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29/09/2014

Guillaume II, le dernier empereur allemand, de Charles Zorgbibe

Un souverain brillant, mais brouillon

Guillaume II,

le dernier empereur allemand

Le livre de Chalres Zorgbibe permet de mieux saisir la personnalité de Guillaume II. Né avec un bras atrophié, le Kaiser dut faire preuve d’énergie et de volonté pour surmonter son handicap. Il ne fut pas le va-t-en-guerre que l’on pourrait croire, mais, du fait de son caractère instable, il joua avec le feu.

            La scène se passe dans les années 1890. Le conseiller Knesebeck, du cabinet de l’impératrice allemande, est invité pour une croisière à bord du Hohenzollern, le yacht du couple impérial. Il est installé dans sa cabine quand il reconnait la voix de Guillaume II. Le Kaiser va et vient sur le pont et parle à voix haute. Il s’exprime alternativement en français, en anglais et en italien, et se livre à une analyse de la situation politique, abordant aussi bien les débats au Reichstag que ses relations avec les autres monarques européens. De sa cabine, Knesebeck ne peut apercevoir l’interlocuteur du Kaiser. Il s’agit vraisemblablement d’une haute personnalité, peut-être un lord anglais ou un grand-duc russe. Une fois que Guillaume II et son interlocuteur ont disparu, Knesebeck sort de sa cabine pour se renseigner. Il aperçoit un marin auquel il demande l’identité du mystérieux interlocuteur de l’empereur. Le marin esquisse un sourire et répond : « Mais c’est le pilote que nous avons embarqué à Bari pour Corfou ».

           guillaume 2,le dernier empereur allemand,charles zorgbibe Cette anecdote est révélatrice du caractère de Guillaume II. C’est une personnalité brillante, ayant de l’esprit, capable de passer d’un sujet à l’autre et d’une langue à l’autre, mais c’est aussi un homme brouillon, impulsif, terriblement bavard, et capable de se confier au premier venu.

            Le livre de Charles Zorgbibe contient de nombreux faits permettant de comprendre qui était Guillaume II : l’homme n’était pas fou, mais d’un caractère instable.

            Il était né avec un bras atrophié, handicap gênant pour un homme destiné à régner sur un peuple militarisé. Il fut élevé à la dure et des méthodes brutales lui furent imposées pour surmonter son infirmité. A force d’énergie et de volonté, Guillaume réussit à devenir un tireur, un nageur et un cavalier de qualité.

            Devenu empereur allemand et roi de Prusse, Guillaume Il se heurte au chancelier de Bismarck. Le nouveau souverain est un jeune homme de vingt-neuf ans, et il ne supporte pas la tutelle exercé par le vieil homme. Imprégné de social-protestantisme, il veut marquer son avènement par de grandes réformes, comme l’instauration d’un jour de repos hebdomadaire. Mais, pour Bismarck, il n’en est pas question. Le chancelier, excédé, finit par démissionner, et lui qui était un fervent partisan de la toute puissance du pouvoir impérial, se met sur le tard à découvrir des vertus au parlementarisme.

Le récit hallucinant

de la signature du traité de Björko

            Guillaume se heurte aussi à sa mère Victoria, que l’on appelle Vicky et qui est la fille de la reine Victoria d’Angleterre. Il ne partage pas ses idées libérales, sa mère étant, il est vrai, plus anglaise qu’allemande. Même s’il est plus ou moins brouillé avec elle, Guillaume a le sens de la famille. Il se permet d’écrire à sa grand-mère Victoria pour lui donner des conseils sur l’usage de la flotte britannique. Avec Nicolas II, plus jeune et moins brillant que lui, il joue au grand frère ; il l’inonde de recommandations et finit par l’irriter.

            Le récit de la  signature du traité de Björko est hallucinant. Alors que l’alliance franco-russe a été conclue, ainsi que l’Entente cordiale, ce 24 juillet 1905 Nicolas II est à bord de son yacht « L’Etoile polaire » qui mouille dans les eaux du golfe de Finlande, quand Guillaume II, qui croise à proximité, se présente à lui. En l’absence de leurs ministres, les deux cousins ont un entretien. Et là, l’impossible se produit. Se montrant très persuasif, le Kaiser réussit à retourner le tsar. Willy sort de sa poche un projet de traité d’alliance entre leur deux pays et convainc Nicky de le signer. Quelques jours plus tard, la Russie autocratique dénoncera le traité signé par son tout puissant tsar, le document étant en totale contradiction avec l’alliance franco-russe.

