19/05/2021
Camille Claudel, de Bruno Nuytten
Le portrait d’une artiste passionnée
Camille Claudel
Isabelle Adjani a fait sortir de l’ombre Camille Claudel en retraçant sa vie dans ce film dont elle a confié la réalisation à Bruno Nuytten. Elle incarne une jeune femme convaincue de sa vocation d’artiste. Sa rencontre avec Rodin doit être la chance de sa vie. Ce sera la source de son malheur.
Dans la famille Claudel on connaissait Paul, l’écrivain, mais on avait oublié l’existence de sa sœur Camille, le sculpteur, jusqu’à ce qu’Isabelle Adjani lui redonne vie dans un film biographique sorti en 1988. Elle en confia la réalisation à Bruno Nuytten, lequel centra le film sur la relation qu’entretinrent Camille et Rodin.
L’histoire débute en 1882, au moment de leur première rencontre : Rodin, ou plutôt maître Rodin, ainsi qu’on l’appelle respectueusement, est un artiste reconnu et couvert d’honneur ; il est dans la force de l’âge, tandis que Camille est une jeune fille qui fait ses débuts dans la vie ; elle est convaincue de sa vocation d’artiste, et sa rencontre avec Rodin semble être la chance de sa vie. Le maître s’intéresse à son travail et la prend sous sa protection. Il la fait venir dans son atelier et l’initie à son art. Rodin a une personnalité hors du commun et fascinante : ainsi, quand il est amené à découvrir une sculpture faite par un autre, plutôt que de la regarder d’emblée, il préfère, dans un premier temps, fermer les yeux et la tâter pour en sentir les formes. Il donne à Camille des conseils judicieux, lui recommandant de ne pas penser en surface, mais en relief, et de ne pas hésiter à forcer sur les muscles pour donner du volume à ses œuvres. La proximité entre les deux êtres est devenue telle que Camille est non seulement la collaboratrice de Rodin, mais aussi l’un de ses modèles et l’une de ses maîtresses.
Camille mène une vie d’artiste qui est en complet décalage avec son milieu social : les Claudel sont de grands bourgeois fiers de leur nom, et Mme Claudel est profondément choquée de voir que sa fille préfère jouir de sa liberté, plutôt que de se ranger et de mener une vie convenable. Mais M. Claudel, lui, a des idées plus larges, et il croit en la vocation de Camille. Il l’autorise à entamer sa dot pour assouvir sa passion. Plein d’admiration, il se constitue une espèce de press-book dans lequel il colle soigneusement les coupures de presse consacrées à sa fille et à ses expositions. Cependant, avec le temps, il commence à douter de sa fille et se demande si sa rencontre avec Rodin, plutôt que d’être une chance, ne pourrait pas être la source de son malheur. Il soupçonne le grand homme de l’exploiter et s’inquiète de savoir si au moins il la paye.
Dans un moment de furie,
Camille détruit une bonne partie de son œuvre
Quand Camille ouvre les yeux et prend conscience que Rodin l’a utilisée à son profit, il est trop tard ; les années ont passé et sa jeunesse a fui. Elle l’accuse alors de lui avoir tout volée, ses années et son travail. Lui, il s’en défend, prétextant d’avoir à chaque fois cherché à l’aider. En fait, l’attitude du grand homme est difficile à cerner. D’un côté on a l’impression qu’il n’hésite pas à mettre ses femmes et ses ouvriers au service de son art et de sa réussite : on le voit mener une vie de grand bourgeois habitant dans une vaste demeure, il n’est pas un artiste maudit condamné à la misère, mais un ambitieux assoiffé d’honneurs et prêt à toutes les bassesses pour avancer dans la carrière ; d’un autre côté on apprend, au cours du film, qu’il n’hésite jamais à user de ses relations pour appuyer Camille et lui susciter des commandes, quand l’occasion lui en est fournie.
Au milieu de ses déboires, Camille trouve un restant de stabilité auprès de son frère cadet Paul, dont elle est très proche. Elle contribue à son initiation en lui faisant découvrir un écrivain à la réputation sulfureuse : Rimbaud. Mais elle est décontenancée quand il lui annonce sa conversion au catholicisme. Et quand, devenu diplomate, il quitte la France pour New-York, elle est carrément déboussolée ; car, en perdant Paul, elle perd son dernier repère. Elle se réfugie alors dans son art et y met toute son énergie. Elle vit dans l’isolement, enfermée dans son atelier qui se transforme peu à peu en cour des miracles. Elle a soif de reconnaissance et souffre de ne pas la trouver. Devenue aigrie, elle finit par indisposer les âmes bienveillantes à son égard. Elle se montre désagréable avec ceux qui lui offrent leur aide et n’honore pas les commandes qu’ils lui procurent. Elle se consume peu à peu et, à force de ne plus parler à quiconque, elle commence à perdre l’usage de la parole. Dans un moment de furie, elle détruit une bonne partie de son œuvre. Constatant sa folie, sa famille envisage de l’interner.
