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13/03/2017

Le Prix du danger, d'Yves Boisset

Film d’anticipation sur la téléréalité

Le Prix du danger

Le Prix du danger est un jeu télévisé au cours duquel le candidat tente d’échapper à une équipe de chasseurs lancés à ses trousses. Sorti en 1983, ce film annonce les dérives de ce qui sera baptisé plus tard la « téléréalité ». Il n’a pas pris une ride.

            Les règles du jeu télévisé Le Prix du danger sont simples. Un candidat est déposé par hélicoptère à un point A, situé quelque part en ville ; et il doit gagner un point B, connu de lui seul et de la production. Sur son parcours il est poursuivi par une équipe de chasseurs, qui essaient, en toute « sportivité », de le rattraper. Si, à l’issue du jeu, le candidat a réussi à leur échapper, alors il empoche une récompense d’un million de dollars ; dans le cas contraire, sa veuve reçoit un lot de consolation de dix mille dollars.

            Yves Boisle prix du danger,yves boisset,gérard lanvin,piccoli,marie-france pisier,bruno cremer,andréa ferréolset eut l’idée de ce film dès la fin des années soixante, après avoir lu une nouvelle de quelques pages, The Prize of peril, écrite par un auteur de science-fiction, Robert Shekley. Il eut beaucoup de mal à monter son projet et dut patienter plus d’une dizaine d’années.

            Le spectateur comprend que l’histoire se passe dans un futur proche. Bien qu’aucune date ne soit mentionnée, Boisset précisa par la suite qu’il avait en tête l’année 2005. Il voulait ainsi se projeter une vingtaine d’années plus tard, sachant que le film fut tourné en 1982. Le pays semble imaginaire, même si, dans le film, la devise utilisée est le dollar.

            Le décor tient une place de première importance dans ce film à caractère urbain. A l’exception de quelques séquences dans le RER parisien, l’essentiel du film fut tourné à Belgrade. Boisset a su tirer parti de l’architecture stalinienne de la capitale yougoslave, avec ses vastes esplanades et ses barres d’immeubles écrasantes. Cet urbanisme sans âme est à l’image d’une société devenue déshumanisée.

            Dans cette société rongée par le chômage de masse, le jeu Le Prix du danger offre l’espoir aux candidats d’échapper à la précarité et de gagner la tranquillité matérielle pour le restant de leurs jours. Les producteurs ont reçu l’approbation officielle du ministre du Chômage, qui est bien conscient de l’utilité sociale d’une telle émission.

            Ils sont cependant attaqués en justice par des idéalistes qui dénoncent le caractère meurtrier du jeu. Il est vrai qu’en règle générale le candidat est rattrapé par les chasseurs dans les dernières minutes de l’émission.

            Face à leurs détracteurs, les producteurs ne manquent pas d’arguments ; le jeu, disent-ils, est un moyen pour les téléspectateurs d’exorciser la violence qui est en eux. De même que, précisent-ils, la criminalité chute en cas de guerre, les statistiques montrent une baisse très nette de la délinquance les jours de diffusion de l’émission. Et quand le caractère prétendument meurtrier du jeu leur est reproché, ils n’ont aucun mal à démontrer qu’ils agissent dans un cadre légal ; ils se contentent d’utiliser une faille de la loi sur le suicide librement consenti, qui autorise à demander l’aide d’autrui pour mourir.

Michel Piccoli se montre mielleux dans le rôle de l’animateur

qui envoie les candidats à la mort

            Dans ce film qui se passe quasiment en temps réel, c’est Gérard Lanvin qui incarne le candidat. Son rôle est très physique : on le voit courir, grimper et sauter, comme le faisait Belmondo à la même époque. Michel Piccoli est l’animateur du jeu : affublé d’une perruque ridicule et d’un complet immaculé, il est le M. Loyal de ces jeux du cirque moderne ; il se montre mielleux avec les candidats qu’il envoie à la mort, et se prend très au sérieux devant son public. Il est vrai que son émission rassemble, nous dit-on, plus de cent millions de spectateurs. Le personnage qu’interprète Piccoli n’est pas sans rappeler Guy Lux et Léon Zitrone dans la présentation d’Interville.

             En voyant ce film, il faut avoir en tête qu’à sa sortie, en 1983, la téléréalité n’existait pas encore. En France, il n’y avait pas de chaîne privée, les trois chaînes existantes (TF1, Antenne 2 et FR3) étant publiques. Les quelques jeux télévisés que regardaient les Français étaient Des Chiffres et des lettres, Les Jeux de 20 heures, Jeux sans frontière… Le plus sportif de ces jeux était La Chasse au trésor avec Philippe de Dieuleveult, le Tintin de la télévision, mais l’émission se voulait autant intellectuelle que sportive.

              Autrement dit, Le Prix du danger est un film qui fut en avance sur son temps, en anticipant les dérives de ce qui allait être baptisé la téléréalité. Il se peut que le film d’Yves Boisset rappelle à certains cinéphiles Les Chasses du comte Zarof, qui, au début des années trente, mettait déjà en scène une chasse à l’homme. Le Prix du danger est un spectacle qui n’a pas vieilli et dans lequel le spectateur n’a pas le temps de souffler.

