18/10/2016
Section spéciale, de Costa Gavras
Quand l’Etat met en place une juridiction d’exception
Section spéciale
Ce film relate la mise en place par le gouvernement de Vichy d’une justice d’exception appelée à prononcer des condamnations à mort. Le script de Costa-Gavras et Jorge Semprun respecte les faits, et l’interprétation est remarquable.
L’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon a établi la chronologie des faits. Le 22 juin 1941, la Whermarcht entre en Union Soviétique. Dès lors, en France, les communistes déclenchent des actions de sabotage. Le 18 août, deux militants communistes sont arrêtés par les Allemands. Trois jours plus tard, le 21 août, ils sont vengés par de jeunes camarades, qui abattent un auxiliaire de marine allemand à la station Barbès.
Quelques jours auparavant, le gouvernement français envisageait « l’aggravation très sévère des peines prévues pour la répression des menées antinationales pouvant aller, dans certains cas, jusqu’à la peine capitale ». Autrement dit, le simple fait de distribuer des tracts ou de tenir des propos outranciers serait suffisant pour être envoyé à la guillotine.
Le 21 août, dans l’après-midi, un conseil des ministres se tient à Vichy sous la présidence du maréchal Pétain. Suite à l’attentat qui a eu lieu le matin même, Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, présente le projet de loi portant sur la création d’une section spéciale. La Section spéciale sera une juridiction d’exception composée de magistrats civils, appelés à faire preuve d’une grande sévérité. Après l’exposé du ministre de l’Intérieur, Joseph Barthélemy, garde des Sceaux, prend la parole et émet plusieurs objections dont celle-ci : pour que la loi qui vient d’être présentée s’applique aux auteurs de l’attentat du métro Barbès, il faudrait qu’elle fût rétroactive ; or la notion de rétroactivité est contraire au droit français. Le maréchal Pétain balaie ces objections. Le conseil des ministres adopte la loi, qui sera rétroactive afin qu’elle soit appliquée aux auteurs présumés de l’attentat.
Le lendemain, 22 août, les autorités allemandes font savoir aux autorités françaises qu’elles exigent six exécutions en guise de représailles. En réponse, Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, présente la loi portant sur la création de la Section spéciale, et précise que ladite Section aura pour mission de juger et condamner à mort six des principaux chefs communistes actuellement internés. Les Allemands donnent leur accord, mais à condition que les audiences se tiennent à hui-clos et que les exécutions n’aient pas lieu en public.
Le 24 août, la loi est publiée au Journal officiel, le texte étant antidaté du 14 août.
Reste à composer la Section spéciale. Cinq juges et trois procureurs sont désignés par le garde des Sceaux. Ils sont choisis parmi les anciens combattants de la Grande Guerre et se voient prescrits « la même énergie que les juridictions militaires ont montrée au cours des époques troublées de notre histoire ».
Le 27 août, la Section spéciale près la Cour d’appel de Paris tient sa première audience, à huis-clos. Elle doit prononcer dans la journée six condamnations à la peine capitale, exécutoires le lendemain, afin de s’en tenir au délai imposé par les Allemands. Mais les choses ne vont pas se passer tout à fait comme prévu…
Le procureur général, joué par Pierre Dux, se montre très prudent
et se défausse sur d’autres magistrats
pour échapper à ses responsabilités
Cette chronologie des faits se retrouve dans le film Section spéciale, Costa-Gavras et Jorge Semprun l’ont respectée. Ils ont également placé en ouverture du film le fameux discours de Pétain dans lequel il évoque « un vent mauvais » ; ce discours fut effectivement radiodiffusé pendant l’entracte d’une représentation de l’opéra Boris Goudounov.
Certaines scènes du film sont piquantes. Ainsi la séance du conseil des ministres est mémorable. On y voit le garde des Sceaux, interprété par Louis Seigner, s’opposer au ministre de l’Intérieur, interprété par Michael Lonsdale. Le ministre de la Justice n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le caractère rétroactif du projet de loi ; puis, au bout de quelques minutes, il finit par capituler en rase campagne et se rallie au texte. Un général ministre s’étonne qu’on lui demande de signer en blanc une loi dont la rédaction n’est pas achevée, ce qui n’est pas très régulier, selon lui. Mais, une fois qu’il a constaté que le Maréchal a paraphé le document, en bon soldat il ne peut qu’apposer sa signature à son tour.
