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20/04/2015

Thiers, bourgeois et révolutionnaire, de Georges Valance

Fossoyeur de la Commune ou artisan de la république ?

Thiers

bourgeois et révolutionnaire

Adolphe Thiers a eu une carrière politique d’une longévité exceptionnelle. Deux fois président du Conseil sous le règne de Louis-Philippe, il revient au pouvoir en 1871 et négocie la paix avec Bismarck. Georges Valance dresse le portrait d’un homme peu sympathique, mais qui ne fut pas le tyran sanguinaire que l’on pourrait croire.

            De nos jours, Adolphe Thiers a mauvaise presse, notamment auprès de ceux qui voient en lui le fossoyeur de la Commune. Déjà en 1848, il avait acquis une mauvaise réputation auprès du peuple, qu’il avait qualifié, avec mépris, de « vile multitude », expression qui l’a poursuivi de son vivant et au-delà. Pourtant, si on les examine de près, les choses ne sont pas aussi simples que cela. Si vraiment Thiers avait été le fusilleur du peuple, comment expliquer que, selon Jules Ferry, un million de Parisiens suivirent ses obsèques à travers les rues de Paris ? Et comment expliquer que plus de cent villes de France s’empressèrent de baptiser de son nom une place ou une avenue ?

 Thiers, bourgeois et révolutionnaire, Geroges Valance           Dans sa biographie de Thiers, Georges Valance essaye de faire la part des choses. Il dresse le portrait d’un homme assez peu sympathique, mais qui ne mérite pas l’opprobre. Thiers s’est trompé dans un certain nombre de cas, mais dans d’autres il a eu raison avant tout le monde. Sa longévité politique fut exceptionnelle : il fut président du Conseil des ministres en 1836, à nouveau en 1840, et redevint chef de l’exécutif trente ans plus tard, en 1871. En près de cinquante ans d’engagement politique, il eut le temps de se faire de nombreux ennemis.

            « Monsieur Thiers a toujours voulu la même chose. Il n’a jamais eu qu’une seule pensée, un seul système, un seul but ; tous ses efforts y ont constamment tenu ; il a toujours songé à Monsieur Thiers. » Ces mots de Balzac sont durs, mais ils sonnent juste. A la lecture du livre de Valance, on comprend que Thiers avait une revanche à prendre sur la vie. Il est moqué pour sa petite taille, un mètre cinquante-cinq, et Louis-Philippe l’appelle familièrement « mon petit président. » Il est né hors-mariage, c’est-à-dire bâtard, selon le terme de l’époque, et il en souffre. Après sa jeunesse passée à Marseille, il monte à Paris, bien décidé à faire carrière. D’après Valance, qui s’appuie sur les travaux de Félicien Marceau, Thiers a en partie inspiré à Balzac le personnage de Rastignac, ce jeune provincial qui veut se faire un nom dans la capitale. Thiers et Rastignac partagent la même ambition et tous deux épousent la fille de leur maîtresse. La belle-mère de Thiers, madame Dosne, restera, jusqu’à sa mort, auprès de son gendre et sera son plus fidèle soutien. Si Balzac est sévère sur Thiers, Chateaubriand en fait un portrait plus nuancé. Cependant il reste sur ses gardes et note, avec prémonition si l’on songe à la Commune qui éclatera trente ans plus tard, que le caractère de Thiers « ne l’empêcherait pas de nous faire étrangler le cas échéant. »

Hugo se moque des prétentions littéraires de Thiers

            Thiers se fait connaître en publiant Histoire de la Révolution, puis Histoire du Consulat et de l’Empire. Le tout fait plusieurs dizaines de tomes et devient un succès de librairie. Le travail de Thiers ne fait cependant pas l’unanimité. Dans ses carnets, Victor Hugo se moque des prétentions littéraires de Thiers et considère qu’il écrit en « style de journal », c’est-à-dire mal.

