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19/06/2017

L'Aveu, de Costa-Gavras

La mécanique implacable d’un procès stalinien

L’Aveu

Ce film est adapté du livre de témoignage écrit par Arthur London, apparatchik communiste rescapé des purges staliniennes. L’Aveu marque la rupture de Montand avec le communisme. L’acteur s’imposa un régime de privation pour mieux s’imprégner de son rôle. Il apparut amaigri et fatigué à l’écran. La force du film est de montrer comment un innocent peut finir par s’accuser de crimes qu’il n’a pas commis.

              Arthur London était né en 1915 au sein d’une famille juive de l’Empire austro-hongrois. Militant communiste, il combattit dans les rangs des Brigades internationales pendant la Guerre d’Espagne. Installé en France, il s’engagea dans la Résistance dès 1940. Les Allemands l’arrêtèrent et le déportèrent à Mauthausen. Après la Seconde Guerre mondiale, il rentra en Tchécoslovaquie ; et, au lendemain du Coup de Prague (qui vit la prise du pouvoir par les communistes), il entra au gouvernement. En 1951, il était vice-ministre des Affaires étrangères, quand il fut brusquement arrêté. Inculpé de conspiration contre l’Etat, il fut l’un des quatorze accusés des grands procès de Prague et fut condamné à une peine de prison. En 1956, il fut libéré dans le cadre de la déstalinisation, qui entraîna la réhabilitation des victimes des purges. Installé définitivement en France, Arthur London raconta sa propre histoire dans un livre, L’Aveu, publié en 1968.

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              Le tournage eut lieu à Lille à l’automne 1969. Montand s’investit pleinement dans son rôle d’accusé soumis à l’enfermement et à la torture. Il se priva volontairement de nourriture, ne mangeant que du riz et des légumes, et perdit plusieurs kilos. La nuit il dormait à même le sol ; et, entre les prises, il gardait les mains attachées par des menottes derrière le dos. C’est un Montand amaigri aux traits tirés, que ses geôliers cherchent à faire passer aux aveux.

            Comme pour ajouter à la vraisemblance, c’est Simone Signoret qui interprète elle-même la femme de Montand. Rien ne peut ébranler sa foi dans le Parti. Quand son mari est arrêté, elle cherche toutes les raisons possibles pour justifier l’attitude du Parti.

Dans la mécanique qui se met en place,

la torture a son importance

            Costa-Gavras et son scénariste, Jorge Semprun, ne cherchent ni à émouvoir ni à attendrir le spectateur, mais ils veulent lui montrer comment un innocent finit par avouer des crimes imaginaires. Dans la mécanique qui se met en place, la torture a son importance. De façon à réduire sa capacité de résistance, le détenu est privé de la lumière du jour et de sommeil ; il est condamné à faire les cent pas dans sa cellule constamment éclairée, sans pouvoir s’allonger ou même s’asseoir. Mais, dans le cas du personnage de Montand, l’humiliation et la torture se révèlent insuffisantes.

            L’interrogateur fait preuve de patience et d’habileté pour obtenir de Montand qu’il reconnaisse, un par un, des faits qui, pris isolément, ne présentent aucune signification particulière. La méthode est apparemment rigoureuse, puisqu’elle consiste, pas à pas, à établir des vérités « objectives », qui ne souffrent pas la contestation.

            Dans un second temps, l’interrogateur rassemble les faits entre eux en les enchaînant, et les présente de telle manière que la culpabilité de Montand saute aux yeux. C’est, soit dit en passant, la démonstration selon laquelle une addition de faits avérés ne fait pas forcément une vérité.

            Au moment de signer sa déclaration, l’accusé hésite. Alors l’interrogateur lui fait valoir un suprême argument : s’il consent à signer, sa femme et ses enfants seront épargnés. Cette forme de chantage s’avère très concluante.

