23/01/2017
Hitler m'a dit, d'Hermann Rauschning
Hitler tel qu’il est
Hitler m’a dit
En 1939, Hermann Rauschning, un ancien dignitaire nazi, publiait Hitler m’a dit pour alerter le monde sur les véritables desseins du chancelier allemand. L'auteur fait le portrait d’un Hitler chef de gang, prêt à sacrifier des millions de vies pour parvenir à ses fins.
Hermann Rauschning naquit en 1887 en Prusse Orientale. Fils d’un propriétaire terrien, il était appelé à hériter du domaine familial ; mais la défaite de l’Allemagne, en 1918, bouleversa son destin. Ses terres étant situées dans la partie de la Prusse annexée par la Pologne, il se trouva dépossédé.
Humilié et blessé, il adhéra au parti nazi et fut élu au Sénat de la Ville libre de Dantzig. Au lendemain de la Grande Guerre, Dantzig ne faisait plus partie du Reich et avait reçu un statut spécial sous protection de la SDN (Société des nations).
De 1933 à 1934, pendant un peu plus d’un an, Hermann Rauschning fut président du Sénat de Dantzig, et, à ce titre, il fut le chef du gouvernement de la Ville. En tant que haut responsable nazi, il fut amené à approcher Hitler à plusieurs reprises, avant et après l’accession de celui-ci à la chancellerie du Reich.
A l’occasion de ces rencontres, Rauschning fut défavorablement impressionné par Hitler. De plus en plus inquiet, il fuit l’Allemagne en 1935 et se réfugia en Suisse, puis aux Etats-Unis. En 1939, il publia Hitler m’a dit dans le but d’alerter ses contemporains sur les desseins d’Hitler et sa personnalité.
A la question « Quelle impression Hitler produit-il ? », Rauschning répond qu’il éveilla en lui des impressions contradictoires. En août 1932, il fut reçu à l’Oberzsalzberg, le chalet d’Hitler dans les Alpes bavaroises, et pénétra son intimité. Or, le portrait qu’il fait du Führer n’est pas celui d’un être charismatique. « Dans ce cadre, écrit Rauschning, le grand tribun disparaissait, s’effaçait jusqu’à n’être plus qu’un bourgeois insignifiant. […] Hitler n’a vraiment rien qui puisse attirer. » Rauschning parle de son regard fixe et éteint, et déplore sa « voix criarde, gutturale, menaçante et frénétique ». Il évoque aussi sa manie de se curer les dents d’un « geste affreusement vulgaire ».
Hitler aurait pu être inventé par Dostoïevski
Pourtant Hitler a déclenché l’enthousiasme de certains. Rauschning s’interroge donc pour savoir comment cet homme « gauche et embarrassé » peut subjuguer les masses, et comment même des hommes cultivés et intelligents tombent en extase dès qu’ils le rencontrent. « On est obligé de penser aux médiums », écrit Rauschning. Selon lui, les médiums sont des hommes ordinaires et insignifiants, qui subitement se trouvent dotés de pouvoirs qui les élèvent au-dessus du commun. Rauschning confesse lui-même qu’en présence d’Hitler il fut victime d’une « sorte d’emprise hypnotique ».
Rauschning évoque à plusieurs reprises l’instabilité du caractère d’Hitler : « A la moindre contradiction, il entrait dans de violentes colères » ; mais ses accès de fureur étaient « soigneusement prémédités ». Suite à un incident mineur, Rauschning le vit vociférer : « Il criait à perdre voix, il trépignait et frappait du poing sur la table et contre les murs. Sa bouche écumait ; il haletait comme une femme hystérique et éructait des exclamations entrecoupées : "Je ne veux pas !... F…ez le camp ! traitres !" Ses cheveux étaient en désordre, son visage contracté, ses yeux hagards et sa face cramoisie. Sur le moment, j’eus peur qu’il ne tombât victime d’une attaque. » Par certains aspects, Hitler fait penser aux Possédés de Dostoïevski. Rauschning écrit lui-même à propos du dictateur : « Cet être aurait pu être inventé par Dostoïevski. »
L’auteur ne se borne pas à livrer les clés de la psychologie d’Hitler, il raconte aussi les coulisses de son accession au pouvoir. A plusieurs reprises, Hitler donna l’impression d’hésiter sur la voie à suivre : la voie de la brutalité ou la voie de la légalité. Finalement il opta pour la seconde solution, quitte à donner l’impression d’être velléitaire et quitte à être critiqué par certains de ses camarades du Parti.
Pour Rauschning, les Nazis sont des gangsters
qui pratiquent le pillage et l’assassinat
En ce qui concerne les principaux chefs nazis, Rauschning déclare qu’ils ont des « méthodes de gangsters ». Leur objectif principal est de s’enrichir au maximum dans le minimum de temps. Leur slogan pourrait être, selon Rauschning, « Enrichissez-vous » ; et il poursuit : « Les nazis s’emplissaient les poches à une allure si scandaleuse qu’on n’arrivait plus à suivre la cadence du pillage. […] Pendant ce temps, le Führer renonçait à son traitement de chancelier. Il donnait, lui, le bon exemple. Il n’avait besoin de rien. En une nuit, il était devenu l’éditeur le plus riche du monde, cousu de millions, l’auteur le plus lu, le plus obligatoirement lu. » Ici Rauschning fait allusion à l’obligation qu’avait chaque foyer allemand de posséder dans sa bibliothèque un exemplaire de Mein Kampf, ce qui assura à Hitler la vente de plusieurs millions d’exemplaires de son livre.