Dans le film, une espèce de clair-obscur
donne du volume aux êtres de chair et aux œuvres de marbre
Isabelle Adjani dans le rôle de Camille Claudel n’est pas sans rappeler le personnage d’Adèle Hugo, qu’elle avait joué dix ans plus tôt, sous la direction de Truffaut. Elle est pleine de passion et se montre presque violente dans ses sentiments. Depardieu joue un Rodin à la silhouette imposante, reconnaissable à son chapeau d’artiste à larges bords ; c’est un jouisseur qui dévore la vie et les femmes. Alain Cuny dans le personnage de M. Claudel est grave, hiératique et sombre. Il est dans son propre rôle d’homme de théâtre quand il déclame à haute voix des vers de son fils Paul.
Avant d’être réalisateur, Bruno Nuytten avait d’abord été chef opérateur, si bien qu’ici il a particulièrement soigné l’image. Le film a été tourné en décors naturels ; seule fait exception la tour Eiffel, montrée en arrière-plan, et que l’on voit s’élever vers le ciel au fur et à mesure que l’histoire avance dans le temps. La lumière est très importante : une espèce de clair-obscur donne du volume aux êtres de chair et aux œuvres de marbre. Seule la bande-son et les dialogues auraient gagné à un être un peu plus clairs. Le film est long, il dure près de trois heures, et il est lent, ce qui peut décourager les spectateurs impatients. Mais, les autres, après avoir vu ce film, garderont longtemps en mémoire le personnage de Camille.
Isabelle Adjani, en incarnant Camille Claudel, aura largement contribué à faire sortir son œuvre de l’ombre. Depuis un musée Camille-Claudel a ouvert ses portes, à Nogent-sur-Seine.
Camille Claudel, de Bruno Nuytten, 1988, avec Isabelle Adjani, Gérard Depardieu, Laurent Grévill, Alain Cuny et Madeleine Robinson, DVD Studiocanal.
10:41 Publié dans Etude de moeurs, Film | Tags : camille claudel, bruno nuytten, adjani, depardieu, laurent grévill, alain cuny, madeleine robinson | Lien permanent | Commentaires (0)
29/06/2015
Potiche, de François Ozon
Comédie sur l’avènement de la société matriarcale
Potiche
Dans Potiche, François Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. On peut ne pas partager ses idées, mais force est de constater qu’il a du style et qu’il sait diriger ses acteurs : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini… Potiche est l’adaptation d’une pièce qui fit les beaux jours de l’émission Au théâtre ce soir.
Printemps 1977, Valéry Giscard d’Estaing est président de la République. La France est entrée dans la crise économique, suite au choc pétrolier de 1973. Le chômage de masse commence à faire parler de lui, mais l’ennemi à terrasser est l’inflation à deux chiffres. Pour la juguler, Raymond Barre, Premier ministre, décide le blocage des prix.
Dans une petite ville de province, Robert Pujol dirige une usine de parapluies employant trois-cents salariés. Une grève sans préavis éclate. Les ouvriers réclament notamment le treizième mois et la cinquième semaine de congés payés. Pujol refuse. Lors d’un échange un peu vif, il moleste un ouvrier. En guise de représailles, les grévistes le séquestrent dans son bureau. Informée de la situation, sa femme Suzanne cherche à le faire libérer ; elle s’adresse à Maurice Babin, député-maire communiste de la ville, et lui demande sa médiation. Babin, qui n’a rien à refuser à Suzanne, obtient la libération de son mari. Le mouvement prend fin. Affaibli par l’épreuve qu’il a subie, Robert Pujol est victime d’une attaque cardiaque. Pendant son indisponibilité, qui va diriger l’usine ? Son fils Laurent refusant d’assurer l’intérim, Pujol se rabat sur sa femme, afin que l’affaire reste aux mains de la famille.