Montand est prié d’apprendre par cœur le texte de sa confession

et de le déclamer avec foi et sincérité

            La seconde partie du film est centrée sur le procès. Pour que Montand soit présentable devant ses juges, les geôliers le soumettent, dans les jours qui précèdent, à un régime destiné à retrouver un bon teint ; il subit notamment des piqures de calcium et des séances de lampe-à-bronzer. Cette « remise en forme » est accompagnée de tout un conditionnement. Il est prié d’apprendre par cœur le texte de sa confession et de le déclamer avec foi et sincérité. Le procès est public, et, comme s’il s’agissait d’une dramatique, il est radiodiffusé, afin que nul doute ne continue de planer sur la culpabilité des accusés.

            Quatorze anciens apparatchiks, réduits à l’état de loques, comparaissent ce jour-là. Parmi eux se trouve l’ancien secrétaire général du PC. La vie sauve leur a été promise en échange de leur reconnaissance de culpabilité. C’est ainsi que tous les accusés, sans exception, avouent leurs crimes en s’en tenant au texte établi par le Parti. Malgré la promesse qui leur a été faite, la plupart sont condamnés et pendus, le personnage joué par Montand étant l’un des rares accusés à être seulement condamné à de la prison.

            Il est évident que la dureté des conditions de tournage de L’Aveu fut l’occasion pour Montand de trouver une forme d’expiation aux errements qu’il pensait avoir commis en apportant trop longtemps son soutien à l’URSS. C’est presque son aveuglement qui figure dans l’affiche du film. Certains spectateurs peuvent se régaler de l’accumulation de perles propres à la lange de bois communiste, telle que : « On peut toujours s’expliquer avec le Parti » ; « Le Parti a toujours raison » ; « Mieux vaut avoir tort avec le Parti que raison en dehors » ; « Qu’importe que nous soyons broyés si la Révolution continue »

             Cependant il serait facile d’ironiser sur la naïveté de ces militants communistes. En voyant le film, il faut garder en tête que beaucoup de contemporains crurent en l’authenticité des procès staliniens. Ce fut notamment le cas, dans les années trente, à l’occasion des Procès de Moscou. Même des farouches anticommunistes crurent en la sincérité des aveux des accusés, parce que, malgré leur anticommunisme, ils ne pouvaient concevoir que des innocents s’accusassent de crimes qu’ils n’avaient pas commis. Cela défiait l’imagination.

            L’un des grands mérites de ce film est de démonter la mécanique implacable qui conduit un innocent à avouer un crime qu’il n’a pas commis.

 

L’Aveu, de Costa-Gavras, 1969, avec Yves Montand, Simone Signoret, Michel Vitold et Gabriele Ferzetti, DVD StudioCanal.

18/10/2016

Section spéciale, de Costa Gavras

Quand l’Etat met en place une juridiction d’exception

Section spéciale

Ce film relate la mise en place par le gouvernement de Vichy d’une justice d’exception appelée à prononcer des condamnations à mort. Le script de Costa-Gavras et Jorge Semprun respecte les faits, et l’interprétation est remarquable.

            L’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon a établi la chronologie des faits. Le 22 juin 1941, la Whermarcht entre en Union Soviétique. Dès lors, en France, les communistes déclenchent des actions de sabotage. Le 18 août, deux militants communistes sont arrêtés par les Allemands. Trois jours plus tard, le 21 août, ils sont vengés par de jeunes camarades, qui abattent un auxiliaire de marine allemand à la station Barbès.

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            Le 21 août, dans l’après-midi, un conseil des ministres se tient à Vichy sous la présidence du maréchal Pétain. Suite à l’attentat qui a eu lieu le matin même, Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, présente le projet de loi portant sur la création d’une section spéciale. La Section spéciale sera une juridiction d’exception composée de magistrats civils, appelés à faire preuve d’une grande sévérité. Après l’exposé du ministre de l’Intérieur, Joseph Barthélemy, garde des Sceaux, prend la parole et émet plusieurs objections dont celle-ci : pour que la loi qui vient d’être présentée s’applique aux auteurs de l’attentat du métro Barbès, il faudrait qu’elle fût rétroactive ; or la notion de rétroactivité est contraire au droit français. Le maréchal Pétain balaie ces objections. Le conseil des ministres adopte la loi, qui sera rétroactive afin qu’elle soit appliquée aux auteurs présumés de l’attentat.

