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15/06/2015

La Loi du marché, de Stéphane Brizé

Vincent Lindon chômeur prêt à bien des accommodements

La Loi du marché

Vincent Lindon est remarquable dans le rôle d’un chômeur qui retrouve du travail au prix de bien des concessions. Les dialogues sonnent juste et les personnages cherchent leurs mots comme dans la « vraie vie ». Dans ce film c’est la dureté du monde du travail qui apparaît.

            On peut qualifier La Loi du marché de film social. Il raconte le parcours de Thierry, un quinquagénaire qui passe par une période de chômage avant de retrouver du travail. Le film se compose de deux parties informelles : la première est consacrée à la galère que connaît un chômeur, et la seconde le montre dans son nouvel emploi en insistant sur la dureté du monde du travail d’aujourd’hui. Les situations s’enchaînent sans transition : entretien à Pôle emploi, rendez-vous avec la banquière, appel reçu d’un recruteur, simulation d’un entretien d’embauche…

  La Loi du marché,Stéphane Brizé, vincent lindon          C’est par la scène se déroulant à Pôle emploi que s’ouvre le film. Thierry est reçu par un agent pour son entretien de suivi personnalisé. La caméra filme le face-à-face avec en arrière-plan des affiches rappelant les devoirs du chômeur. Le rendez-vous tourne au dialogue de sourds.

            La banquière de Thierry tire la sonnette d’alarme. Il puise dans son épargne de précaution pour boucler ses fins de mois. Elle lui conseille de vendre sa maison, ce qui lui procurerait de la trésorerie. Ce qui est piquant, c’est de constater que la banquière essaye de lui fourguer un produit financier supplémentaire, probablement pour toucher sa commission. Elle lui conseille de souscrire à une assurance-décès afin d’ « envisager sereinement l’avenir»

            Il est décidé à garder sa maison, mais il accepte de se séparer de son mobile-home. La négociation qu’il entame avec un acquéreur potentiel tourne à l’aigre. La relation est inégale entre les deux : Thierry est pressé de vendre pour disposer de liquidités, et l’acheteur, qui a compris sa situation de détresse, en profite pour tirer le prix à la baisse.

            Thierry, victime d’un licenciement économique, aimerait tourner la page et « passer à autre chose » en retrouvant du travail. Lors d’un vidéo-entretien d’embauche, sur Skype, il se retrouve à nouveau en situation d’infériorité. Pressé par le recruteur, il accepte de réviser ses prétentions salariales à la baisse et de se montrer très flexible en matière d’horaires. Le recruteur est satisfait de ses réponses, car pour lui ces deux points sont très importants. Mais il ajoute aussitôt que, bien que rien ne soit décidé, il est peu probable que sa candidature soit retenue.

            Autre grand moment, la simulation d’un entretien d’embauche. Au cours d’une session de formation organisée par Pôle emploi, les stagiaires sont invités à commenter la vidéo d’un essai fait par Thierry. Ils lui reprochent d’être avachi le col ouvert et de ne pas manifester, vis-à-vis d’un éventuel recruteur, le désir de s’investir dans son travail. Cet exercice dit de « coaching » est digne des grandes heures du Parti communiste chinois et de ses séances d’autocritique avec humiliation publique.

Homme affable, le directeur de l’hypermarché

n’a aucun état d’âme à réduire la masse salariale

            Thierry est embauché comme vigile dans un hypermarché. Certes il a retrouvé du travail, mais au prix de bien des concessions. Dans la coulisse c’est un monde à la Orwell qui apparaît. Quatre-vingt caméras sont réparties dans le magasin. L’ensemble des clients sont surveillés, car, comme le dit un surveillant, « tout le monde est susceptible de voler. » Sont particulièrement suivis de près les clients qui gardent en main un produit qu’ils viennent de prendre en rayon, au lieu de le poser directement dans leur caddie.

            Au premier abord, le directeur de l’hypermarché est un homme doux et affable. Mais il a besoin de réduire la masse salariale et n’a aucun un état d’âme à passer à l’acte. Quand il convoque une caissière prise en faute, il ne veut pas agir en être cynique et sans scrupule. Sur un ton très calme, il lui annonce qu’il ne peut la garder, car elle n’est plus digne de confiance. Non seulement il la licencie, mais en plus il lui fait une leçon de morale.