Potiche est l’adaptation cinématographique d’une pièce qui fit les beaux jours de la fameuse émission Au théâtre ce soir. Le film vaut d’abord pour son esthétique ; Ozon a su recréer le cadre des années soixante-dix. Les cheveux sont longs, les pantalons ont des pattes d’éléphant, les survêtements ont des bandes sur le côté, et les canapés affichent un orange criard. Ozon a aussi utilisé le split screen, procédé très à la mode à l’époque ; il consiste à diviser l’écran en deux, ce qui permet de suivre deux actions simultanées.
Le décor de l’usine n’a guère changé depuis la fin du XIXe siècle, la maison du propriétaire jouxte l’usine et l’affaire reste familiale. Les ouvriers font grève, non pour sauvegarder des emplois qui ne sont pas menacés, mais pour obtenir des avantages sociaux supplémentaires. Dans ces années d’après 1968, ils demeurent très politisés et dénoncent la « gestion réactionnaire » de Pujol. Le PCF reste puissant et garde de l’influence sur les ouvriers en grève. Mais les temps changent, ainsi le fils Pujol déclare : « Le Paternalisme c’est fini. Maintenant il faut se conduire en sauvage. »
Avec Suzanne Pujol à la tête de l’usine,
ce sont les femmes qui prennent le pouvoir
Plus encore que l’évolution des rapports sociaux entre employeur et salariés, c’est l’évolution du statut de la femme qui retient l’attention d’Ozon. Au début du film, Suzanne Pujol est réduite au rôle de potiche. Bien qu’elle tienne l’usine de ses parents, c’est son mari qui la dirige. Robert Pujol se conduit en véritable autocrate, il demande à sa femme de se contenter de partager son avis et de se cantonner aux petits poèmes qu’elle se plaît à rédiger. Elle reste à la maison où elle est reine de l’électroménager. L’après-midi, elle est devant la télévision pour regarder Aujourd’hui madame, sur Antenne 2. Mais, là aussi, les choses sont en train de bouger. La fille Pujol rêve de devenir indépendante, elle envisage de divorcer et parle de venir travailler à l’usine.
Quand Suzanne Pujol, secondée par sa fille, prend la direction de l’usine, c’est un complet bouleversement qui se produit. Les femmes prennent le pouvoir tandis que les hommes sont relégués. Le fils consent à donner un coup de main à sa mère, mais à condition de s’occuper exclusivement du design des parapluies, car il est plus intéressé par les beaux-arts que par les affaires. Quant à Maurice Babin, il doit affronter la candidature de Suzanne Pujol aux prochaines élections. Comme beaucoup de dirigeants communistes de sa génération, il dit soutenir la cause des femmes, mais reste quelque peu vieux jeu.
Visiblement, Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. Ainsi Suzanne Pujol, une fois élue, annonce à ses concitoyens qu’elle sera leur maman. On peut ne pas partager les idées d’Ozon, on peut ne pas aimer ce film, mais assurément on ne peut contester l’existence d’un style cinématographique propre à Ozon. Comme toujours chez lui, la direction d’acteurs est excellente et la bande-son est très claire. Catherine Deneuve incarne la potiche qui finit par jouer un rôle de premier plan. Fabrice Luchini, en Robert Pujol, dirige avec cynisme son usine. Et Gérard Depardieu, en Maurice Babin, fait penser aux élus communistes de l’époque, qui, pour la plupart, avaient été ouvriers dans leur jeunesse. Ozon aime les acteurs et les met au centre de son œuvre. Il aime aussi à les faire chanter. Ainsi Catherine Deneuve entonne C’est beau la vie, de Jean Ferrat. La seule bizarrerie demeure dans les anachronismes glissés par Ozon dans son film : Luchini a des paroles telles que « Il faudra travailler plus pour gagner plus » et la fille Pujol évoque la perspective d’une délocalisation, alors que le mot n’existait pas en 1977.
Potiche, de François Ozon, 2009, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Judith Godrèche et Jérémie Renier, DVD France Télévision Distribution.
07:30 Publié dans Comédie, Film | Tags : potiche, ozon, deneuve, depardieu, karin viard, judith godrèche, jérémie renier, luchini | Lien permanent | Commentaires (0)
23/02/2015
Le Dernier Métro, de Truffaut
Le film aux dix Césars
Le Dernier Métro
A Paris, sous l’Occupation, Marion Steinert dirige le théâtre Montmartre. Bernard Granger, un jeune acteur qui lui donne la réplique, la trouve froide et distante, comme si elle avait quelque chose à cacher. Dans ce film, les deux rôles principaux sont tenus par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Truffaut, qui les dirige, s’est plu à recréer l’atmosphère de l’époque. Le Dernier Métro fut couvert de récompenses à la cérémonie des Césars de 1981.