         Le lendemain, 22 août, les autorités allemandes font savoir aux autorités françaises qu’elles exigent six exécutions en guise de représailles. En réponse, Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, présente la loi portant sur la création de la Section spéciale, et précise que ladite Section aura pour mission de juger et condamner à mort six des principaux chefs communistes actuellement internés. Les Allemands donnent leur accord, mais à condition que les audiences se tiennent à hui-clos et que les exécutions n’aient pas  lieu en public.

            Le 24 août, la loi est publiée au Journal officiel, le texte étant antidaté du 14 août.

            Reste à composer la Section spéciale. Cinq juges et trois procureurs sont désignés par le garde des Sceaux. Ils sont choisis parmi les anciens combattants de la Grande Guerre et se voient prescrits « la même énergie que les juridictions militaires ont montrée au cours des époques troublées de notre histoire ».

            Le 27 août, la Section spéciale près la Cour d’appel de Paris tient sa première audience, à huis-clos. Elle doit prononcer dans la journée six condamnations à la peine capitale, exécutoires le lendemain, afin de s’en tenir au délai imposé par les Allemands. Mais les choses ne vont pas se passer tout à fait comme prévu…

Le procureur général, joué par Pierre Dux, se montre très prudent

et se défausse sur d’autres magistrats

pour échapper à ses responsabilités

            Cette chronologie des faits se retrouve dans le film Section spéciale, Costa-Gavras et Jorge Semprun l’ont respectée. Ils ont également placé en ouverture du film le fameux discours de Pétain dans lequel il évoque « un vent mauvais » ; ce discours fut effectivement radiodiffusé pendant l’entracte d’une représentation de l’opéra Boris Goudounov.

            Certaines scènes du film sont piquantes. Ainsi la séance du conseil des ministres est mémorable. On y voit le garde des Sceaux, interprété par Louis Seigner, s’opposer au ministre de l’Intérieur, interprété par Michael Lonsdale. Le ministre de la Justice n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le caractère rétroactif du projet de loi ; puis, au bout de quelques minutes, il finit par capituler en rase campagne et se rallie au texte. Un général ministre s’étonne qu’on lui demande de signer en blanc une loi dont la rédaction n’est pas achevée, ce qui n’est pas très régulier, selon lui. Mais, une fois qu’il a constaté que le Maréchal a paraphé le document, en bon soldat il ne peut qu’apposer sa signature à son tour.

            Le choix des magistrats est aussi un grand moment. Quand le garde des Sceaux fait observer que jamais il ne trouvera huit magistrats volontaires, Fernand de Brinon, interprété par François Maistre, lui conseille de s’adresser à des magistrats anciens combattants de la Grande Guerre, décorés au feu ; il suffira de leur dire qu’ils sont mobilisés et envoyés en première ligne par le chef de l’Etat. Et quand le garde des Sceaux souligne que ces magistrats doivent quand même être prêts à condamner à mort six personnes, Fernand de Brinon relativise en parlant d’« incident de parcours » et rappelle que tous les jours dix mille hommes meurent sur le front de l’Est. Le pouvoir flatte un haut magistrat joué par Claude Piéplu et lui accorde une promotion, avec pour contrepartie qu’il se dévoue pour présider la Section spéciale. Les hésitations de certains magistrats sont levées une fois qu’ils prennent conscience que les Allemands menacent d’exécuter cent otages, si les six condamnations à mort ne sont pas prononcées. Seul Pierre Dux, dans le rôle du procureur général près la Cour d’appel de Paris, se montre très prudent, et fait tout son possible pour ne pas porter la moindre responsabilité dans les décisions prises ; on le voit se défausser, avec adresse, sur d'autres. Il faut dire qu’il a la chance de tomber sur un magistrat zélé qui pratique le culte de l’obéissance et qui n’a aucun état d’âme à faire son devoir de soldat ; il sélectionne avec célérité six dossiers de détenus, juifs ou communistes, appelés à être condamnés à mort.

