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16/01/2017

Docteur Françoise Gailland, de Jean-Louis Bertucelli

Annie Girardot en lutte contre le cancer

Docteur Françoise Gailland

Annie Girardot est au sommet de sa carrière quand elle tourne Docteur Françoise Gailland. Elle s’identifie pleinement à cette femme volontaire et libérée qui affronte le cancer. Ce film, qui donne une leçon d’espoir, accrut la popularité de l’actrice.

            A sa sortie, en 1976, Docteur Françoise Gailland fit date. Pour la première fois dans l’histoire du cinéma, un film évoquait clairement le cancer, cette terrible maladie dont on n’osait à peine prononcer le nom. Les malades eux-mêmes ignoraient bien souvent la nature du mal dont ils souffraient, tant les médecins, à l’époque, étaient réticents à leur avouer la vérité.

     docteur françoise gailland,jean-louis bertucelli,annie girardot,françois périer,jean-pierre cassel,suzanne flon,isabelle hupert       Au départ il y eut un livre, Un cri, de Noëlle Loriot (écrivain également connu sous le nom de plume de Laurence Oriol) qui racontait, sous forme romancée, l’histoire authentique d’une femme médecin d’un hôpital parisien, qui avait survécu à un cancer. Noëlle Loriot envoya son livre à Annie Girardot, qui aussitôt voulut le porter à l’écran. On comprend que l’actrice se soit enthousiasmée pour le personnage de Françoise Gailland, qui a tant de points communs avec elle. Annie Girardot, fille de sage-femme et ancienne élève-infirmière, connaissait bien le milieu médical ; et, comme Françoise Gailland, c’était une femme dynamique et émancipée.

            Ce film a tout d’abord une valeur historique sur la société et la médecine des années soixante-dix. Les centres hospitaliers universitaires, fruits de la réforme Debré, sont sortis de terre et font dorénavant partie du paysage des grandes villes. Ils sont équipés en appareils d’imagerie médicale, qui aujourd’hui apparaissent bien rudimentaires. Les malades ne sont plus rassemblés dans une salle commune, mais répartis dans des chambrées de cinq ou six. On fume encore beaucoup à l’hôpital, y compris dans les chambres : le docteur Françoise Gailland elle-même fume « comme un pompier » et n’hésite pas à proposer une cigarette à un malade.

            Françoise Gailland est bien placée pour succéder à l’actuel chef de service, dont elle a été l’étudiante ; mais elle a deux handicaps : d’abord elle est femme, et ensuite elle ne mène pas une vie de famille « convenable ». Elle est certes mariée, qui plus est à un haut fonctionnaire du Quai-d’Orsay ; le couple habite un hôtel particulier et mène une vie de grands bourgeois ; mais ils font chambre à part, et chacun reste libre de fréquenter qui il veut. Ils ont deux enfants : un garçon et une fille. Le garçon a les cheveux longs et la fille prend la pilule ; ils s’opposent à leurs parents représentant la génération précédente, et leur reprochent de faire preuve d’hypocrisie en restant mariés dans le seul but de sauvegarder les apparences.

Françoise Gailland vit à cent à l’heure et se croit indestructible

            Dans la première partie du film, Françoise Gailland est une femme qui respire la santé. Elle vit à cent à l’heure et se croit indestructible, presqu’immortelle. Au milieu de son équipe et de ses patients, elle est la « patronne », sans qui rien ne se fait et qui résout tous les problèmes. En réalité, elle se donne tant aux autres qu’elle finit par oublier sa propre personne, et son activisme incessant l’empêche de prendre du recul avec elle-même. Or, depuis quelques temps, elle tousse de plus en plus fréquemment. Après un malaise, elle se résout à se faire faire une radio des poumons, par simple précaution.

            Ce jour-là, l’examen terminé, elle récupère ses clichés pour en prendre connaissance. Elle est toute seule, dans un local du service de radiologie. Elle a accroché aux murs les clichés et s’apprête à les examiner, quand un collègue survient et entre dans la pièce. Apercevant les radios et ignorant que ce sont celles de Françoise Gailland, il déclare : « C’est moche ! » Il diagnostique une opacité suspecte au niveau du lobe supérieur gauche et dit parier sur un cancer, tout en précisant à Françoise Gailland qu’elle n’osera pas dire la vérité à son patient. Et le collègue repart comme il était venu. Cette scène est la plus forte du film.