            Zorgbibe nous livre aussi le compte-rendu détaillé de la visite de Guillaume II au Vatican, en 1902. Le courant passe bien entre le Kaiser, souverain protestant, et Léon XIII, grand pape réformateur. Le souverain pontife se livre à son visiteur : « Vos principes de gouvernement, je les connais et je les ratifie. […] J’ai fait un rêve : vous empereur d’Allemagne, vous receviez de moi, pape Léon XIII, la mission de combattre les idées socialistes et athées, et de ramener l’Europe au christianisme. »

            Sous son règne, Guillaume entretient une obsession : la flotte. Il veut disposer d’une marine de guerre capable de rivaliser avec l’Angleterre. Il multiplie le nombre de navires de ligne, jusqu’à inquiéter les Britanniques sur ses intentions.

Guillaume paye pour

la faute commise par Bismarck

            Guillaume II est un être inconséquent et l’Allemagne joue avec le feu. En 1909, quand la situation devient explosive dans les Balkans, Berlin hausse le ton vis-à-vis de la Russie, qui se veut la championne de la cause slave. Un ultimatum est adressé à Saint-Pétersbourg et, contre toute attente, le tsar cède aux exigences allemandes. Comme le fait remarquer Zorgbibe, la passivité de la Russie en 1909 aveuglera les puissances centrales et leur fera croire, en 1914, que l’histoire allait se répéter. Elles penseront à tort que le tsar allait à nouveau céder dans l’affaire des Balkans.

            Cependant, quand l’orage menace d’éclater au cœur de l’été 1914, le Kaiser ne se montre pas le va-t-en-guerre que l’on pourrait croire, il cherche un règlement pacifique à la crise. Quand les opérations militaires commencent, c’est lui qui, officiellement, prend le commandement en chef de l’armée allemande. Dans la réalité, affaibli nerveusement, il est vite dépassé par les événements et s’en remet aveuglement à ses généraux. En 1918, quand l’Allemagne est battue, le Kaiser déchu est poursuivi par les puissances alliées qui entendent le traduire en justice. Il trouve refuge aux Pays-Bas, qui refusent de l’extrader.

            Chose étonnante, par moment, durant son règne, Guillaume II, qui d’ailleurs parlait parfaitement le français, caressa l’espoir d’une entente avec la France. Mais, d’une certaine manière, c’est lui qui paya la faute originelle commise par Bismarck en 1871, l’annexion de l’Alsace-Lorraine, qui rendait impossible toute entente avec Paris.

            Le lecteur peu connaisseur de l’histoire européenne des années 1900 sera peut-être perdu dans l’écheveau des relations diplomatiques exposées par Zorgbibe, mais la présence de nombreux dialogues, en fait des minutes d’entretien, rendent le livre vivant et, somme toute, facile à lire. On peut seulement regretter que l’éditeur n’ait pas cru nécessaire d’ajouter un cahier photos qui aurait permis d’illustrer les propos du biographe.

            Une fois le livre refermé, le lecteur saisit mieux la personnalité complexe de Guillaume II, dernier empereur allemand.

 

Guillaume II, le dernier empereur allemand, de Charles Zorgbibe, 2013, éditions de Fallois.

01/09/2014

La France occupée, d'August von Kageneck

L’Occupation vue par un Allemand

La France occupée

Le livre est un écrit posthume d’August von Kageneck, ancien officier de la Whermacht. Il offre au lecteur français un point de vue allemand sur l’Occupation. Bien qu’inachevé, La France occupée est un livre d’un intérêt certain.

            Pendant la seconde guerre mondiale, August von Kageneck fut officier de la Whermacht et combattit sur le front russe. La paix revenue, il se reconvertit dans le journalisme, s’installa à Paris, puis épousa la veuve d’un officier français tué à la guerre d’Algérie.

 la france occupée,august von kageneck,stulpnagel           Sur le tard, en 1994, Kageneck publia Lieutenant de panzers, autobiographie de ses jeunes années. Le livre rencontra son public, si bien que l’auteur poursuivit sur sa lancée et écrivit d’autres ouvrages, parmi lesquels Examen de conscience, dans lequel il posait la question de la participation de la Whermacht à des actions criminelles. L’intérêt des livres de Kageneck est double : il parle de ce qu’il a vécu, et surtout il dépasse le cadre du factuel pour inciter le lecteur à la réflexion.