Chez les gangsters, la vie ne tient qu’à un fil. Depuis la nuit des Longs-Couteaux et la liquidation de Rœhm, chef des SA, chacun sait que l’assassinat est une solution qui, à tout instant, permet de résoudre les problèmes. En conséquence, chaque chef nazi constitue des dossiers sur ses camarades, qu’il dépose chez un notaire, afin de disposer d’une police d’assurance.
En février 1933, le Reichstag fut incendié. Les communistes furent accusés. Sur le moment, Rauschning fut persuadé que le Komintern avait commandité l’incendie. Mais, quelques jours plus tard, alors qu’il patiente dans une antichambre de la chancellerie du Reich, il surprit une conversation entre Gœring et Himmler. Goering racontait avec force détails comment ses « garçons » avaient utilisé un passage souterrain pour pénétrer dans le Reichstag et l’incendier. « Eclats de rire de satisfaction, plaisanteries, fanfaronnades, telles étaient les réactions de ces "conjurés". »
« Hitler n’a jamais pu terminer une conversation
sans éclater au moins une fois en imprécations contre les juifs »
Dans le livre, il est question de l’antisémitisme du régime. Selon Rauschning, la plupart des chefs nazis, très pragmatiques, voient dans l’élimination des juifs l’occasion de s’enrichir à bon compte en les expropriant. Quelques uns d’entre eux cherchent aussi à satisfaire leurs « rêves sadiques ». Quant à Hitler, il croit profondément que « le juif est tout simplement le Mal ». Rauschning poursuit : « Hitler ne manquait pas de raisons pour exprimer sa haine. Il en était comme possédé au point qu’il n’a jamais pu terminer une conversation sans éclater au moins une fois en imprécations contre les juifs. »
Selon Rauschning, Hitler parlait de ses projets devant tel ou tel collaborateur, seulement dans la mesure où celui-ci était concerné; mais il se gardait bien de lui donner une vision d’ensemble de ses intentions. Devant Rauschning cependant, Hitler alla assez loin en lui dévoilant une bonne partie de ses plans. Un jour, il lui déclara : « Il nous faut l’Europe et ses colonies. […] Notre espace complet, à nous, c’est l’Europe. Celui qui la conquerra imprimera son empreinte au siècle à venir. Nous sommes désignés pour cette tâche. Si nous ne réussissons point, nous succomberons, et tous les peuples européens périront avec nous. » Hitler précisa qu’il était prêt à « sacrifier toute une génération de la jeunesse allemande », et ajouta : « Même si tel doit être le prix, je n’hésiterai pas une seconde à me charger la conscience de la mort de deux ou trois millions d’Allemands. » Et concernant les peuples dont il s’apprêtait à saisir les territoires, il conclut : « Nous aurons le devoir d’éliminer ces peuples. »
Cependant, pour arriver à ses fins, Hitler n’écartait de passer un pacte avec l’Union Soviétique : « Peut-être ne pourrai-je pas éviter l’alliance avec la Russie. Mais je garde cette possibilité comme mon dernier atout. […] Et si jamais je me décide à miser sur la Russie, rien ne m’empêchera de faire encore volte-face et de l’attaquer lorsque mes buts à l’Occident seront atteints. » Rappelons qu’Hitler m’a dit fut publié en 1939 et que la rupture du pacte germano-soviétique eut lieu en 1941.
Sur un plan philosophique et religieux, Hitler déclara à Rauschning : « Le national-socialisme est plus qu’une religion : c’est la volonté de créer un nouvel Homme. » Et il fit part de son intention d’ « extirper le christianisme d’Allemagne ». Rauschning, appartenant à une vieille famille protestante de Prusse, dit que c’est suite à ces propos en particulier qu’il commença de se détacher d’Hitler et du nazisme.
Installé aux Etats-Unis, Rauschning y mourut en 1982, à l’âge de quatre-vingts quatorze ans.
Après la guerre et encore ces dernières années, certains historiens ont contesté l’authenticité des entretiens rapportés par Rauschning. Pourtant, avec le recul, son livre apparaît à bien des égards prophétiques. Et, en tout cas, personne ne conteste le fait que Rauschning l'a publié en 1939, à l’apogée d’Hitler et du nazisme, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale et avant l’écrasement du Troisième Reich. Il ne s’agit en rien d’un texte apocryphe.
Le mieux est de lire Hitler m’a dit comme un témoignage écrit et publié sur le vif. Le plus important, ce ne sont pas les erreurs que l’ouvrage peut contenir, mais le fait que bien souvent il approche la vérité. Quiconque aurait lu ce livre à sa parution, en 1939, aurait su à quoi s’en tenir sur Hitler et n’aurait pas été complètement surpris par le cours des événements.
Hitler m’a dit, d’Hermann Rauschning, 1939, collection Pluriel.
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