Par sa peur face à la maladie,

Françoise Gailland apparaît très humaine

            Françoise Gailland l’indestructible apparaît alors très humaine en ayant peur de la maladie. Elle qui a réponse à tout ne sait comment faire part de la nouvelle à ses proches. Jusqu’ici les malades c’étaient ses patients, c’étaient les autres, mais ce n’était pas elle. Quand elle trouve enfin la force d’annoncer la nouvelle à son mari, elle éclate en sanglots et lui déclare : « Je suis malade, j’ai peur… »

            Avec les infirmières les rôles sont maintenant inversés. Auparavant, en tant que patronne, elle leur donnait des ordres ; maintenant, en tant que malade, elle est tenue de leur obéir.

            Bien que consciente de la gravité de son état, elle reste une battante et se raccroche à l’espoir de guérison, espoir qui n’est pas insensé. Elle accepte de se faire opérer, et c’est elle qui choisit le collègue qui l’opérera. En dépit de son statut de femme libérée, elle a alors besoin que son mari et ses enfants soient unis autour d’elle pour la soutenir dans l’épreuve.

            Docteur Françoise Gailland contribua à l’évolution du regard que la société portait sur le cancer. L’objectif du film n’était pas d’effrayer le spectateur. L’angoisse est certes palpable, mais aucune scène pénible et aucune image crue ne sont infligées au spectateur pour le convaincre des ravages de la maladie. Le personnage de Françoise Gailland invite chacun à garder l’espoir et la volonté dans l’épreuve.

            Une réserve peut être émise sur ce film : à sa sortie, il pouvait donner l’impression qu’il y avait le Cancer avec un « C » majuscule, c’est-à-dire qu’il existait une seule forme de cancer. De nos jours, on a davantage conscience qu’il y a des cancers au pluriel, qui présentent différents niveaux de gravité.

            Annie Girardot prête toute son énergie au personnage de Françoise Gailland. François Périer joue son mari, Jean-Pierre Cassel son amant, et Isabelle Huppert sa fille. Annie Girardot se vit décerner le César de la meilleure actrice à la cérémonie de 1977, et le film, régulièrement diffusé à la télévision, accrut sa popularité. Docteur Françoise Gailland reste l’un des rôles les plus marquants de l’actrice, alors au sommet de sa carrière. Peut-être s’agit-il du personnage auquel elle s’est le plus identifiée.

            Docteur Françoise Gailland n’est certainement pas un film majeur de l’histoire du cinéma, mais c’est un film à voir, rien que pour la prestation d’Annie Girardot.

 

Docteur Françoise Gailland, de Jean-Louis Bertucelli, 1975, avec Annie Girardot, François Périer, Jean-Pierre Cassel, Suzanne Flon et Isabelle Hupert, DVD Wild Side Video.

28/11/2016

L'Argent des autres, de Christian de Chalonge

  

Le scandale de la Garantie Foncière à l’écran

L’Argent des autres

Une grande banque protestante est mêlée à un scandale financier. Son président, interprété par Michel Serrault, se défausse sur un salarié qui fait office de bouc-émissaire. Le réalisateur Christian de Chalonge s’est inspiré du scandale de la Garantie Foncière. Dans sa peinture de la haute finance, le banquier, incapable de résister à l’appât du gain, sert d’abord ses propres intérêts, quitte à se renflouer aux dépens de ses clients.

            En 1971 éclatait le scandale de la Garantie Foncière. La société immobilière collectait des fonds pour les investir dans des programmes de construction. Les épargnants, attirés par un rendement très élevé, avaient été nombreux à apporter de l’argent. C’était l’époque de ce que la presse appela le gaullisme immobilier. La Garantie Foncière construisit effectivement quelques immeubles, mais d’importantes sommes d’argent disparurent dans les poches de nombreux intermédiaires qui plumèrent les petits porteurs. Lorsque tout s’écroula, le retentissement fut énorme. Les dirigeants de la Garantie Foncière furent arrêtés. Un aristocrate, dont le nom prestigieux avait servi de caution pour mettre en confiance les épargnants, fut mêlé au scandale. Il apparut également que de hautes personnalités politiques avaient joué un rôle trouble dans l’affaire. Sur ce, un autre scandale, similaire, éclata : celui du Patrimoine Foncier, dont le retentissement fut aussi important.

            S’inspirant dl’argent des autres,christian de chalonge,pierre dumayet,trintignant,serrault,claude brasseur,deneuve,gérard séty,françois perrot’un livre à succès de l’époque, Christian de Chalonge a brodé à partir des deux affaires ; il a coécrit le scénario avec l’homme de télévision, Pierre Dumayet, qui avait été coproducteur de Lectures pour tous et de Cinq Colonnes à la une. Tous deux ont mis la haute finance au cœur de l’intrigue. Monsieur Miremont, président de la banque du même nom, est plein de morgue et de suffisance. Par déformation professionnelle il ne sait pas résister à l’appât du gain. Aussi est-il séduit par la personnalité de Chevalier d’Avesn, un aristocrate doué d’un bagou certain, qui lui fait miroiter de juteux projets d’investissement. Mais quand l’affaire tourne à la débâcle et que le scandale menace d’éclater, Miremont a besoin d’un bouc-émissaire, afin que ses propres négligences n’apparaissent pas. Il croit trouver un lampiste en la personne d’Henri Rainier, le fondé de pouvoir de la banque qui servait d’interlocuteur à Chevalier d’Avesn. Miremont est certain d’avoir affaire à un salarié docile qui portera toute la responsabilité sur ses épaules. Mais, une fois avisé de son licenciement, Henri Rainier ne réagit pas comme prévu ; il se défend face aux attaques de son employeur.