            Ce film reçut un accueil mitigé à sa sortie, en 1975. Aujourd’hui encore, il suscite des réticences chez certains critiques, et c’est peut-être pour cette raison qu’il n’est pas disponible en DVD. En tout cas, l’interprétation est remarquable. Quant au message délivré par le film, il pourrait se résumer à ceci : un Etat de droit, s’il entend le demeurer, trouve son honneur à rester fidèle à ses principes et à sa tradition, même en des circonstances exceptionnelles.

 

Section spéciale, de Costa-Gavras, 1975, avec Louis Seigner, Roland Bertin, Michael Lonsdale, François Maistre, Jacques Spiesser, Henri Serre, Heinz Bennent, Pierre Dux, Jacques François, Michel Galabru, Claude Pieplu, Jean Bouise, Julien Bertheau, Julien Guiomar, Yves Robert, Bruno Cremer et Jacques Perrin, indisponible en DVD.

20/09/2016

Z, de Costa-Gavras

Film engagé à la réalisation efficace

Z

En 1969, Costa-Gavras démontrait, avec Z, que film politique ne rime pas systématiquement avec film soporifique. L’intrigue est menée tambour-battant et la réalisation est efficace. Sur un dialogue écrit par Jorge Semprun, Z raconte l’assassinat d’un député grec d’opposition, interprété par Yves Montand.

           Au printemps 1967, le jeune cinéaste Costa-Gavras était en voyage en Grèce, son pays d’origine, quand il tomba sur un roman de Vassilis Vasslikos, intitulé Z. Le livre racontait dans quelles circonstances le député de l’opposition Grigoris Lambrakis avait été assassiné à Salonique quelques années plus tôt. Costa-Gavras fut captivé par le récit digne d’un thriller et comprit aussitôt qu’il tenait là le sujet de son prochain film. De retour en France, il écrivit un scénario avec Jorge Semprun, puis contacta Yves Montand pour lui proposer le rôle principal. Costa-Gavras connaissait bien l’acteur, depuis qu’il avait accepté de jouer dans son premier film, Compartiment tueurs. Montand donna son accord pour interpréter le député, bien que le personnage meure assassiné dans la première demi-heure du film.

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            Alors que le projet restait bloqué faute de financement, un jeune acteur de la distribution, Jacques Perrin, dénoua la situation en trouvant des partenaires algériens, si bien que le premier coup de manivelle put être donné rapidement. Le tournage eut lieu en août 1968, à Alger.

Montand est inoubliable

alors qu'il disparaît au bout d'une demi-heure

            Avec le recul, les qualités du film paraissent évidentes. La première qualité, c’est le rythme haletant. On ne s’ennuie pas. L’intrigue est menée tambour-battant. Le montage, nerveux, efface toute trace éventuelle de temps mort. Costa-Gavras, par sa réalisation efficace, démontre que film politique ne rime pas systématiquement avec film soporifique.

            La deuxième qualité du film réside dans le scénario et le dialogue. Costa-Gavras s’appuie sur un texte écrit par Jorge Semprun, qui a su donner un côté littéraire à ce thriller. La collaboration de Costa-Gavras avec Jorge Semprun lui aura permis de réaliser ses meilleurs films.