            Le spectateur peut être mal à l’aise devant certaines scènes. La tension est palpable dans bien des échanges, et pourtant presque personne n’élève la voix. Dans cet univers oppressant, les seules respirations sont constituées de cours de danse et de moments passés en famille, dans lesquels Thierry trouve son équilibre.

            Les dialogues sonnent juste. Comme dans la « vraie vie », les personnages ont des hésitations et cherchent leurs mots, ce qui leur confère du naturel sans que cela nuise au plaisir du spectateur. La qualité d’élocution et de maniement de la langue française dépend du milieu social auquel appartient chaque personnage. Dans le rôle de Thierry, Vincent Lindon est remarquable. Le prix d’interprétation que lui a décerné le festival de Cannes est amplement mérité.

 

La Loi du marché, de Stéphane Brizé, 2015, avec Vincent Lindon, actuellement en salles.

13/01/2014

Welcome, de Philippe Lioret

Une fiction militante mais prenante

Welcome

Welcome est un film militant tout en nuances, qui entend dénoncer le délit d’aide aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy. Vincent Lindon, dans le rôle d’un maître-nageur, entraîne un jeune réfugié kurde qui veut gagner l’Angleterre à la nage.

            Bilal est un Kurde de dix-sept ans. Il a fui son pays et cherche à rejoindre sa fiancée réfugiée à Londres. A Calais, un passeur le fait embarquer dans un camion à destination de l’Angleterre. Bilal est découvert par la police française, mais, venant d’un pays en guerre, il ne peut être expulsé. Le garçon ne renonce pas et se met une idée dans la tête : il va traverser la Manche à la nage. Il prend des cours auprès d’un maître nageur, Simon, homme bourru au grand cœur. Mais en l’aidant, Simon se rend coupable du délit d’aide à personne en situation irrégulière.

            welcome,philippe lioret,vincent lindon,firat ayverdi,audrey danaDisons-le tout net : Welcome est un film militant. Il entend dénoncer le fameux délit de solidarité aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy et aboli depuis. Plutôt que de bâtir un documentaire à base de témoignages ou une fiction démonstrative à la Cayatte (même si Cayatte a signé de bons films), Philippe Lioret nous présente une histoire tout en nuances. Simon, joué par Vincent Lindon, se montre d’abord désagréable à l’encontre de Bilal, il fait tout pour le décourager et lui faire comprendre que c’est folie de vouloir traverser la Manche à la nage. Mais quand il voit que sa femme dont il s’apprête à divorcer a de la sympathie pour la cause des sans-papiers, il se met à voir Bilal sous un autre jour.

            Dans ce film, il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Les policiers ne sont pas stéréotypés, ils ont l’air de vrais policiers. Ils n’ont pas besoin d’élever la voix pour faire preuve d’autorité et ne sont ni sympathiques ni antipathiques. L’inspecteur qui convoque Simon fait son devoir avec conscience et lui déclare froidement : « Moi, on me paye pour que la ville ne devienne pas un camp de réfugiés en situation irrégulière. »

Vicent Lindon bougon tout au long du film

On évaluela difficulté de la situation pour les autorités quand le film nous fait découvrir le camp de réfugiés de Calais, et l’on comprend aussitôt pourquoi il est communément appelé la Jungle. Les réfugiés y sont livrés à eux-mêmes et, malgré les efforts des associations caritatives, la loi du plus fort y est la règle. Même la future ex-épouse de Simon d’abord favorable aux sans-papiers, au lieu d’être ébloui par son comportement, le met en garde en essayant de lui faire prendre conscience des risques qu’il prend. Mais, peut-être par humanité, peut-être par empathie pour Bilal, Simon s’entête. Il persiste à donner des cours de natation au garçon.

            Comme souvent, Vincent Lindon joue très bien, même s’il faut reconnaître qu’il n’est pas l’acteur français à la diction la plus claire. Il se montre bougon tout au long du film, n’hésitant pas à envoyer promener son monde tout en révélant son humanité. Les détracteurs du film trouveront l’émotion un peu forcée et la réalisation académique, les plus cinéphiles de ces détracteurs y verront peut-être des traces de cette fameuse « qualité française », jadis tant décriée par Les Cahiers du cinéma. Disons tout simplement que la mise en scène est classique ; il n’y a pas besoin de multiplier les mouvements de caméra et les effets de lumière pour réaliser un bon film.

 

Welcome, de Philippe Lioret (2009), avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi et Audrey Dana DVD Warner Home Video.