chalonge s’est inspiré du scandale de la Garantie Foncière. Dans sa peinture de la haute finance, le banquier, incapable de résister à l’appât du gain, sert d’abord ses propres intérêts, quitte à se renflouer aux dépens de ses clients.
En 1971 éclatait le scandale de la Garantie Foncière. La société immobilière collectait des fonds pour les investir dans des programmes de construction. Les épargnants, attirés par un rendement très élevé, avaient été nombreux à apporter de l’argent. C’était l’époque de ce que la presse appela le gaullisme immobilier. La Garantie Foncière construisit effectivement quelques immeubles, mais d’importantes sommes d’argent disparurent dans les poches de nombreux intermédiaires qui plumèrent les petits porteurs. Lorsque tout s’écroula, le retentissement fut énorme. Les dirigeants de la Garantie Foncière furent arrêtés. Un aristocrate, dont le nom prestigieux avait servi de caution pour mettre en confiance les épargnants, fut mêlé au scandale. Il apparut également que de hautes personnalités politiques avaient joué un rôle trouble dans l’affaire. Sur ce, un autre scandale, similaire, éclata : celui du Patrimoine Foncier, dont le retentissement fut aussi important.
S’inspirant d’un livre à succès de l’époque, Christian de Chalonge a brodé à partir des deux affaires ; il a coécrit le scénario avec l’homme de télévision, Pierre Dumayet, qui avait été coproducteur de Lectures pour tous et de Cinq Colonnes à la une. Tous deux ont mis la haute finance au cœur de l’intrigue. Monsieur Miremont, président de la banque du même nom, est plein de morgue et de suffisance. Par déformation professionnelle il ne sait pas résister à l’appât du gain. Aussi est-il séduit par la personnalité de Chevalier d’Avesn, un aristocrate doué d’un bagou certain, qui lui fait miroiter de juteux projets d’investissement. Mais quand l’affaire tourne à la débâcle et que le scandale menace d’éclater, Miremont a besoin d’un bouc-émissaire, afin que ses propres négligences n’apparaissent pas. Il croit trouver un lampiste en la personne d’Henri Rainier, le fondé de pouvoir de la banque qui servait d’interlocuteur à Chevalier d’Avesn. Miremont est certain d’avoir affaire à un salarié docile qui portera toute la responsabilité sur ses épaules. Mais, une fois avisé de son licenciement, Henri Rainier ne réagit pas comme prévu ; il se défend face aux attaques de son employeur.
Il faut bien reconnaître que, par certains aspects, L’Argent des autres n’a pas bien vieilli. Le tandem Chalonge-Dumayet ne vaut probablement pas le duo formé par Costa-Gavras et Jorge Semprun. La narration n’est pas linéaire et a un côté brouillon, ce qui enlève de sa force à l’histoire. Cependant, malgré ses défauts, L’Argent des autres se regarde avec plaisir.
Le président de la banque a l’astuce
de se présenter non comme coupable, mais comme victime
Ce qui n’a pas du tout vieilli, c’est la peinture qui est faite du monde de la haute finance. Le banquier n’a pas pour objectif premier de faire gagner de l’argent à ses clients (cet objectif restant accessoire), mais a pour priorité de s’enrichir lui-même. S’il est acculé, il n’hésite pas à se refaire une santé sur le dos des petits porteurs. Alors qu’il a succombé à son avidité, il refuse de prendre ses responsabilités et préfère se défausser sur un sous-fifre. Très habilement, plutôt que de désigner Henri Rainier à la Justice, il choisit de porter plainte contre X, tout en laissant clairement entendre que sa plainte vise le salarié supposé indélicat. Il a ainsi l’astuce de présenter la banque non comme coupable, mais comme victime. C’est une illustration de l’adage selon lequel « plus c’est gros, mieux ça passe ».
Les dialogues de Dumayet sont soignés et certaines scènes sont particulièrement réussies. Quand un cadre dirigeant négocie avec M. Miremont les conditions de son licenciement, il se montre respectueux des convenances. Il ne réclame aucune somme de vive voix et juge plus discret, selon l’usage, d’écrire un montant sur un papier qu’il tend à son interlocuteur. Dans cette haute banque protestante qui n’hésite pas à flouer ses clients, il serait particulièrement indécent de discuter à voix haute de questions d’argent.
Le décor est fascinant : Chalonge n’a pas cherché le réalisme à tout prix et a fait en sorte que le siège de la banque Miremont soit monumental et écrase le visiteur, ou plutôt le spectateur.