Paris, 1942. La vie culturelle est intense. Pour échapper à la noirceur du temps, la population fait le plein des salles de spectacle. Le dernier métro, qui donne au film son titre, est celui que les Parisiens ne doivent surtout pas manquer le soir, s’ils veulent être rentrés chez eux avant le couvre-feu.
Le jeune acteur Bernard Granger obtient un rôle dans la pièce que prévoit de monter le théâtre Montmartre. Son directeur, Lucas Steinert, ayant pris la fuite, c’est son épouse, Marion, qui assure l’intérim. Au fil des répétitions, Bernard Granger apprend à connaître Marion Steinert, à qui il donne la réplique. Il est intrigué par son comportement qu’il trouve froid et distant, comme si elle avait quelque chose à cacher.
Dans ce film, François Truffaut a su recréer l’atmosphère de l’Occupation. Il ne force pas sur le côté sombre de l’époque et ne montre pas de scène violente. Il cherche à rassurer le spectateur en le faisant profiter du cocon que représente le théâtre, l’essentiel du film se déroulant entre ses quatre murs. Le lieu sert d’échappatoire, il semble situé à des années-lumière du fracas des armes. L’ambiance est apaisée et apaisante. Le calme est seulement troublé par des coupures intempestives de courant et des alertes aériennes. Comme si de rien n’était, les comédiens vivent leur vie et leurs amours, et font leur métier. Ils sont quand même soumis aux aléas du ravitaillement et doivent remettre un certificat d’aryanité pour pouvoir travailler. Comme à toutes les époques, certains cherchent la réussite à tout prix ; ainsi une jeune actrice affirme qu’il faut tout accepter pour se faire remarquer. Dans son cas, sous l’Occupation, « tout accepter » nécessite de sortir en compagnie d’un officier allemand.
Certains épisodes sont authentiques. Quand le jeune Bernard Granger gifle le critique du journal Je suis partout, cela renvoie à la correction donnée par Jean Marais à un journaliste qui avait écrit sur Cocteau des choses déplaisantes. Quand, à la Libération, un metteur en scène réputé est arrêté en robe de chambre puis libéré, cela fait référence aux multiples déboires que connut Sacha Guitry à cette période. Et quand un acteur échappe à l’arrestation dans une église, l’épisode en question est directement inspiré d’une histoire vécue par un oncle de Truffaut.
Le film se passant dans un théâtre, il a un côté théâtre que l’on peut qualifier d’assumé. Le film et la pièce que jouent les comédiens finissent par se confondre dans un tout. Catherine Deneuve joue Marion Steinert et n’a pas de mal à se montrer froide et distante, les autres comédiens la vouvoient et l’appellent « Madame ». Gérard Depardieu interprète Bernard Granger avec la sobriété qui pouvait être la sienne à l’époque.
Dans ce film très « théâtre », les dialogues donnent l’impression d’être soigneusement écrits. Si l’on voulait, on pourrait ironiser sur l’aspect « qualité française » du film. Petite explication : Truffaut, quand il était un critique redouté, n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ses aînés, tels Jean Delannoy ou Autant-Lara, auxquels il reprochait leur académisme. Il leur opposait les maîtres de la série B hollywoodienne et leur sens du rythme.
Ici, dans Le Dernier Métro, nous sommes loin de la série B, le rythme étant assez lent. Le spectateur est invité à prendre son temps pour profiter de la qualité du jeu des acteurs et de la reconstitution. Visiblement, Truffaut s’est plu à donner un caractère rétro à son film. C’est lui qui a sorti de l’oubli la chanson Mon amant de Saint-Jean, bien avant que le rétro devienne « tendance » au cinéma et dans la variété.
En 1981, Le Dernier Métro fut couvert de Césars. Il gagna dix des douze récompenses attribuées cette année-là.
Le Dernier Métro, de François Truffaut, 1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Heinz Bennent, Jean-Louis Richard, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Sabine Haudepin, DVD MK2.
07:30 Publié dans Etude de moeurs, Film, Histoire | Tags : le dernier métro, truffaut, deneuve, depardieu, poiret, heinz bennent, jean-louis richard, andréa ferréol, paulette dubost, maurice risch, sabine haudepin | Lien permanent | Commentaires (0)