                  Il faut bien reconnaître que, par certains aspects, L’Argent des autres n’a pas bien vieilli. Le tandem Chalonge-Dumayet ne vaut probablement pas le duo formé par Costa-Gavras et Jorge Semprun. La narration n’est pas linéaire et a un côté brouillon, ce qui enlève de sa force à l’histoire. Cependant, malgré ses défauts, L’Argent des autres se regarde avec plaisir.

Le président de la banque a l’astuce

de se présenter non comme coupable, mais comme victime

            Ce qui n’a pas du tout vieilli, c’est la peinture qui est faite du monde de la haute finance. Le banquier n’a pas pour objectif premier de faire gagner de l’argent à ses clients (cet objectif restant accessoire), mais a pour priorité de s’enrichir lui-même. S’il est acculé, il n’hésite pas à se refaire une santé sur le dos des petits porteurs. Alors qu’il a succombé à son avidité, il refuse de prendre ses responsabilités et préfère se défausser sur un sous-fifre. Très habilement, plutôt que de désigner Henri Rainier à la Justice, il choisit de porter plainte contre X, tout en laissant clairement entendre que sa plainte vise le salarié supposé indélicat. Il a ainsi l’astuce de présenter la banque non comme coupable, mais comme victime. C’est une illustration de l’adage selon lequel « plus c’est gros, mieux ça passe ».

            Les dialogues de Dumayet sont soignés et certaines scènes sont particulièrement réussies. Quand un cadre dirigeant négocie avec M. Miremont les conditions de son licenciement, il se montre respectueux des convenances. Il ne réclame aucune somme de vive voix et juge plus discret, selon l’usage, d’écrire un montant sur un papier qu’il tend à son interlocuteur. Dans cette haute banque protestante qui n’hésite pas à flouer ses clients, il serait particulièrement indécent de discuter à voix haute de questions d’argent.

            Le décor est fascinant : Chalonge n’a pas cherché le réalisme à tout prix et a fait en sorte que le siège de la banque Miremont soit monumental et écrase le visiteur, ou plutôt le spectateur.

            Michel Serrault, qui incarne le banquier Miremont, trouve ici l’un des premiers rôles dramatiques de sa carrière ; Jean-Louis Trintignant interprète Henri Rainier, le fondé de pouvoir qui se débat dans un engrenage qui manque de le broyer ; et Claude Brasseur est sans manière dans le rôle de Chevalier d’Avesn.

            En 1979, L’Argent des autres fut récompensé par le César du meilleur film et Christian de Chalonge fut sacré meilleur réalisateur. La même année, Michel Serrault gagna le César du meilleur acteur, non pour son rôle dans ce film, mais pour son interprétation dans La Cage aux folles, sortie quelques mois plus tôt.

 

L’Argent des autres, de Christian de Chalonge, 1978, avec Jean-Louis Trintignant, Michel Serrault, Claude Brasseur, Catherine Deneuve, Gérard Séty et François Perrot, DVD Tamasa Diffusion.

 

06/06/2016

Les Camarades, de Mario Monicelli

Germinal en Italie

Les Camarades

Marcello Mastroianni est presque méconnaissable dans le rôle du Professeur, un intellectuel qui mène des ouvriers à la grève. Le film de Monicelli se passe dans une usine italienne à la fin du XIXe siècle, et présente bien des points communs avec Germinal, de Zola.

            Ce film est l’illustration des combats menés par la classe ouvrière pour la reconnaissance de ses droits. Ici la revendication porte sur le temps de travail. Dans une filature de Turin, à la fin du XIXe siècle, les ouvriers travaillent quatorze heures par jour. Ils n’ont pas le temps de récupérer de leur fatigue et baillent devant leurs machines, si bien qu’ils commettent des fautes d’inattention, d’où la fréquence des accidents du travail. Prenant conscience de leur situation, ils s’unissent pour revendiquer la journée de treize heures. Mais leur employeur fait la sourde oreille, car il ne voit aucune raison valable de leur donner satisfaction.