Le choix des magistrats est aussi un grand moment. Quand le garde des Sceaux fait observer que jamais il ne trouvera huit magistrats volontaires, Fernand de Brinon, interprété par François Maistre, lui conseille de s’adresser à des magistrats anciens combattants de la Grande Guerre, décorés au feu ; il suffira de leur dire qu’ils sont mobilisés et envoyés en première ligne par le chef de l’Etat. Et quand le garde des Sceaux souligne que ces magistrats doivent quand même être prêts à condamner à mort six personnes, Fernand de Brinon relativise en parlant d’« incident de parcours » et rappelle que tous les jours dix mille hommes meurent sur le front de l’Est. Le pouvoir flatte un haut magistrat joué par Claude Piéplu et lui accorde une promotion, avec pour contrepartie qu’il se dévoue pour présider la Section spéciale. Les hésitations de certains magistrats sont levées une fois qu’ils prennent conscience que les Allemands menacent d’exécuter cent otages, si les six condamnations à mort ne sont pas prononcées. Seul Pierre Dux, dans le rôle du procureur général près la Cour d’appel de Paris, se montre très prudent, et fait tout son possible pour ne pas porter la moindre responsabilité dans les décisions prises ; on le voit se défausser, avec adresse, sur d'autres. Il faut dire qu’il a la chance de tomber sur un magistrat zélé qui pratique le culte de l’obéissance et qui n’a aucun état d’âme à faire son devoir de soldat ; il sélectionne avec célérité six dossiers de détenus, juifs ou communistes, appelés à être condamnés à mort.
Ce film reçut un accueil mitigé à sa sortie, en 1975. Aujourd’hui encore, il suscite des réticences chez certains critiques, et c’est peut-être pour cette raison qu’il n’est pas disponible en DVD. En tout cas, l’interprétation est remarquable. Quant au message délivré par le film, il pourrait se résumer à ceci : un Etat de droit, s’il entend le demeurer, trouve son honneur à rester fidèle à ses principes et à sa tradition, même en des circonstances exceptionnelles.
Section spéciale, de Costa-Gavras, 1975, avec Louis Seigner, Roland Bertin, Michael Lonsdale, François Maistre, Jacques Spiesser, Henri Serre, Heinz Bennent, Pierre Dux, Jacques François, Michel Galabru, Claude Pieplu, Jean Bouise, Julien Bertheau, Julien Guiomar, Yves Robert, Bruno Cremer et Jacques Perrin, indisponible en DVD.
08:13 Publié dans Drame, Film, Histoire | Tags : section spéciale, costa-gavras, jorge semprun, louis seigner, roland bertin, michael lonsdale, françois maistre, jacques spiesser, henri serre, heinz bennent, pierre dux, jacques françois, galabru, claude pieplu, jean bouise, julien bertheau, julien guiomar, yves robert, bruno cremer, jacques perrin | Lien permanent | Commentaires (0)
23/02/2015
Le Dernier Métro, de Truffaut
Le film aux dix Césars
Le Dernier Métro
A Paris, sous l’Occupation, Marion Steinert dirige le théâtre Montmartre. Bernard Granger, un jeune acteur qui lui donne la réplique, la trouve froide et distante, comme si elle avait quelque chose à cacher. Dans ce film, les deux rôles principaux sont tenus par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Truffaut, qui les dirige, s’est plu à recréer l’atmosphère de l’époque. Le Dernier Métro fut couvert de récompenses à la cérémonie des Césars de 1981.
Paris, 1942. La vie culturelle est intense. Pour échapper à la noirceur du temps, la population fait le plein des salles de spectacle. Le dernier métro, qui donne au film son titre, est celui que les Parisiens ne doivent surtout pas manquer le soir, s’ils veulent être rentrés chez eux avant le couvre-feu.
