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27/11/2017

Mort d'un pourri

Grand déballage politico-financier

Mort d’un pourri

Ce film policier met en scène une classe politique peu reluisante. Les élus ne sont que des marionnettes entre les mains de la haute finance qui dans l’ombre tire les ficelles. Malgré son intrigue un peu compliquée, Mort d’un pourri est un film à la réalisation efficace.

            Mort d’un pourri fut tourné à l’été 1977. Autrement dit, ce film est largement antérieur à la plupart des scandales politico-financiers qui éclatèrent dans les années quatre-vingt-dix et qui révélèrent au grand public la face cachée de la politique française. A l’époque, seuls quelques scandales isolés avaient éclaté, comme celui de la Garantie foncière lié à ce que la presse appela le gaullisme immobilier ; mais on était encore loin de ce que l’on allait connaître quinze ans plus tard, avec les affaires Urba, HLM de la Ville de Paris, HLM des Hauts-de-Seine, marché publics d’Ile-de-France, frégates de Taïwan etc. lesquelles affaires allaient éclabousser de hautes personnalités et contribuer à accroître la défiance de nombreux Français à l’égard de leurs élus.

Mort d’un pourri, Lautner, Audiard,delon, maurice ronet, Ornella Muti, Stéphane Audran, Mireille Darc, Michel Aumont, Jean Bouise, Daniel Ceccaldi, Julien Guiomar, Klaus Kinski,François Chaumette            Avec le recul, Mort d’un pourri prend donc un relief particulier. Dans ce film, le pourri en question s’appelle Serrano. Député de la majorité et homme d’affaires, il est réputé pour sa générosité dont il fait bénéficier ses nombreux amis parlementaires. Contre l’attribution d’un marché public ou d’un permis de construire, il est toujours prêt à aider son prochain. Homme méticuleux, il a pour habitude de noter sur un carnet le montant des sommes qu’il attribue et l’identité de leurs bénéficiaires. Son but n’est pas de faire chanter, mais de faire comprendre auxdits bénéficiaires qu’ils restent ses obligés. Bref, il pratique ce qu’on appelle le clientélisme. Or, un matin, Serrano est retrouvé mort à son bureau, victime d’un homicide. La police enquête : elle cherche à identifier le meurtrier, et surtout elle veut récupérer le fameux carnet, lequel a disparu. L’enjeu est d’importance, car celui qui a mis la main sur ce qu’il est convenu d’appeler l’Anthologie de la pourriture peut faire tomber de nombreuses personnalités.

Bien des personnages du film ont oublié cette règle simple :

« On ne fait pas d’affaires quand on est aux affaires »

            Ce qui fait la richesse du film, c’est sa peinture de mœurs qui mêle étroitement la politique et la finance. Ce monde est un monde de faux-semblants. Les apparences dissimulent la réalité. Les élus de la nation ne sont que des marionnettes aux mains de la haute finance. Bien des personnages du film ont oublié cette règle simple, énoncée jadis par Pompidou : « On ne fait pas d’affaires quand on est aux affaires ». Ici, c’est même tout le contraire : on profite d’être aux affaires pour faire des affaires. Après tout, ainsi que le souligne un personnage du film, ce n’est pas parce qu’un ministre s’enrichit un peu trop rapidement que la situation économique en est affectée.

            En voyant ce film, on est tenté de mettre des noms derrière certains personnages. Ainsi le député qui combat les cheveux longs et la pornographie pourrait faire penser à Jean Royer. On pourrait même aller plus loin : si ce film ne datait pas de 1977, on serait tenté de dire que le fameux carnet tenu par Serrano fait allusion au cahier Delcroix qui fut découvert en… 1989 ! Autrement dit, essayer de trouver qui se cache derrière tel ou tel personnage serait un exercice vain, car ce film n’est absolument pas une œuvre engagée. On n’est ni chez Costa-Gavras ni chez Yves Boisset. Il n’y a ici aucune leçon de morale. En même temps qu’il s’alarme de l’existence de la pourriture, ce film met en garde contre les Savonarole contemporains qui se lanceraient dans des croisades moralisatrices.

Alain Delon, en tant que producteur,

a réuni de nombreux acteurs de premier plan autour de lui

            Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, Alain Delon produisit ses propres films. Il eut de grandes ambitions et le résultat ne fut pas toujours à la hauteur, conduisant à un certain nombre de déceptions. Ici ce n’est pas le cas. Mort d’un pourri est un bon film, l’une des meilleures réalisations de Georges Lautner, qui s’est appuyé sur un dialogue écrit par Audiard ; comme quoi la collaboration entre les deux hommes ne s’est pas limitée aux fameux Tontons flingueurs.

            Pour ce film, Alain Delon avait tenu à réunir autour de lui de nombreux acteurs de premier plan. Lui-même s’était attribué le rôle principal, celui de Xavier Maréchal, dit Xav. Son personnage, âgé d’une quarantaine d’années, se fait remarquer par son complet de toile beige porté avec des chaussures de sport. Volontiers sarcastique, il est dégoûté de la pourriture, mais il est lui-même à la tête d’une société de conseil dont il ne faudrait pas examiner de trop près les activités. Son associé n’est autre que Maurice Ronet, qui, dans la lignée de ses précédents rôles, est un ancien officier des guerres coloniales. Une fois de plus, son destin s’avère tragique. Mireille Darc, compagne de Delon à la ville, l’est aussi dans le film. Klaus Kinski, blond et échevelé, est un financier à l’accent germanique, qui croit en la construction européenne, tant qu’elle permet d’optimiser la circulation de l’argent. Les deux policiers, Michel Aumont et Jean Bouise, ont des tempéraments très différents et sont concurrents dans leurs enquêtes. Quant à la jeune Ornella Muti, elle est, comme le spectateur, dépassée par les événements.

