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18/08/2014

Le Diable au corps, de Radiguet

Le récit d’un adultère peu banal

Le Diable au corps

Le roman parut sulfureux à sa publication en 1923. Le narrateur, un jeune garçon, se vante d’avoir entretenu une liaison avec une femme mariée dont le mari est parti à la guerre. Radiguet mourut peu après la sortie du livre, à l’âge de vingt ans.

            Sous un titre accrocheur, Le Diable au corps est le récit d’un adultère. Une femme trompe son mari. A priori il n’y a pas de situation plus banale en littérature. Sauf qu’ici l’amant de madame est un jeune garçon à peine sorti de l’enfance. En 1923, à sa sortie, le livre parut sulfureux : un adolescent racontait sans état d’âme la liaison qu’il avait entretenue avec une femme mariée, et, qui plus est, avec une femme mariée dont le mari était parti à la guerre accomplir son devoir patriotique. La situation décrite paraissait vraiment scandaleuse, d’autant plus que l’auteur, Raymond Radiguet, âgé de vingt ans à la publication du livre, donnait l’impression de raconter sa propre histoire.

  le diable au corps,radiguet          Le narrateur du Diable au corps se prénomme François. En première page du roman, il se rappelle l’année 1914 et se fait faussement provocateur : « Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de guerre ? […] Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »

            C’est en avril 1917 que le père de François lui fait rencontrer des amis, les Grangier. M. et Mme Grangier ont une fille, Marthe. Marthe est âgée de dix-huit ans et vient de se marier. Son mari est parti à la guerre. François a alors quinze ans et, comme dans un jeu, il tente de la séduire. Tous deux tombent amoureux l’un de l’autre.

            L’intérêt du roman repose notamment sur les contrastes. Même si seulement trois ans d’âge les séparent, Marthe est une femme accomplie tandis que François est encore un enfant. D’un côté, l’époux de Marthe risque chaque jour sa vie au front ; de l’autre, les deux amants passent du bon temps ensemble. François n’arrête pas de répéter qu’il est très timide, ainsi il n’ose pas refuser les avances que lui font les femmes, mais par ailleurs il ne cesse de vouloir tirer les ficelles. Il donne son amour à Marthe, mais se révèle très égoïste, surtout soucieux de sa propre personne. Enfin, et c’est là tout le piment du livre, François insiste bien sur le fait qu’il n’est qu’un enfant, certes plus mûr que les autres garçons de son âge, mais encore ignorant de bien des choses. Dans un premier temps, il se considère quasiment comme un jouet entre les mains de Marthe en particulier, et des femmes en général. Ainsi, quand il cherche à tromper Marthe avec une jeune étrangère, il écrit : « Je n’avais jamais déshabillé de femmes ; j’avais plutôt été déshabillé par elles. »

            Cela dit, malgré son caractère sulfureux, le roman ne contient aucune scène torride. Le narrateur procède par sous-entendus et laisse le lecteur libre d’imaginer ce qu’il veut.

            Vu la maturité de l’œuvre, on a du mal à imaginer que Radiguet n’avait que dix-huit ans quand il écrivit ce livre inspiré, semble-t-il, de sa propre  histoire, bien qu’il s’en fût défendu, rappelant qu’il s’agissait d’un roman et parlant d’une fanfaronnade.

            Radiguet mourut à l’âge de vingt ans en 1923, peu de temps après la sortie du livre. Jean Cocteau, qui l’avait pris sous sa protection, se rappela que, quelques jours avant sa mort, il donnait l’impression de s’être rangé. Sans s’en apercevoir, Radiguet, si l’on en croit Cocteau, avait adopté le comportement d’une personne qui s’apprête à mourir, tel qu’il est décrit à la fin du Diable au corps :

            « Un homme qui va mourir et ne s’en doute pas met de l’ordre autour de lui. Il classe ses papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Son entourage le félicite. Ainsi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. »

 

Le Diable au corps, de Raymond Radiguet (1923), collections Le Livre de Poche et Librio.