Le jeune acteur Bernard Granger obtient un rôle dans la pièce que prévoit de monter le théâtre Montmartre. Son directeur, Lucas Steinert, ayant pris la fuite, c’est son épouse, Marion, qui assure l’intérim. Au fil des répétitions, Bernard Granger apprend à connaître Marion Steinert, à qui il donne la réplique. Il est intrigué par son comportement qu’il trouve froid et distant, comme si elle avait quelque chose à cacher.
Dans ce film, François Truffaut a su recréer l’atmosphère de l’Occupation. Il ne force pas sur le côté sombre de l’époque et ne montre pas de scène violente. Il cherche à rassurer le spectateur en le faisant profiter du cocon que représente le théâtre, l’essentiel du film se déroulant entre ses quatre murs. Le lieu sert d’échappatoire, il semble situé à des années-lumière du fracas des armes. L’ambiance est apaisée et apaisante. Le calme est seulement troublé par des coupures intempestives de courant et des alertes aériennes. Comme si de rien n’était, les comédiens vivent leur vie et leurs amours, et font leur métier. Ils sont quand même soumis aux aléas du ravitaillement et doivent remettre un certificat d’aryanité pour pouvoir travailler. Comme à toutes les époques, certains cherchent la réussite à tout prix ; ainsi une jeune actrice affirme qu’il faut tout accepter pour se faire remarquer. Dans son cas, sous l’Occupation, « tout accepter » nécessite de sortir en compagnie d’un officier allemand.
Certains épisodes sont authentiques. Quand le jeune Bernard Granger gifle le critique du journal Je suis partout, cela renvoie à la correction donnée par Jean Marais à un journaliste qui avait écrit sur Cocteau des choses déplaisantes. Quand, à la Libération, un metteur en scène réputé est arrêté en robe de chambre puis libéré, cela fait référence aux multiples déboires que connut Sacha Guitry à cette période. Et quand un acteur échappe à l’arrestation dans une église, l’épisode en question est directement inspiré d’une histoire vécue par un oncle de Truffaut.
Le film se passant dans un théâtre, il a un côté théâtre que l’on peut qualifier d’assumé. Le film et la pièce que jouent les comédiens finissent par se confondre dans un tout. Catherine Deneuve joue Marion Steinert et n’a pas de mal à se montrer froide et distante, les autres comédiens la vouvoient et l’appellent « Madame ». Gérard Depardieu interprète Bernard Granger avec la sobriété qui pouvait être la sienne à l’époque.
Dans ce film très « théâtre », les dialogues donnent l’impression d’être soigneusement écrits. Si l’on voulait, on pourrait ironiser sur l’aspect « qualité française » du film. Petite explication : Truffaut, quand il était un critique redouté, n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ses aînés, tels Jean Delannoy ou Autant-Lara, auxquels il reprochait leur académisme. Il leur opposait les maîtres de la série B hollywoodienne et leur sens du rythme.
Ici, dans Le Dernier Métro, nous sommes loin de la série B, le rythme étant assez lent. Le spectateur est invité à prendre son temps pour profiter de la qualité du jeu des acteurs et de la reconstitution. Visiblement, Truffaut s’est plu à donner un caractère rétro à son film. C’est lui qui a sorti de l’oubli la chanson Mon amant de Saint-Jean, bien avant que le rétro devienne « tendance » au cinéma et dans la variété.
En 1981, Le Dernier Métro fut couvert de Césars. Il gagna dix des douze récompenses attribuées cette année-là.
Le Dernier Métro, de François Truffaut, 1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Heinz Bennent, Jean-Louis Richard, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Sabine Haudepin, DVD MK2.
07:30 Publié dans Etude de moeurs, Film, Histoire | Tags : le dernier métro, truffaut, deneuve, depardieu, poiret, heinz bennent, jean-louis richard, andréa ferréol, paulette dubost, maurice risch, sabine haudepin | Lien permanent | Commentaires (0)