            La France occupée a été publié en 2012. C’est un livre posthume qui reste inachevé, l’auteur étant mort avant d’avoir terminé son manuscrit. Son récit s’arrête en 1942. Néanmoins, même inachevé, le livre est d’un intérêt certain. Il permet au lecteur français de vivre la guerre, et en particulier l’Occupation, du côté allemand.

            Kageneck n’était pas personnellement en France à l’époque, mais, pour écrire ce livre, il a interrogé beaucoup de ses anciens camarades. Il a aussi consulté les journaux de marche tenus par les uns et par les autres, qu’ils soient officiers ou soldats. C’est à travers tous les témoignages qu’il a accumulés que Kageneck retrace la campagne de France de mai-juin 1940.

            Le premier chapitre intitulé Une victoire éclair est peut-être le plus fort. Le lecteur rencontre des militaires allemands étonnés, au printemps 1940, de la facilité avec laquelle ils défont l’armée française, en l’espace de seulement quelques semaines. Eux-mêmes n’arrivent pas à y croire. Tout cela est si rapide qu’ils en sont presqu’inquiets. Il faut dire que rien n’était écrit d’avance. Les Allemands ont eu aussi des déboires. Ainsi ils pensaient que les Panzers allaient désintégrer les chars français, deux fois moins lourds que les leurs. Mais ce ne fut pas le cas, car le blindage des chars français était plus résistant. Kageneck croit utile de nous rappeler que cette courte campagne de 1940 ne fut pas une promenade de santé et fit de nombreux morts des deux côtés.

Le général von Stulpnagel gonfle les chiffres d’exécutions

dans ses rapports envoyés à Hitler

            L’auteur fait vivre au lecteur l’entrée des Allemands à Paris, il fait part de l’émerveillement de certains devant les monuments d’une ville qu’ils visitent pour la première fois. Une feuille de route distribuée aux unités informe les soldats qu’ils vont découvrir dans toutes les provinces de France des châteaux et des monuments historiques d’une extraordinaire valeur culturelle. Ladite feuille rappelle l’obligation qu’il y a à respecter de tels édifices.

            Si, d’un point de vue allemand bien sûr, les premiers mois d’occupation se passent plutôt bien, peu à peu les relations se tendent entre occupants et occupés. La résistance gagne du terrain et les actes de sabotage se multiplient. Croyant pouvoir les arrêter, les Allemands se lancent dans une politique de répression et d’exécution d’otages. Kageneck évoque les cas de conscience qui rongèrent le général Otto von Stulpnagel, commandant militaire en France. En vieux soldat prussien, Stulpnagel se veut sévère mais juste. Réaliste, il sait que si Berlin n’envoie pas des signaux positifs aux Français, ceux qui demeurent attentistes risquent de devenir favorables aux Anglais. Le général critique la politique de Berlin et réclame davantage de libérations de soldats français prisonniers en Allemagne. Parallèlement, face aux attentats perpétrés contre des officiers allemands, il n’hésite pas à faire fusiller des otages ; ensuite, dans ses rapports envoyés à Berlin, il se permet de gonfler le nombre d’exécutions auxquelles il a fait procéder, afin de complaire au Führer. Découragé, en désaccord sur la politique qui lui est imposée, Otto von Stulpnagel démissionne en 1942. Son cousin Carl-Heinrich von Stulpnagel lui succède.

            Homme doux et raffiné, le nouveau commandant militaire en France est horrifié de la barbarie nazie, ce qui le conduira à participer à l’attentat du 20 juillet 1944. Mais Carl-Heinrich von Stulpnagel est un personnage ambigu, comme le montre Kageneck. Bien que résolu à sauvegarder son honneur de soldat et à ne pas se salir les mains, il se montre franchement antisémite dans ses déclarations.

            Même inachevé, La France occupée permet de mieux comprendre la période de l’Occupation. Néanmoins, on conseillera au lecteur qui n’aurait jamais lu d’ouvrages écrits par Kageneck de commencer par Lieutenant de panzers ou Examen de conscience.

 

La France occupée, d’August von Kageneck (2012), éditions Perrin.

30/06/2014

Lincoln, l'homme qui sauva les Etats-Unis, de Bernard Vincent

 Un Lincoln profondément humain

 Lincoln,

 l’homme qui sauva les Etats-Unis

 L’intérêt du livre de Bernard Vincent est de nous faire découvrir un Lincoln profondément humain. Abraham Lincoln était un géant d’un mètre quatre-vingt-douze, qui avait fait tous les métiers dans sa jeunesse. Autodidacte, il fit preuve de persévérance et accéda à la profession d’avocat. Entré en politique, il fut élu président des Etats-Unis. Il se montra à la hauteur de la fonction, alliant l’efficacité à l’honnêteté, et gagna la guerre de Sécession.

