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20/09/2016

Z, de Costa-Gavras

Film engagé à la réalisation efficace

Z

En 1969, Costa-Gavras démontrait, avec Z, que film politique ne rime pas systématiquement avec film soporifique. L’intrigue est menée tambour-battant et la réalisation est efficace. Sur un dialogue écrit par Jorge Semprun, Z raconte l’assassinat d’un député grec d’opposition, interprété par Yves Montand.

           Au printemps 1967, le jeune cinéaste Costa-Gavras était en voyage en Grèce, son pays d’origine, quand il tomba sur un roman de Vassilis Vasslikos, intitulé Z. Le livre racontait dans quelles circonstances le député de l’opposition Grigoris Lambrakis avait été assassiné à Salonique quelques années plus tôt. Costa-Gavras fut captivé par le récit digne d’un thriller et comprit aussitôt qu’il tenait là le sujet de son prochain film. De retour en France, il écrivit un scénario avec Jorge Semprun, puis contacta Yves Montand pour lui proposer le rôle principal. Costa-Gavras connaissait bien l’acteur, depuis qu’il avait accepté de jouer dans son premier film, Compartiment tueurs. Montand donna son accord pour interpréter le député, bien que le personnage meure assassiné dans la première demi-heure du film.

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            Alors que le projet restait bloqué faute de financement, un jeune acteur de la distribution, Jacques Perrin, dénoua la situation en trouvant des partenaires algériens, si bien que le premier coup de manivelle put être donné rapidement. Le tournage eut lieu en août 1968, à Alger.

Montand est inoubliable

alors qu'il disparaît au bout d'une demi-heure

            Avec le recul, les qualités du film paraissent évidentes. La première qualité, c’est le rythme haletant. On ne s’ennuie pas. L’intrigue est menée tambour-battant. Le montage, nerveux, efface toute trace éventuelle de temps mort. Costa-Gavras, par sa réalisation efficace, démontre que film politique ne rime pas systématiquement avec film soporifique.

            La deuxième qualité du film réside dans le scénario et le dialogue. Costa-Gavras s’appuie sur un texte écrit par Jorge Semprun, qui a su donner un côté littéraire à ce thriller. La collaboration de Costa-Gavras avec Jorge Semprun lui aura permis de réaliser ses meilleurs films.

            La troisième qualité, c’est la distribution. Montand, dans le rôle du député, est inoubliable, alors que pourtant il disparaît de l’histoire au bout d’une demi-heure. Les seconds rôles sont remarquables : Pierre Dux, dans le rôle du général de gendarmerie ; Julien Guiomar ; Marcel Bozzufi, dans le rôle de l’assassin ; Bernard Fresson ; Charles Denner ; Jean Bouise ; Irène Papas ; sans oublier Jean-Louis Trintignant, dans le rôle du juge d’instruction chargé de l’enquête sur la mort du député.

            La quatrième qualité, c’est la musique composée par Theodorakis. Sa partition lui apporta la notoriété et lui ouvrit les portes d’Hollywood, mais, déporté par les colonels, il ne put diriger l’enregistrement de la musique de Z.

            Enfin, la cinquième qualité du film réside dans l’utilisation des décors. Les rues et les bâtiments publics d’Alger assurent le dépaysement. Le spectateur qui ne reconnaît pas Alger a l’impression que l’histoire se passe dans une ville de Grèce ou de n’importe quel autre pays méditerranéen. Dans les scènes tournées de jour, le soleil est éclatant et se réverbère sur les immeubles blancs.

Z fit le tour du monde et fut couvert de récompenses

            Encore aujourd’hui, il se peut que certains spectateurs trouvent les personnages trop typés, voire stéréotypés. Ainsi les gentils étudiants aux cheveux longs sont sveltes et se montrent pacifiques dans la contestation, tandis que les gros bras du pouvoir, qui incarnent l’extrême-droite, ont des airs de butors et aiment à se promener avec une matraque en poche. Pourtant, malgré certaines apparences, Costa-Gavras et Semprun ont introduit de la nuance chez certains des personnages, ou tout au moins de la subtilité. Par exemple, quand l’opposition veut organiser un rassemblement en l’honneur du député, le général de gendarmerie, en bon démocrate, ne l’interdit pas… Mais, parce qu’il est respectueux des libertés de tous, il n’interdit pas non plus la contre-manifestation des partisans du régime.

            La scène d’ouverture a un aspect littéraire, avec une conférence donnée sur le mildiou au cours de laquelle le général de gendarmerie use d’une métaphore particulièrement osée : tout comme le vigneron traite préventivement sa vigne, la société doit se prémunir contre les agents infectieux, tels le communisme, qui menacent de la détruire.

            Une allusion à l’affaire Dreyfus est faite dans ce film. A l’image du commandant Picquard, convaincu de la culpabilité du capitaine avant de se rendre à l’évidence, le juge qui enquête sur la mort du député ne doute pas, dans un premier temps, de la version officielle des autorités, qui concluent à un accident. Mais, comme il est honnête et consciencieux, il cherche à faire toute la lumière sur les faits entourant ce qu’il appelle « les incidents ». Derrière ses verres fumés, Jean-Louis Trintignant ne laisse rien transparaître de ses sentiments et se montre redoutable. Quand il prêche le faux, c’est pour savoir le vrai.

            Z sortit en février 1969. Le film rencontra le succès dans les salles et fit le tour du monde. Il fut couvert de prix dans de multiples festivals. A la cérémonie des Oscars de 1970, en tant que film algérien, il fut sacré meilleur film étranger de l’année.