        les camarades,mario monicelli,mastroianni,annie girardot,renato salavatori,bernard blier    Tout change quand arrive en ville un étranger appelé le Professeur. Il ne paie pas de mine avec sa barbe hirsute et ses cheveux en bataille, ses lunettes d’intellectuel et sa chemise dépourvue de faux-col. Qui plus est, sa démarche est légèrement voutée. Mais il est cultivé, réfléchi et a de l’éloquence. Un soir, il s’adresse aux ouvriers réunis en secret et les convainc que seule la grève peut produire des résultats, à condition qu’elle soit dure et totale, le patronat ne connaissant que les rapports de force. Dans cette perspective, il faut organiser le mouvement en amont afin de tenir le plus longtemps possible. Il recommande d’accumuler des stocks de vivres qui auront été achetés à crédit. Et surtout, dit-il, il faut rester unis. Cependant, une fois que la grève est déclenchée, un ouvrier dont la famille est dans une situation plus misérables que les autres, prétend aller à l’usine gagner son pain. Un dilemme se pose : faut-il l’autoriser à aller travailler ou faut-il le contraindre à se joindre au mouvement ? En d’autres termes, l’unité du mouvement prime-t-elle la liberté individuelle ?

            Par bien des aspects, Les Camarades, de Monicelli, rappellent Germinal, de Zola. Certes celui-ci se passe dans la mine et celui-là dans une filature, mais il y a beaucoup de points communs aux deux œuvres. On retrouve à la base une forme de déterminisme social. Chez Monicelli, les ouvriers sont condamnés à travailler à la fabrique de père en fils et de mère en fille, comme chez Zola les ouvriers sont condamnés à la mine ; il n’y a pas d’échappatoire. Dans les deux cas, les femmes et les enfants travaillent au même titre que les hommes. Dans les deux œuvres, pendant que les ouvriers triment, la grande bourgeoisie vit dans l’oisiveté et se distrait dans des fêtes et des réceptions.

            Côté patronat, le directeur tient à rappeler aux ouvriers qu’il est un salarié comme eux. D’une certaine manière, il est l’un des leurs. Mais, parce qu’il est salarié lui aussi, il doit rendre des comptes à son employeur, ce qui lui laisse une faible marge de négociation pour satisfaire les revendications. Surtout, et Zola et Monicelli montrent que le patronat dispose de cohortes de chômeurs qu’il peut mettre en concurrence avec les ouvriers grévistes. Pour faire redémarrer la production, le directeur de l’usine achemine des chômeurs prêts à travailler à un moindre coût. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui du dumping social.

Même si Les Camarades sont un film militant,

on ne saurait les réduire à une œuvre de propagande

            Les Camarades ne sont pas à un paradoxe près, puisque, tandis que les ouvriers se plaignent de leur misère, les paysans, eux, rêvent de venir travailler à la ville pour bénéficier d’un revenu régulier. Les contrastes sont nombreux dans ce film, et certains d’entre eux sont savoureux. Lorsque le directeur daigne recevoir en conférence les meneurs du mouvement, il prend soin de les faire longuement patienter dans une antichambre. Puis, quand il les fait entrer, il reste assis derrière bureau et les laisse debout. Il les tutoie comme s’ils étaient ses enfants et leur parle comme s’ils étaient dans l’incapacité de savoir ce qui est bon pour eux. Après la conférence qui lui a permis de repérer les meneurs, il essaie de les diviser, d’autant plus que l’un des leurs commet l’erreur tactique de lui avouer que certains camarades sont à bout de force et sont à deux doigts de reprendre le travail.

            Même si Les Camarades sont un film militant, on ne saurait les réduire à une œuvre de propagande. La mise en scène est particulièrement soignée et peut faire penser aux films de Visconti. Marcello Mastroianni est presque méconnaissable dans le rôle du Professeur. Annie Girardot joue une fille d’ouvrier qui a échappé à son sort en utilisant ses charmes. Quant à Bernard Blier, il joue l’un des meneurs du mouvement, mais se révèle un maillon faible.

            Quand on repense à ce film après l’avoir vu, alors on prend conscience de l’aveuglement de la direction ; pourtant, dans le cas présent, les revendications sont purement matérielles et n’ont aucun contenu politique. Le patronat prend le risque d’attiser le feu révolutionnaire en refusant d’améliorer les conditions de travail des ouvriers ; et il ne voit pas que la mise en place de la journée de treize heures servirait ses intérêts : les ouvriers seraient ainsi moins fatigués et feraient davantage attention à leur travail, ce qui aboutirait à une réduction du nombre d’accidents du travail et à une augmentation de la productivité horaire.

 

Les Camarades, de Mario Monicelli, 1963, avec Marcelo Mastroianni, Annie Girardot, Renato Salvatori et Bernard Blier, DVD LCJ Edition.