Michel Serrault, qui incarne le banquier Miremont, trouve ici l’un des premiers rôles dramatiques de sa carrière ; Jean-Louis Trintignant interprète Henri Rainier, le fondé de pouvoir qui se débat dans un engrenage qui manque de le broyer ; et Claude Brasseur est sans manière dans le rôle de Chevalier d’Avesn.
En 1979, L’Argent des autres fut récompensé par le César du meilleur film et Christian de Chalonge fut sacré meilleur réalisateur. La même année, Michel Serrault gagna le César du meilleur acteur, non pour son rôle dans ce film, mais pour son interprétation dans La Cage aux folles, sortie quelques mois plus tôt.
L’Argent des autres, de Christian de Chalonge, 1978, avec Jean-Louis Trintignant, Michel Serrault, Claude Brasseur, Catherine Deneuve, Gérard Séty et François Perrot, DVD Tamasa Diffusion.
08:37 Publié dans Economie, Etude de moeurs, Film | Tags : l’argent des autres, christian de chalonge, pierre dumayet, trintignant, serrault, claude brasseur, deneuve, gérard séty, françois perrot | Lien permanent | Commentaires (0)
01/12/2013
La Banquière, de Francis Girod
Romy reine de la finance des Années folles
La Banquière
C’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider. Elle joue un personnage inspiré de Marthe Hanau, la banquière des Années folles. La reconstitution est soignée et la distribution prestigieuse. Le spectateur passe un agréable moment.
Il est des films que l’on a plaisir à voir et à revoir. La Banquière est de ceux-là. Francis Girod s’est directement inspiré de la vie de Marthe Hanau, « la banquière des Années folles », qui ruina des milliers de petits épargnants en mettant en place une pyramide dite de Ponzi. Comme Madoff bien des années plus tard, elle servait des taux d’intérêt très élevés à ses clients, en l’occurrence 8% ; mais, en réalité, elle les rémunérait avec l’argent des nouveaux souscripteurs.
La Banquière, sorti en 1980, est l'un des meilleurs films de Francis Girod. Sa réalisation oscille entre le roman-feuilleton et l’histoire illustrée. La reconstitution de la France de l’entre-deux-guerres est soignée, elle offre des décors somptueux de palaces et d’hôtels particuliers, dans lesquels la queue-de-pie ou le smoking sont de rigueur. Les chapitres de ce film roman-feuilleton, si l’on peut parler de chapitres, s’enchaînent avec harmonie et sont suffisamment courts pour que nous n’ayons pas le temps de nous ennuyer. Le scénario de Georges Conchon rappelle celui qu’il avait écrit deux ans plus tôt pour Le Sucre de Jacques Rouffio. Inspiré lui aussi d’une histoire vraie, ce film racontait la spéculation sur le sucre qui avait ruiné des petits épargnants. Les professionnels de la finance n’y étaient pas épargnés, ils ne le sont pas non plus dans La Banquière. On nous y martèle que les banques servent 1% d’intérêt, au mieux 1,5%, ce qui paraît peu.
La Banquière fait aussi penser à L’Affaire Stavisky d’Alain Resnais, sorti en 1974, qui racontait une affaire similaire, également dans une reconstitution somptueuse de la France de l’entre-deux-guerres, avec une distribution éclatante, Jean-Paul Belmondo en tête. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du film de Francis Girod. On y revoit avec beaucoup de plaisir le défilé d’acteurs qu’il nous offre. Marthe Hanau, rebaptisée Emma Eckhert, est interprétée par Romy Schneider. On sent que l’actrice s’est reconnue dans ce personnage rebelle, atypique, aux amours libres, qui se heurte à son milieu et à la bonne société ; Emma Eckert est entourée d’hommes qu’elle mène par le bout du nez. On voit apparaître d’autres acteurs fameux, dont certains sont aujourd’hui disparus : Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Jacques Fabbri…
Dans cette ambiance Années folles, la musique d’Ennio Morricone enveloppe l’œuvre d’un charme discret. Une fois le film fini, le spectateur n’a pas forcément compris tous les ressorts de la finance, mais, malgré quelques scènes pénibles, il a passé un agréable moment et c’est là l’essentiel.
La Banquière de Francis Girod (1980), avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Claude Brasseur, Jacques Fabbri et Daniel Mesguich, DVD Studio Canal.
09:38 Publié dans Comédie dramatique, Economie, Etude de moeurs, Film, Histoire | Tags : la banquière, francis girod, romy schneider, trintignant, jean-claude brialy, marie-france pisier, jean carmet, claude brasseur, jacques fabbri, daniel mesguich, georges conchon, morricone | Lien permanent | Commentaires (1)