             Lincoln est entré dans l’histoire pour avoir été le président des Etats-Unis qui a gagné la guerre de Sécession et aboli l’esclavage. Mais sa figure semble lointaine aujourd’hui, presque figée dans sa statue de père de la nation américaine. Le mérite du livre de Bernard Vincent est de nous faire découvrir l’être de chair, sa personnalité et son intimité.

  lincoln,l’homme qui sauva les etats-unis,bernard vincent           Abraham Lincoln, « Abe », est grand, très grand pour l’époque, il mesure un mètre quatre-vingt-douze. Il n’est pas beau : son visage est buriné et ses oreilles sont en forme de chou. Il n’est pas élégant : sa redingote est mal coupée, son pantalon trop large descend à peine jusqu’aux chevilles, et son éternel haut-de-forme accentue son apparence décharnée.

             Le juriste Edwin Stanton avait refusé de collaborer avec lui quand tous deux exerçaient la profession d’avocat, sous prétexte qu’il ne s’abaisserait pas à travailler avec « ce grand singe aux longs bras ». Cela n’empêcha pas le même Stanton de devenir plus tard secrétaire à la Guerre du président Lincoln et de lui rester fidèle dans les mauvais jours.

             En feuilletant le cahier photo du livre, le lecteur découvre un Lincoln imberbe jusqu’à l’âge de cinquante-et-un ans. Son collier de barbe légendaire n’apparait qu’après son élection à la présidence, en 1860. Bernard Vincent nous donne l’explication de ce changement d’apparence. Lors de la campagne électorale, une petite fille de onze ans lui recommanda de se laisser pousser la barbe ; elle lui écrivit : « Vous seriez plus beau, car votre visage est si maigre ! » Quelques mois plus tard, c’est un Lincoln barbu qui alla à la rencontre de la fillette.

 Le jeune Lincoln avait été bûcheron

             Si le visage de Lincoln est osseux, l’homme est musclé. Il avait été bûcheron dans sa jeunesse. Il avait d’ailleurs fait tous les métiers : écrivain public, commerçant, receveur des postes, aventurier et avocat. Lincoln est un autodidacte, il n’avait pas fréquenté d’université, et c’est par son goût de la lecture allié à la persévérance qu’il put accéder au barreau.

             Devenu avocat, il se fit vite la réputation d’être efficace et rigoureux. Il fut d’autant plus demandé qu’aucun dossier ne le rebutait. Ce n’était pas un homme d’argent, il lui arrivait même de plaider gratuitement. Il gagna le surnom d’Honest Abe et, lors d’une allocution prononcée en 1850, il prodigua des conseils à de jeunes avocats, des conseils qui restent valables : « Choisissez d’être honnête en toute circonstance et, si vous estimez ne pouvoir être un avocat honnête, alors optez pour l’honnêteté et abstenez vous d’être avocat. »

             Plus surprenant, Lincoln est un être mélancolique, en proie à la dépression. En 1842, il se rendit à son mariage comme à l’abattoir, pressentant peut-être le déséquilibre psychologique de celle qui allait devenir son épouse.

             En 1850, la tragédie frappe le couple : l’un de leurs enfants, Eddie, meurt. A ce moment-là, les Lincoln, n’étant pas croyants, ne purent compter sur le secours de la religion. Suite à ce deuil, ils se rapprochèrent du christianisme. En 1862, la mort frappa à nouveau : un second fils, Willie, décéda, à la Maison-Blanche. Abraham Lincoln devint alors un homme profondément religieux, citant Dieu dans ses discours. Quant à son épouse Mary, elle commença de sombrer dans la folie. La situation devint tellement pénible pour Abe qu’il trouva dans la conduite de la guerre un dérivatif à ses soucis conjugaux et à son chagrin.

             Bernard Vincent insiste sur le fait que Lincoln, avant sa victoire à la présidentielle, n’avait pas eu une carrière politique particulièrement brillante. Certes il avait emporté des victoires, mais il avait aussi subi d’humiliantes défaites. En 1859, il avait été battu par le démocrate Stephen Douglas dont il disputait la réélection au sénat fédéral. Un an plus tard, il prenait sa revanche sur le même Stephen Douglas en le battant à l’élection présidentielle de 1860. Mais la victoire de Lincoln fut étroite, il ne gagna qu’à la majorité relative des voix, si bien qu’il fut surnommé le minority president.