            La troisième qualité, c’est la distribution. Montand, dans le rôle du député, est inoubliable, alors que pourtant il disparaît de l’histoire au bout d’une demi-heure. Les seconds rôles sont remarquables : Pierre Dux, dans le rôle du général de gendarmerie ; Julien Guiomar ; Marcel Bozzufi, dans le rôle de l’assassin ; Bernard Fresson ; Charles Denner ; Jean Bouise ; Irène Papas ; sans oublier Jean-Louis Trintignant, dans le rôle du juge d’instruction chargé de l’enquête sur la mort du député.

            La quatrième qualité, c’est la musique composée par Theodorakis. Sa partition lui apporta la notoriété et lui ouvrit les portes d’Hollywood, mais, déporté par les colonels, il ne put diriger l’enregistrement de la musique de Z.

            Enfin, la cinquième qualité du film réside dans l’utilisation des décors. Les rues et les bâtiments publics d’Alger assurent le dépaysement. Le spectateur qui ne reconnaît pas Alger a l’impression que l’histoire se passe dans une ville de Grèce ou de n’importe quel autre pays méditerranéen. Dans les scènes tournées de jour, le soleil est éclatant et se réverbère sur les immeubles blancs.

Z fit le tour du monde et fut couvert de récompenses

            Encore aujourd’hui, il se peut que certains spectateurs trouvent les personnages trop typés, voire stéréotypés. Ainsi les gentils étudiants aux cheveux longs sont sveltes et se montrent pacifiques dans la contestation, tandis que les gros bras du pouvoir, qui incarnent l’extrême-droite, ont des airs de butors et aiment à se promener avec une matraque en poche. Pourtant, malgré certaines apparences, Costa-Gavras et Semprun ont introduit de la nuance chez certains des personnages, ou tout au moins de la subtilité. Par exemple, quand l’opposition veut organiser un rassemblement en l’honneur du député, le général de gendarmerie, en bon démocrate, ne l’interdit pas… Mais, parce qu’il est respectueux des libertés de tous, il n’interdit pas non plus la contre-manifestation des partisans du régime.

            La scène d’ouverture a un aspect littéraire, avec une conférence donnée sur le mildiou au cours de laquelle le général de gendarmerie use d’une métaphore particulièrement osée : tout comme le vigneron traite préventivement sa vigne, la société doit se prémunir contre les agents infectieux, tels le communisme, qui menacent de la détruire.

            Une allusion à l’affaire Dreyfus est faite dans ce film. A l’image du commandant Picquard, convaincu de la culpabilité du capitaine avant de se rendre à l’évidence, le juge qui enquête sur la mort du député ne doute pas, dans un premier temps, de la version officielle des autorités, qui concluent à un accident. Mais, comme il est honnête et consciencieux, il cherche à faire toute la lumière sur les faits entourant ce qu’il appelle « les incidents ». Derrière ses verres fumés, Jean-Louis Trintignant ne laisse rien transparaître de ses sentiments et se montre redoutable. Quand il prêche le faux, c’est pour savoir le vrai.

            Z sortit en février 1969. Le film rencontra le succès dans les salles et fit le tour du monde. Il fut couvert de prix dans de multiples festivals. A la cérémonie des Oscars de 1970, en tant que film algérien, il fut sacré meilleur film étranger de l’année.

            Le succès de Z et de son personnage procurèrent à Montand un surcroit de notoriété. Dans le courant de l’année 1969, il renouvela sa collaboration avec Costa-Gavras et tourna L’Aveu sous sa direction. Dans ce film, il allait trouver l’un des rôles les plus marquants de sa carrière, et certainement celui qu’il prit le plus à cœur.

 

Z, de Costa-Gavras, 1969, avec Yves Montand, Irène Papas, Jean-Louis Trintignant, François Périer, Jacques Perrin, Charles Denner, Pierre Dux, Georges Géret, Bernard Fresson, Marcel Bozzufi, Julien Guiomar, Magali Noël, Renato Salavatori et Jean Bouise, DVD StudioCanal.