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29/06/2015

Potiche, de François Ozon

Comédie sur l’avènement de la société matriarcale

Potiche

Dans Potiche, François Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. On peut ne pas partager ses idées, mais force est de constater qu’il a du style et qu’il sait diriger ses acteurs : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini… Potiche est l’adaptation d’une pièce qui fit les beaux jours de l’émission Au théâtre ce soir.

            Printemps 1977, Valéry Giscard d’Estaing est président de la République. La France est entrée dans la crise économique, suite au choc pétrolier de 1973. Le chômage de masse commence à faire parler de lui, mais l’ennemi à terrasser est l’inflation à deux chiffres. Pour la juguler, Raymond Barre, Premier ministre, décide le blocage des prix.

     Potiche,Ozon, deneuve, depardieu, Lucchini, Karin Viard, Judith Godrèche,Jérémie Renier       Dans une petite ville de province, Robert Pujol dirige une usine de parapluies employant trois-cents salariés. Une grève sans préavis éclate. Les ouvriers réclament notamment le treizième mois et la cinquième semaine de congés payés. Pujol refuse. Lors d’un échange un peu vif, il moleste un ouvrier. En guise de représailles, les grévistes le séquestrent dans son bureau. Informée de la situation, sa femme Suzanne cherche à le faire libérer ; elle s’adresse à Maurice Babin, député-maire communiste de la ville, et lui demande sa médiation. Babin, qui n’a rien à refuser à Suzanne, obtient la libération de son mari. Le mouvement prend fin. Affaibli par l’épreuve qu’il a subie, Robert Pujol est victime d’une attaque cardiaque. Pendant son indisponibilité, qui va diriger l’usine ? Son fils Laurent refusant d’assurer l’intérim, Pujol se rabat sur sa femme, afin que l’affaire reste aux mains de la famille.

            Potiche est l’adaptation cinématographique d’une pièce qui fit les beaux jours de la fameuse émission Au théâtre ce soir. Le film vaut d’abord pour son esthétique ; Ozon a su recréer le cadre des années soixante-dix. Les cheveux sont longs, les pantalons ont des pattes d’éléphant, les survêtements ont des bandes sur le côté, et les canapés affichent un orange criard. Ozon a aussi utilisé le split screen, procédé très à la mode à l’époque ; il consiste à diviser l’écran en deux, ce qui permet de suivre deux actions simultanées.

            Le décor de l’usine n’a guère changé depuis la fin du XIXe siècle, la maison du propriétaire jouxte l’usine et l’affaire reste familiale. Les ouvriers font grève, non pour sauvegarder des emplois qui ne sont pas menacés, mais pour obtenir des avantages sociaux supplémentaires. Dans ces années d’après 1968, ils demeurent très politisés et dénoncent la « gestion réactionnaire » de Pujol. Le PCF reste puissant et garde de l’influence sur les ouvriers en grève. Mais les temps changent, ainsi le fils Pujol déclare : « Le Paternalisme c’est fini. Maintenant il faut se conduire en sauvage. »

Avec Suzanne Pujol à la tête de l’usine,

ce sont les femmes qui prennent le pouvoir

Plus encore que l’évolution des rapports sociaux entre employeur et salariés, c’est l’évolution du statut de la femme qui retient l’attention d’Ozon. Au début du film, Suzanne Pujol est réduite au rôle de potiche. Bien qu’elle tienne l’usine de ses parents, c’est son mari qui la dirige. Robert Pujol se conduit en véritable autocrate, il demande à sa femme de se contenter de partager son avis et de se cantonner aux petits poèmes qu’elle se plaît à rédiger. Elle reste à la maison où elle est reine de l’électroménager. L’après-midi, elle est devant la télévision pour regarder Aujourd’hui madame, sur Antenne 2. Mais, là aussi, les choses sont en train de bouger. La fille Pujol rêve de devenir indépendante, elle envisage de divorcer et parle de venir travailler à l’usine.

            Quand Suzanne Pujol, secondée par sa fille, prend la direction de l’usine, c’est un complet bouleversement qui se produit. Les femmes prennent le pouvoir tandis que les hommes sont relégués. Le fils consent à donner un coup de main à sa mère, mais à condition de s’occuper exclusivement du design des parapluies, car il est plus intéressé par les beaux-arts que par les affaires. Quant à Maurice Babin, il doit affronter la candidature de Suzanne Pujol aux prochaines élections. Comme beaucoup de dirigeants communistes de sa génération, il dit soutenir la cause des femmes, mais reste quelque peu vieux jeu.

            Visiblement, Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. Ainsi Suzanne Pujol, une fois élue, annonce à ses concitoyens qu’elle sera leur maman. On peut ne pas partager les idées d’Ozon, on peut ne pas aimer ce film, mais assurément on ne peut contester l’existence d’un style cinématographique propre à Ozon. Comme toujours chez lui, la direction d’acteurs est excellente et la bande-son est très claire. Catherine Deneuve incarne la potiche qui finit par jouer un rôle de premier plan. Fabrice Luchini, en Robert Pujol, dirige avec cynisme son usine. Et Gérard Depardieu, en Maurice Babin, fait penser aux élus communistes de l’époque, qui, pour la plupart, avaient été ouvriers dans leur jeunesse. Ozon aime les acteurs et les met au centre de son œuvre. Il aime aussi à les faire chanter. Ainsi Catherine Deneuve entonne C’est beau la vie, de Jean Ferrat. La seule bizarrerie demeure dans les anachronismes glissés par Ozon dans son film : Luchini a des paroles telles que « Il faudra travailler plus pour gagner plus » et la fille Pujol évoque la perspective d’une délocalisation, alors que le mot n’existait pas en 1977.