 Lincoln, un président faible qui s’installe à la Maison Blanche

             C’est un président faible qui s’installa à la Maison Blanche en mars 1861. Les conditions de son élection et sa réputation d’anti-esclavagiste déclencha la sécession des Etats du Sud. Pourtant Lincoln avait fait le maximum pour les rassurer. Tout en rappelant son hostilité à l’extension de l’esclavage dans les Etats entrant dans l’Union, il confirma dans son discours d’investiture qu’il n’était pas question pour lui de contester aux Etats existants le droit de détenir des esclaves.

             Cette tentative de compromis ne suffit pas à empêcher la guerre civile. Le maintien de l’Union fut alors la priorité de Lincoln. Ainsi, en 1862, il écrivit : « Si je pouvais sauver l’Union sans libérer un seul esclave, je le ferais ; si je pouvais la sauver en libérant tous les esclaves, je le ferais ; et si je pouvais y parvenir en libérant certains sans toucher aux autres, je le ferais aussi. » En réalité, au moment où il publiait ce texte dans la presse, en homme politique habile il travaillait déjà à un projet d’émancipation générale qui fut voté en 1865, quelques mois avant la fin de la guerre.

             Ce qui frappe dans la personne de Lincoln, c’est sa rigueur morale associée à la lucidité et au souci d’efficacité. Il tance les généraux qui ne poussent pas leur avantage pour emporter la victoire finale, mais il sait rester à sa place en ne se mêlant pas du commandement opérationnel. Il fait preuve de constance en se battant pour la sauvegarde de l’Union et l’abolition de l’esclavage, tout en tâtonnant dans la recherche, au jour le jour, de solutions. Il se trompe quelques fois et reconnaît ses erreurs. Ainsi, dans les derniers jours de la guerre, il reconnut l’assemblée rebelle de Virginie, espérant ainsi hâter le retour de cet Etat dans l’Union. Puis, devant les réactions courroucées des membres de son cabinet, il se ravisa.

 Le discours de Gettysburg dura deux minutes

             Le sommet de la carrière de Lincoln fut peut-être le discours de Gettysbourg, prononcé sur le lieu de la célèbre bataille, victoire du Nord sur le Sud et surtout énorme massacre, avec un homme en moyenne tombant à chaque seconde de la confrontation. Le 19 novembre 1864, Lincoln arriva à Gettysbourg pour inaugurer le cimetière militaire des morts de la bataille. Un vénérable sénateur prononça un discours soporifique de plus de deux heures. Puis le président prit la parole et s’exprima pendant seulement deux minutes. Dans son très bref discours, Lincoln ne parla ni de la bataille, ni du Sud, ni du Nord, ni de l’esclavage ; au lieu de cela, il prononça une allocution à connotation religieuse sur la liberté et la démocratie. Son discours frappa tellement les esprits qu’encore aujourd’hui les écoliers américains l’apprennent par cœur.

             Lincoln n’eut guère le temps de savourer sa victoire. Lui qui disait ne pas savoir s’il sortirait vivant de la Maison Blanche, fut assassiné le vendredi saint de l’année 1865, quelques jours après la reddition du général Lee.

             Il y a quelque chose de prophétique, presque de messianique dans le destin de Lincoln. Il croyait fermement en l’avenir des Etats-Unis, il était plein d’espérance quand en 1862, en pleine guerre civile, il annonça dans son discours au Congrès un avenir prometteur pour le pays. Alors que les Etats-Unis étaient encore peu peuplés à l’époque, Lincoln, fort confiant, prévoyait qu’ils compteraient deux-cent-cinquante millions d’habitants en 1930.

             Le lecteur qui connaît déjà un peu la guerre de Sécession trouvera beaucoup d’intérêt au livre de Bernard Vincent. Celui qui connaît moins bien l’histoire des Etats-Unis aura peut-être plus de mal à se repérer dans le conflit entre le Nord et le Sud, mais il sera fasciné par la personne de Lincoln, que Bernard Vincent décrit très bien. En plus, le livre contient un cahier photos assez complet.

  

Lincoln, l’homme qui sauva les Etats-Unis, de Bernard Vincent (2009), éditions de l’Archipel.