26/05/2014

Le Petit Chose, de Daudet

L’enfance romancée de Daudet

Le Petit Chose

Alphonse Daudet a mis beaucoup de lui-même dans le personnage du Petit Chose, un être plein de candeur qui rêve de devenir un grand écrivain. Il n’y a pas de longues descriptions et le lecteur s’attache vite aux personnages de ce roman qui rappelle l’œuvre de Dickens.

            Le Petit Chose nous plonge dans le monde de l’enfance et de l’adolescence. Daudet nous conte avec tendresse les débuts dans la vie de son héros, Daniel Esseyte, un garçon plein de candeur, surnommé le Petit Chose. Ce surnom lui colle à la peau depuis le collège ; un professeur l’avait pris en aversion et, constatant sa petite taille et son aspect frêle, l’avait interpellé en ces termes : « Hé ! vous, là-bas, le Petit Chose ! »

 le petit chose,daudet,daniel esseyte           Le roman est divisé en deux parties bien distinctes. La première nous raconte comment, suite à la ruine de ses parents, le Petit Chose est obligé très jeune de gagner sa vie. Sur recommandation, il obtient un poste de maître d’études dans un collège de Sarlande. En le voyant arriver, le principal s’exclame : « Mais c’est un enfant ! Que veux-t-on que je fasse d’un enfant ! » Daniel Esseyte est chargé de surveiller les petits. Les choses se passent assez bien. Quelques mois plus tard, il prend en charge les moyens. Ces garçons de douze à quatorze ans feront de sa vie un enfer.

            La seconde partie du roman raconte la vie parisienne du Petit Chose. Renvoyé de son collège, il monte à Paris rejoindre son frère aîné, Jacques. Jacques constate que son cadet est encore un enfant et le restera à jamais, si bien qu’il décide de jouer le rôle de mère de substitution, d’où le surnom de « mère Jacques » que Daniel lui donne. Les deux frères se donnent pour objectif de reconstruire le foyer. Convaincu des dons de Daniel pour l’écriture et notamment pour la poésie, Jacques le pousse sur cette voie et va chercher à le faire éditer. Mais Jacques est ignare en matière de littérature et se fait bien des illusions sur les capacités littéraires de son cadet.

L’action démarre dès la première page

            Tous les spécialistes de Daudet ont souligné le caractère autobiographique du Petit Chose. Les parents de Daudet furent ruinés, le jeune Alphonse était chétif et myope, il fut surveillant dans un collège, il le quitta précipitamment et rejoignit son frère à Paris, rêvant de gloire littéraire.

            Le mode de narration du roman est singulier. Le Petit Chose raconte lui-même son histoire, tantôt en disant « je », tantôt en parlant de lui à la troisième personne. Le Petit Chose fait bien sûr penser à Dickens. Daniel Esseyte est un peu le de cousin français de David Copperfield. D’où le côté larmoyant du roman de Daudet. Daniel Esseytefait aussi penser à Lucien de Rubempré, le héros d’Illusions perdues, de Balzac. Comme Lucien, Daniel monte à Paris pour devenir un grand écrivain. Comme Lucien, Daniel ne se montre pas à la hauteur du destin qui eût pu être le sien. Mais alors que Lucien est plein d’illusions et croit que le succès l’attend, Daniel est beaucoup plus modeste, voire désabusé. C’est son aîné, Jacques, qui se berce d’illusions.

            Cependant Daudet n’est pas Balzac, dans le sens que son mode de narration se rapproche de celui des écrivains britanniques. Son style est simple et, comme dans les romans anglo-saxons, l’action démarre dès la première page. Il n’y a pas de longues descriptions et le lecteur s’attache très vite aux personnages, dont le premier d’entre eux, Daniel Esseyte. Daudet ne donne jamais l’âge précis de son héros, mais on peut déduire des indications qu’il donne que Daniel a seize ans à Sarlande et dix-sept ans à Paris. Il n’y a pas de date précise, mais l’action semble se dérouler dans les années 1850.

            La lecture ou la relecture du Petit Chose est une récréation que l’on peut s’offrir à tous les âges de la vie.

 

Le Petit Chose, d’Alphonse Daudet (1868), collections Le Livre de Poche et Folio.