            Le succès de Z et de son personnage procurèrent à Montand un surcroit de notoriété. Dans le courant de l’année 1969, il renouvela sa collaboration avec Costa-Gavras et tourna L’Aveu sous sa direction. Dans ce film, il allait trouver l’un des rôles les plus marquants de sa carrière, et certainement celui qu’il prit le plus à cœur.

 

Z, de Costa-Gavras, 1969, avec Yves Montand, Irène Papas, Jean-Louis Trintignant, François Périer, Jacques Perrin, Charles Denner, Pierre Dux, Georges Géret, Bernard Fresson, Marcel Bozzufi, Julien Guiomar, Magali Noël, Renato Salavatori et Jean Bouise, DVD StudioCanal.

01/02/2016

Peur sur la ville, d'Henri Verneuil

Western urbain

Peur sur la ville

Peur sur la ville fut un succès en salles qui permit à Belmondo de retrouver les faveurs du public. Dans ce film policier aux allures de western urbain, Belmondo poursuit Minos, tueur psychopathe qui porte un œil de verre. L’acteur n’a pas de doublure dans les scènes de cascade, on le voit notamment déambuler sur le toit d’une rame de métro.

            En 1975, Belmondo cherchait à effacer le semi-échec qu’avait représenté pour lui L’Affaire Stavisky, de Resnais. Certes le film avait dépassé le million d’entrées en salles, mais c’était un score relativement faible par rapport à ses précédents films. A cela s’ajoutait le fait que L’Affaire Stavisky avait été mal accueilli au festival de Cannes, où des sifflets avaient accompagné la projection. L’association entre Belmondo, grand acteur populaire, et Resnais, cinéaste réputé intellectuel, n’avait pas été concluante.

     Peur sur la ville, Verneuil, Belmondo, Charles Denner, Lea Massari, morricone       Décidé à retrouver les faveurs du public, Belmondo fit appel à Henri Verneuil. Les deux hommes se connaissaient bien, le réalisateur ayant dirigé l’acteur à plusieurs reprises, notamment dans Un singe en hiver. La réputation de Verneuil n’était plus à faire, il était considéré comme un grand professionnel, et ses films étaient en général de grands succès en salles. Imprégné de cinéma américain, il avait même tourné à Hollywood. Peut-être pouvait-on lui reprocher de manquer d’originalité et de faire du cinéma « commercial », mais au moins, lui, avait-il assimilé les règles des maîtres de la série B et en avait gardé le sens du rythme et de l’action.

            Dans Peur sur la ville, Belmondo incarne, pour la première fois, un policier aux méthodes musclées. Cette espèce de cow-boy des villes revêt des blousons de cuir dans les scènes d’action. En cela il fait penser à l’authentique commissaire Broussard… et à l’imaginaire inspecteur Harry, créé à l’écran par Clint Eastwood. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que Peur sur la ville est une simple transposition de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry). Verneuil a su créer un « produit » original. Le scénario, écrit en collaboration avec Francis Veber, est très bien ficelé. Deux intrigues sont déroulées en parallèle sans que cela ne nuise à l’unité du film et à sa clarté. D’une part Belmondo est sur la piste du gangster Marchiani, ennemi public n°1 ; et d’autre part il traque un tueur psychopathe, Minos, qui étrangle des femmes qui, à ses yeux, manquent de vertu et ont une conduite que la morale réprouve. Minos a la particularité de porter un œil de verre, ce qui ne manque pas d’impressionner visuellement le spectateur, d’autant plus que cet œil tombe et casse lors d’une poursuite.

La volonté de Belmondo d’exécuter lui-même ses cascades

compliquait le travail du réalisateur

            Evidemment, le plus apporté par Belmondo, ce sont les cascades qu’il entreprend lui-même, sans doublure. On le voit pendu à un hélicoptère par l’intermédiaire d’un treuil ; il se livre à une course-poursuite sur les toits de Paris ; et la séquence la plus mémorable se déroule au-dessus d’une rame de métro. L’image qui reste dans les mémoires est celle du métro passant le pont de Bir-Hakeim, avec Belmondo, debout, marchant sur le toit d’une voiture. Ce morceau de bravoure donna lieu à plusieurs prises. Sur celle gardée au montage, la rame roule à soixante kilomètres par heure. Verneuil aimait à rappeler que, contrairement à ce que l’on pouvait croire, le fait que Belmondo veuille exécuter lui-même ses cascades était source de complication. En effet, si une doublure est accrochée à un hélicoptère, il suffira de la filmer de loin et la scène sera assez simple à tourner. En revanche, si c’est Belmondo qui est lui-même pendu à l’hélicoptère, il faudra approcher la caméra de son visage pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une doublure.

            Verneuil donne à son film un caractère de western urbain. Il aime à filmer le Paris des années soixante-dix avec ses constructions modernes, tels les tours du Front de Seine, le périphérique et le RER.

            Par ailleurs, la musique d’Ennio Morricone est oppressante et ajoute de la tension au film.

            A sa sortie, Peur sur la ville réunit plus de quatre millions de spectateurs et permit à Belmondo de retrouver les faveurs du public. Son attaché de presse René Château avait savamment conçu l’affiche du film en y faisant figurer la personne de l’acteur et en inscrivant en grosses lettre le nom de Belmondo, sans même mention du prénom. On peut dire que c’est à ce moment-là que s'affirma le personnage de Bébel, héros gouailleur et cascadeur, qui occupa la première place du box-office jusqu’au milieu des années quatre-vingts.

 

Peur sur la ville, d’Henri Verneuil, 1975, avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner et Lea Massari, DVD Gaumont.