23/05/2016
Une étrange affaire, de Pierre Granier-Deferre
L’un des meilleurs rôles de Piccoli
Une étrange affaire
Un jeune cadre salarié d’un grand magasin est fasciné par son nouveau patron. Il se donne à lui corps et âme sans comprendre qu’il a affaire à un prédateur aux intentions troubles. Michel Piccoli, dans le rôle du directeur, est ambigu à souhait.
Louis Coline est le numéro deux du service marketing d’un grand magasin parisien. Il n’est pas débordé de travail, arrive tard au bureau et passe beaucoup de temps au bistrot. Pourtant c’est un jeune homme plein d’ambition qui aimerait tant donner le meilleur de lui-même. Un nouveau directeur arrive à la tête du magasin. C’est un bel homme, grand et large d’épaules, très élégant, âgé d’une cinquantaine d’années. Il s’appelle Bertrand Malair et débarque en compagnie de sa garde rapprochée, deux jeunes gens qui ne le quittent guère et qui l’assistent au quotidien dans sa fonction de directeur.
Craignant de faire partie de la prochaine charrette, Louis est décidé à faire preuve de dynamisme afin d’échapper au couperet. Il s’adresse directement à Bertrand Malair et lui fait part de ses suggestions pour développer le marketing. Malair l’écoute avec intérêt. Il retient ses idées, l’associe à sa garde rapprochée et lui accorde une promotion en le nommant chef du service marketing. Louis est comblé, il a enfin le sentiment de donner du sens à son travail et d’avoir trouvé sa voie. Peu à peu il est fasciné par la personnalité de Malair et tombe sous son charme, sans s’apercevoir qu’il a affaire à un prédateur qui va s’immiscer dans sa vie privée pour le dévorer.
Il ne faut pas confondre Une étrange affaire avec Une ténébreuse affaire, le roman de Balzac ; les deux œuvres n’ont aucun rapport, sauf cette ressemblance de nom. Le film de Granier-Deferre, tourné en 1981, montre le monde du travail tel que l’on pouvait se le représenter à l’époque. Dans le secteur de la distribution, malgré le développement récent des grandes surfaces, les grands magasins parisiens semblent assis sur des bases solides. Les bureaux ont un aspect XIXème siècle et sont séparés par des cloisons, les open spaces n’ayant pas encore fait leur apparition. Il n’y a pour ainsi dire pas d’ordinateur ; la musique que l’on entend le plus est celle de la frappe des machines à écrire manipulées par des armées de secrétaires. Le vouvoiement est d’usage dans ce grand magasin et une certaine distance est gardée entre un subordonné et son supérieur hiérarchique.
La France est alors dans les premières années de la crise économique qui a éclaté suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 ; il y a déjà des craintes pour l’emploi, et le mot « charrette » est entré dans le langage courant. Il faut dire que le directeur ne fait pas dans le sentiment quand il décide de licencier un salarié qu’il estime surnuméraire.
En contrepartie de sa promotion
le directeur attend de Louis une disponibilité totale
Bertrand Malair favorise Louis et le promeut. Mais, en contrepartie de son avancement, il attend de lui une disponibilité totale. Il lui fait comprendre qu’il doit de lui-même renoncer à la semaine de sports d’hiver qu’il avait prévu de passer avec sa femme, Nina. Il lui demande de l’accompagner au magasin le dimanche et dans des dîners en ville tard le soir.
Louis se laisse faire. Malair est devenu son gourou, il finit par lui obéir sans réfléchir et le fait passer avant sa femme. Nina trouve malsains les nouveaux amis de son mari. Invitée à se rendre dans le bureau de Malair, elle trouve le cadre sinistre : Malair s’est fait aménager un bureau design aux murs tout blancs et froids et au mobilier contemporain, qui contraste avec l’aspect dix-neuvième siècle du magasin. Nina voit son ménage se fissurer, elle sent que son mari lui échappe et ne sait plus que faire pour lui ouvrir les yeux.
Michel Piccoli est remarquable dans la peau de Bertrand Malair. Pour l’historien Jean Tulard, il s’agit là de son meilleur rôle. Il est troublant et ambigu à souhait. Par contraste, Gérard Lanvin apparaît assez candide et manipulable dans son interprétation de Louis Coline. Nathalie Baye, dans le rôle de Nina, se montre plus lucide que lui. Jean-Pierre Kalfon se montre trouble lui aussi, dans le rôle du second de Mahler.
L’atmosphère de ce film est effectivement étrange, voire malsaine. Qui aime l’ambiguïté au cinéma sera comblé en voyant ce film.
Une étrange affaire, de Pierre Granier-Deferre, 1981, avec Michel Piccoli, Gérard Lanvin, Nathalie Baye, Jean-Pierre Kalfon et Jean-François Balmer, DVD StudioCanal.
07:30 Publié dans Etude de moeurs, Film, Société | Tags : une étrange affaire, pierre granier-deferre, piccoli, gérard lanvin, nathalie baye, jean-pierre kalfon, jean-françois balmer | Lien permanent | Commentaires (0)