             L’intrigue du film est assez compliquée. Il y a tellement de protagonistes qui se disputent le carnet que le spectateur peut être vite perdu et ne plus comprendre qui est qui, et qui tient qui. En même temps, c’est cet aspect alambiqué et confus qui permet au film de garder un certain halo de mystère.

            Mort d’un pourri est un film à la réalisation efficace, que l’on a plaisir à revoir, rien que pour les acteurs.

 

Mort d’un pourri, de Georges Lautner, 1977, avec Alain Delon, Maurice Ronet, Ornella Muti, Stéphane Audran, Mireille Darc, Michel Aumont, Jean Bouise, Daniel Ceccaldi, Julien Guiomar, Klaus Kinski et François Chaumette, DVD Pathé.

 

13/04/2015

Les Invités de mon père, d'Anne Le Ny

Le vieillard et la sans-papiers

Les Invités de mon père

Un retraité aisé, militant antiraciste, héberge une jeune étrangère sans-papiers avec qui il envisage un mariage blanc, de façon à lui permettre de rester en France. Ses deux enfants ne savent pas quoi penser et se demandent si leur père n’est pas manipulé. Le film d’Anne Le Ny traite d’un sujet de société sensible sans faire la leçon à quiconque.

            Lucien Paumelle a toujours eu le sens de l’engagement. Pendant la guerre, il a été résistant. Puis, pendant des années, en tant que médecin, il n’a pas hésité à effectuer des avortements clandestins. C’est un homme qui a toujours cherché à mettre en accord ses actes avec ses convictions d’homme de gauche. Aujourd’hui Lucien Baumelle est en retraite. Depuis la mort de sa femme, il vit seul. Mais son sens de l’engagement reste intact. Il milite au sein d’une association de défense des sans-papiers et s’apprête à héberger une famille dans son appartement.

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            Alors qu’il s’attend à accueillir une famille sénégalaise, au lieu de cela, il est chargé d’héberger une Ukrainienne, Tatiana, et sa fille Sorina, une enfant d’une dizaine d’années. Tatiana est une jeune femme blonde élancée, aux allures de pin-up. Elle conquiert le cœur de Lucien. Quand elle tient des propos à caractère raciste, lui, le militant antiraciste, ferme les yeux et lui trouve des circonstances atténuantes, attendu que, venant d’un pays qui a été soumis au totalitarisme, elle ne peut avoir les mêmes facultés de discernement que les Français. Il va jusqu’à envisager de contracter un mariage blanc pour lui éviter d’être expulsée.

            Les Invités de mon père traite d’un sujet de société sensible, le problème des sans-papiers et des mariages blancs, et, au-delà, il pose la question des personnes qui, du fait de l’âge, semblent perdre leur lucidité. Arnaud et Babette sont désemparés, confrontés qu’ils sont à une situation qui n’est pas simple. Ils ne savent pas très bien quoi penser. Tatiana est-elle sincère ? Est-elle vraiment une jeune maman en détresse, qu’il faut aider ? ou n’est-elle pas plutôt une manipulatrice décidée à extorquer leur père ? Si c’est effectivement le cas, comment peuvent-ils espérer lui ouvrir les yeux avant que ses comptes en banque soient complètement à sec ? A chaque instant, ils risquent le faux-pas.

            Un matin, Lucien Baumelle invite, ou plutôt convoque, ses deux enfants à son domicile. Dans un préambule il leur fait remarquer qu’ils vivent dans l’aisance et leur déclare qu’il vaut mieux « que l’argent aille à ceux qui en ont vraiment besoin. » En conséquence, il veut faire de Tatiana son unique héritière. Quand son fils lui indique qu’il n’a pas le droit de déshériter ses enfants, Lucien répond qu’il en est pleinement conscient. Il leur demande donc de renoncer d’eux-mêmes à leur part d’héritage et leur soumet un document préparé par le notaire, qu’il leur demande de signer. Arnaud et Babette s’exécutent et paraphent ledit document, mais le vivent très mal. Babette, qui a toujours soutenu son père, repart en pleurs. Ce n’est pas une question d’argent, ni l’un ni l’autre n’en manquent, mais ils ont l’impression d’être reniés. De fil en aiguille, c’est toute la famille qui finit par être déstabilisée.

            Les Invités de mon père est très bien interprété, notamment par Michel Aumont dans le rôle de Lucien Paumelle. Fabrice Luchini, qui interprète Arnaud, est égal à lui-même. Karin Viard joue Babette, la fille qui a épousé les idées de son père et qui aura bien des désillusions ; on l’entend tenir quelques propos crus. La réalisatrice Anne Le Ny fait bien ressortir les contradictions qui tiraillent les personnages, mais elle ne juge pas et ne fait la leçon à personne.

 

Les Invités de mon père, d’Anne Le Ny, 2010, avec Fabrice Luchini, Karin Viard, Michel Aumont, Valérie Benguigui et Veronika Novak, DVD TF1 Vidéo.