 

Le Prix du danger, d’Yves Boisset, 1982, avec Gérard Lanvin, Michel Piccoli, Marie-France Pisier, Bruno Cremer et Andréa Ferréol, DVD Tamasa Diffusion.

23/02/2015

Le Dernier Métro, de Truffaut

Le film aux dix Césars

Le Dernier Métro

A Paris, sous l’Occupation, Marion Steinert dirige le théâtre Montmartre. Bernard Granger, un jeune acteur qui lui donne la réplique, la trouve froide et distante, comme si elle avait quelque chose à cacher. Dans ce film, les deux rôles principaux sont tenus par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Truffaut, qui les dirige, s’est plu à recréer l’atmosphère de l’époque. Le Dernier Métro fut couvert de récompenses à la cérémonie des Césars de 1981.

            Paris, 1942. La vie culturelle est intense. Pour échapper à la noirceur du temps, la population fait le plein des salles de spectacle. Le dernier métro, qui donne au film son titre, est celui que les Parisiens ne doivent surtout pas manquer le soir, s’ils veulent être rentrés chez eux avant le couvre-feu.

            Le jeune acteur Bernard Granger obtient un rôle dans la pièce que prévoit de monter le théâtre Montmartre. Son directeur, Lucas Steinert, ayant pris la fuite, c’est son épouse, Marion, qui assure l’intérim. Au fil des répétitions, Bernard Granger apprend à connaître Marion Steinert, à qui il donne la réplique. Il est intrigué par son comportement qu’il trouve froid et distant, comme si elle avait quelque chose à cacher.

 le dernier métro,truffaut,deneuve,depardieu,poiret,heinz bennent,jean-louis richard,andréa ferréol,paulette dubost,maurice risch,sabine haudepin           Dans ce film, François Truffaut a su recréer l’atmosphère de l’Occupation. Il ne force pas sur le côté sombre de l’époque et ne montre pas de scène violente. Il cherche à rassurer le spectateur en le faisant profiter du cocon que représente le théâtre, l’essentiel du film se déroulant entre ses quatre murs. Le lieu sert d’échappatoire, il semble situé à des années-lumière du fracas des armes. L’ambiance est apaisée et apaisante. Le calme est seulement troublé par des coupures intempestives de courant et des alertes aériennes. Comme si de rien n’était, les comédiens vivent leur vie et leurs amours, et font leur métier. Ils sont quand même soumis aux aléas du ravitaillement et doivent remettre un certificat d’aryanité pour pouvoir travailler. Comme à toutes les époques, certains cherchent la réussite à tout prix ; ainsi une jeune actrice affirme qu’il faut tout accepter pour se faire remarquer. Dans son cas, sous l’Occupation, « tout accepter » nécessite de sortir en compagnie d’un officier allemand.

            Certains épisodes sont authentiques. Quand le jeune Bernard Granger gifle le critique du journal Je suis partout, cela renvoie à la correction donnée par Jean Marais à un journaliste qui avait écrit sur Cocteau des choses déplaisantes. Quand, à la Libération, un metteur en scène réputé est arrêté en robe de chambre puis libéré, cela fait référence aux multiples déboires que connut Sacha Guitry à cette période. Et quand un acteur échappe à l’arrestation dans une église, l’épisode en question est directement inspiré d’une histoire vécue par un oncle de Truffaut.

            Le film se passant dans un théâtre, il a un côté théâtre que l’on peut qualifier d’assumé. Le film et la pièce que jouent les comédiens finissent par se confondre dans un tout. Catherine Deneuve joue Marion Steinert et n’a pas de mal à se montrer froide et distante, les autres comédiens la vouvoient et l’appellent « Madame ». Gérard Depardieu interprète Bernard Granger avec la sobriété qui pouvait être la sienne à l’époque.

            Dans ce film très « théâtre », les dialogues donnent l’impression d’être soigneusement écrits. Si l’on voulait, on pourrait ironiser sur l’aspect « qualité française » du film. Petite explication : Truffaut, quand il était un critique redouté, n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ses aînés, tels Jean Delannoy ou Autant-Lara, auxquels il reprochait leur académisme. Il leur opposait les maîtres de la série B hollywoodienne et leur sens du rythme.

            Ici, dans Le Dernier Métro, nous sommes loin de la série B, le rythme étant assez lent. Le spectateur est invité à prendre son temps pour profiter de la qualité du jeu des acteurs et de la reconstitution. Visiblement, Truffaut s’est plu à donner un caractère rétro à son film. C’est lui qui a sorti de l’oubli la chanson Mon amant de Saint-Jean, bien avant que le rétro devienne « tendance » au cinéma et dans la variété.

            En 1981, Le Dernier Métro fut couvert de Césars. Il gagna dix des douze récompenses attribuées cette année-là.

 

Le Dernier Métro, de François Truffaut, 1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Heinz Bennent, Jean-Louis Richard, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Sabine Haudepin, DVD MK2.