26/01/2015
Eve (All about Eve), de Mankiewicz
Le portrait d’une arriviste
Eve
(All about Eve)
Ce film couronné d’Oscars raconte l’ascension fulgurante d’Eve Harrington, comédienne de théâtre. En l’espace de quelques mois, la jeune femme sort de l’ombre et devient une actrice adulée du public et reconnue de la critique. Au fur et à mesure que l’intrigue progresse, Eve apparait sous son véritable visage. Dans ce film, comme à son habitude, Mankiewicz manipule le spectateur et se joue de lui.
New-York, un soir de 1949. La grande famille du théâtre est rassemblée dans les salons d’un hôtel de la ville pour assister à une cérémonie rituelle : la remise du prix Sarah-Siddons. Cette année-là, la plus haute distinction du théâtre est attribuée à Eve Harrington. Cette jeune actrice était encore inconnue il y a peu, mais en quelques mois elle a réussi à percer dans le métier. Ses prestations ont été acclamées par le public et saluées par la critique dans un élan d’unanimité. Son talent va de pair avec la modestie et la gentillesse qui la caractérisent. Entourée de ses nombreux amis, Eve Harrington reçoit son prix.
Sous forme de retour en arrière, Addison de Witt, critique de théâtre craint et respecté, et Karen Richards, scénariste et dialoguiste à succès, vont tout nous dire sur Eve. Ils se rappellent ses débuts quelques mois auparavant. La jeune femme, humble et effacée, avait débarqué à New-York et avait obtenu un entretien avec la grande actrice Margo Channing, à qui elle avait raconté sa jeunesse malheureuse. Fille d’un fermier du Wisconsin, Eve avait d’abord travaillé comme secrétaire dans une brasserie. Elle s’était mariée très jeune, mais, quelques semaines après la noce, son mari était tué à la guerre. Elle fit tout pour remonter la pente. Passionnée de théâtre, elle admire profondément Margo Channing, qu’elle rêvait de rencontrer, d’où sa venue à New-York. Margo est touchée au cœur et verse une larme en entendant le récit d’Eve. Très émue, elle décide de garder la jeune femme auprès d’elle et d’en faire son assistante.
Auprès de Margo, Eve se montre serviable, pleine d’attention et toujours de bonne humeur. Peu à peu elle se rend indispensable. Elle s’incruste au sein de l’entourage de la comédienne, et, à force de persuasion, elle finit par obtenir un rôle de doublure.
En réalité, aucun acte n’est gratuit chez Eve. Tout obéit à un calcul. Ses offres de service sont intéressées. Tout est dirigé vers un unique but : monter sur les planches pour y briller et, ensuite, supplanter Margo. Eve est une dissimulatrice qui cache bien son jeu et trompe son monde. Ces grands intellectuels qui écrivent pour Margo et qui forment son entourage, ne voient pas clair dans le jeu d’Eve. Ils croient voir une jeune fille humble là où il n’y a qu’une arriviste. Ces êtres réputés supérieurement intelligents se font berner par la jeune femme.
Dans ce film, les apparences
sont trompeuses
Le spectateur, lui aussi, se laisse berner. Mankiewicz le manipule et se joue de lui. A la fin du film, le cinéaste boucle la boucle en revenant à la scène d’ouverture, à savoir la remise du prix Sarah-Siddons à Eve Harrington, et là, la scène d’ouverture prend une tout autre signification.
Dans ce film, les apparences sont trompeuses. Il faut enlever son masque à Eve pour connaitre son vrai visage. Quand les lumières sont braquées sur elle, elle se montre mielleuse ; mais, par derrière, tous les moyens lui sont bons pour arriver à ses fins. A l’opposé, Margot paraît remplie de défauts, elle est colérique et centrée sur elle-même. En réalité, elle est trop sensible et trop franche pour se montrer capable du moindre calcul. Margo est passionnée de théâtre, elle ne s’épanouit que sur les planches, tandis qu’Eve n’utilise la scène que pour briller. C’est une arriviste qui court après la célébrité.
Ann Baxter est pleine de fraicheur dans le rôle d’Eve. Bette Davis joue Margo Channing, grande comédienne qui a dépassé la quarantaine, mais qui prétend encore jouer les jeunes femmes de vingt-six ans. George Sanders, dans le rôle du critique Addison de Witt, publie un article cinglant à ce sujet. Opposant Eve à Margo, il reproche à cette dernière de persister à incarner les jeunes filles. Mais la critique est injuste. A-t-on jamais reproché à Sarah Bernhardt de créer le rôle de l’Aiglon, tout juste âgé de dix-huit ans, alors qu’elle-même avait cinquante ans passés.
Le film a un côté théâtre – c’est le cas de le dire – qui est propre à l’œuvre de Mankiewicz. L’ensemble est volontairement statique et les dialogues sont littéraires, les acteurs ne changeant pas un mot au texte écrit par Mankiewicz. Le son est très clair, si bien qu’il est préférable de voir le film en version originale pour bien profiter du jeu des acteurs et du timbre de voix, si particulier, de George Sanders.
Eve fut couvert d’Oscars, il fut couronné meilleur film de l’année 1949, et Mankiewicz gagna l’Oscar du meilleur réalisateur, récompense qu’il avait déjà obtenue l’année précédente pour son film Chaînes conjugales (A letter to three wives). Et la réalité finit par rejoindre la fiction quand, quelques années plus tard, le prix Sarah-Siddons fut effectivement créé. Bette Davis compta parmi ses lauréats.
Eve (All about Eve), de Joseph L. Mankiewicz, 1949, avec Ann Baxter, Bette Davis, Georges Sanders et Marylin Monroe, DVD 20th Century Fox.
07:30 Publié dans Etude de moeurs, Film | Tags : eve, all about eve, mankiewicz, ann baxter, bette davis, georges sanders, marylin monroe | Lien permanent | Commentaires (0)