14/04/2014

La Maison Nucingen, de Balzac

Histoire d’un banquier goinfre

La Maison Nucingen

Balzac nous raconte comment le baron de Nucingen fit fortune dans la banque sur le dos des épargnants tout en respectant la législation en vigueur. Le livre vaut surtout par les commentaires faits par les personnages, qui nous renseignent sur la société de l’époque. Bien des remarques restent d’actualité au XXIème siècle. Très avisé, Balzac nous rappelle ainsi qu’en bourse, pour limiter les risques, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

            La Maison Nucingen, par sa brièveté (moins de cent pages), est plus une nouvelle qu’un roman. Le mode de construction est original. Le narrateur retranscrit une conversation qu’il a surprise dans un cabaret. Un soir, il dîne en galante compagnie, quand par derrière une cloison il entend quatre convives évoquer la personne du baron de Nucingen et l’histoire singulière de sa fortune. Le narrateur laisse la parole aux quatre interlocuteurs : Finot, Blondet, Couture, et surtout Bixiou qui semble en savoir plus long que les trois autres.

 la maison nucingen,balzac,la comédie humaine,bixiou           Disons le tout net, il vaut mieux être un familier de La Comédie humaine pour se repérer dans La Maison Nucingen, de très nombreux personnages apparaissant dans le récit. Balzac en est conscient : il écrit que Bixiou se vante, à un moment, d’introduire un vingt-neuvième personnage dans son histoire du baron de Nucingen. Par ailleurs, il n’est pas donné à tout le monde de comprendre les mécanismes précis de la filouterie mise en place par le banquier pour assurer sa fortune. Nous retenons cependant, et c’est là le plus important, qu’il a construit sa fortune sur le dos des autres, et cela en toute légalité. Nous le voyons plumer des épargnants et s’attribuer la fameuse part à goinfre que se réservaient au XIXème siècle de nombreux fondateurs de société par actions. La part à goinfre, ce sont tout simplement des actions gratuites que s’attribue ici le baron de Nucingen, et que l’ensemble des actionnaires paient pour lui. A l’époque, le procédé était légal.

            Ce qui confère au livre toute sa richesse, ce sont les remarques diverses et variées sur la société de l’époque, que Balzac a placées dans la bouche des quatre convives. Ces commentaires restent le plus souvent d’actualité :

            - Pour faire fortune en bourse, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et répartir les risques. Couture précise : « Vous avez dix mille francs, vous prenez dix actions de chacune mille dans dix entreprises différentes. Vous êtes volé neuf fois… [….] Une seule affaire réussit ! (par hasard ! – D’accord ! – On ne l’a pas fait exprès ! – Allez ! blaguez ?) Eh ! bien, le ponte assez sage pour diviser ainsi ses masses, rencontre un superbe placement, comme l’ont trouvé ceux qui ont pris les actions des mines de Wortschin. »

            - Mieux vaut voler des millions à des milliers de petits épargnants que cinq mille francs à un seul individu. Dans le premier cas, on ne vous reproche rien, mais dans le second cas il en est tout autrement, dit Blondet : « vous prenez cinq mille francs dans mon secrétaire, on vous envoie au bagne. »

            - Il vaut mieux un homme d’Etat pas très honnête mais efficace, plutôt qu’un ministre vertueux mais imbécile : « Un Premier ministre qui prend cent millions et qui rend la France grande et heureuse, n’est-il pas préférable à un ministre enterré aux frais de l’Etat, mais qui a ruiné son pays ? »

            - A Lyon, les impôts locaux, en fait les fameux octrois perçus à l’entrée de la cité, sont élevés, parce que la ville veut accéder au rang de capitale, selon Blondet : « Lyon veut bâtir des théâtres et devenir capitale, de là des octrois insensés. »

            - Une réforme de la fiscalité est chose impossible en France, déclare le même Blondet. Bixiou lui répond : « Blondet ! Tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la Fiscalité qui a ôté plus de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre. Dans le ministère [où j’ai travaillé], il y avait un employé, homme de talent, qui avait résolu de changer tout le système des finances… ah ! bien, nous l’avons joliment dégommé. »

            Une fois le livre terminé, le lecteur est tenté de se dire qu’il sera bon de le relire à tête reposé, afin de saisir toute la signification du propos de Balzac.

 

La Maison Nucingen, de Balzac (1839), collection Folio.