 

Potiche, de François Ozon, 2009, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Judith Godrèche et Jérémie Renier, DVD France Télévision Distribution.

13/04/2015

Les Invités de mon père, d'Anne Le Ny

Le vieillard et la sans-papiers

Les Invités de mon père

Un retraité aisé, militant antiraciste, héberge une jeune étrangère sans-papiers avec qui il envisage un mariage blanc, de façon à lui permettre de rester en France. Ses deux enfants ne savent pas quoi penser et se demandent si leur père n’est pas manipulé. Le film d’Anne Le Ny traite d’un sujet de société sensible sans faire la leçon à quiconque.

            Lucien Paumelle a toujours eu le sens de l’engagement. Pendant la guerre, il a été résistant. Puis, pendant des années, en tant que médecin, il n’a pas hésité à effectuer des avortements clandestins. C’est un homme qui a toujours cherché à mettre en accord ses actes avec ses convictions d’homme de gauche. Aujourd’hui Lucien Baumelle est en retraite. Depuis la mort de sa femme, il vit seul. Mais son sens de l’engagement reste intact. Il milite au sein d’une association de défense des sans-papiers et s’apprête à héberger une famille dans son appartement.

 les invités de mon père,anne le ny,fabrice lucchini,karin viard,michel aumont,valérie benguigui,veronika novak           Sa fille Babette le soutient dans son combat, tandis que son fils Arnaud est plus circonspect. Il est avocat, gagne bien sa vie et affiche des opinions plus conservatrices. Il met en garde son père, qui est sur le point de se rendre coupable du délit de solidarité avec un sans-papiers. Mais Lucien Paumelle, ancien résistant, n’est pas homme à renoncer.

            Alors qu’il s’attend à accueillir une famille sénégalaise, au lieu de cela, il est chargé d’héberger une Ukrainienne, Tatiana, et sa fille Sorina, une enfant d’une dizaine d’années. Tatiana est une jeune femme blonde élancée, aux allures de pin-up. Elle conquiert le cœur de Lucien. Quand elle tient des propos à caractère raciste, lui, le militant antiraciste, ferme les yeux et lui trouve des circonstances atténuantes, attendu que, venant d’un pays qui a été soumis au totalitarisme, elle ne peut avoir les mêmes facultés de discernement que les Français. Il va jusqu’à envisager de contracter un mariage blanc pour lui éviter d’être expulsée.

            Les Invités de mon père traite d’un sujet de société sensible, le problème des sans-papiers et des mariages blancs, et, au-delà, il pose la question des personnes qui, du fait de l’âge, semblent perdre leur lucidité. Arnaud et Babette sont désemparés, confrontés qu’ils sont à une situation qui n’est pas simple. Ils ne savent pas très bien quoi penser. Tatiana est-elle sincère ? Est-elle vraiment une jeune maman en détresse, qu’il faut aider ? ou n’est-elle pas plutôt une manipulatrice décidée à extorquer leur père ? Si c’est effectivement le cas, comment peuvent-ils espérer lui ouvrir les yeux avant que ses comptes en banque soient complètement à sec ? A chaque instant, ils risquent le faux-pas.

            Un matin, Lucien Baumelle invite, ou plutôt convoque, ses deux enfants à son domicile. Dans un préambule il leur fait remarquer qu’ils vivent dans l’aisance et leur déclare qu’il vaut mieux « que l’argent aille à ceux qui en ont vraiment besoin. » En conséquence, il veut faire de Tatiana son unique héritière. Quand son fils lui indique qu’il n’a pas le droit de déshériter ses enfants, Lucien répond qu’il en est pleinement conscient. Il leur demande donc de renoncer d’eux-mêmes à leur part d’héritage et leur soumet un document préparé par le notaire, qu’il leur demande de signer. Arnaud et Babette s’exécutent et paraphent ledit document, mais le vivent très mal. Babette, qui a toujours soutenu son père, repart en pleurs. Ce n’est pas une question d’argent, ni l’un ni l’autre n’en manquent, mais ils ont l’impression d’être reniés. De fil en aiguille, c’est toute la famille qui finit par être déstabilisée.

            Les Invités de mon père est très bien interprété, notamment par Michel Aumont dans le rôle de Lucien Paumelle. Fabrice Luchini, qui interprète Arnaud, est égal à lui-même. Karin Viard joue Babette, la fille qui a épousé les idées de son père et qui aura bien des désillusions ; on l’entend tenir quelques propos crus. La réalisatrice Anne Le Ny fait bien ressortir les contradictions qui tiraillent les personnages, mais elle ne juge pas et ne fait la leçon à personne.

 

Les Invités de mon père, d’Anne Le Ny, 2010, avec Fabrice Luchini, Karin Viard, Michel Aumont, Valérie Benguigui et Veronika Novak, DVD TF1 Vidéo.