            En 1830, quand les Trois Glorieuses se produisent, Thiers se situe à la gauche de l’échiquier politique. Il est journaliste, il se bat pour la liberté de la presse et contribue à la chute de Charles X et des Bourbons. Il se rallie au nouveau roi, Louis-Philippe, et entre au gouvernement. Une fois au pouvoir, il oublie ses idées de jeunesse. Suite à un attentat contre le roi, Thiers, ministre de l’Intérieur, s’appuie sur l’émotion populaire pour faire voter une législation nouvelle. Ce sont les fameuses « lois scélérates »,qui réduisent la liberté de la presse. En agissant ainsi, il brûle ce qu’il a adoré, et se brouille avec certains de ses amis.

            Quand, en 1848, l’insurrection éclate à Paris, Thiers y va de ses conseils auprès du roi. Ancien ministre de l’Intérieur, il a déjà acquis une certaine expérience en matière de répression ; c’est lui qui, en 1834, a mis fin à la révolte des Canuts. En ce mois de février 1848, il propose à Louis-Philippe de quitter Paris et « de se retirer à Saint-Cloud où l’on appellerait des forces suffisantes pour prendre l’offensive. », mais le roi des Français préfère abdiquer.

            Revenu à la gauche de l’échiquier politique, Thiers apporte son soutien à Louis-Napoléon Bonaparte de retour d’exil. Le prince donne l’impression d’être un personnage falot et sans grand caractère, que l’on peut facilement manœuvrer. En réalité, Louis-Napoléon Bonaparte cache bien son jeu. Elu président, il entend bien garder le pouvoir et déclenche un coup d’Etat le 2 décembre 1851.

            Opposant à l’Empire, Thiers prononce un discours mémorable en 1867. Tel un Cassandre, il dénonce la politique des nationalités chère à Napoléon III, et prédit les pires catastrophes. Thiers dit craindre la perte prochaine de l’Alsace et s’exclame : « Cette héroïque Alsace […], faudra-t-il lui dire : “Vous parlez allemand, donc il faut vous séparer !” » Trois ans plus tard, en juillet 1870, alors que la France vient de déclarer la guerre à la Prusse, Thiers est hué à la Chambre, parce qu’il déclare que le pays va vers de grands malheurs.

Face à la Commune, Thiers met en pratique les conseils

que Louis-Philippe avait refusé de suivre en 1848

            Quelques semaines plus tard, c’est la débâcle. Thiers, l’homme qui avait averti du désastre, est rappelé aux affaires pour négocier la paix avec Bismarck. Il est contraint de céder l’Alsace et la Moselle, mais sauve Belfort qui n’a jamais parlé allemand et qui a résisté héroïquement. Belfort restera français, mais, en échange, Thiers consent à ce que les troupes prussiennes entrent dans Paris pour y défiler. Quand les Parisiens apprennent la nouvelle, ils se sentent trahis et se révoltent. C’est donc bien une réaction patriotique qui est à l’origine de la Commune.

            Face à l’insurrection, Thiers met en pratique les conseils qu’il avait donnés à Louis Philippe en 1848. Il quitte Paris et transporte l’Assemblée à Versailles. Il se montre patient et rassemble le maximum de troupes. Quand il estime la situation mûre, il fait entrer l’armée dans Paris et la laisse mener des opérations de représailles. Mais le désordre était devenu tel, que la population éprouve un sentiment de soulagement. Flaubert ne trouve aucune excuse à la Commune, et Jules Ferry, républicain s’il en est, n’est pas scandalisé de la répression.

            La Commune écrasée, Thiers est conforté dans son pouvoir et reçoit le titre de président de la République. Mais il n’en a pas fini avec la tâche de terminer la guerre, qui lui incombe. Il doit régler l’indemnité imposée par l’Allemagne, que Bismarck a fixée à six milliards de francs. C’est une somme énorme pour l’époque. L’objectif du chancelier allemand est clair : il veut ruiner la France pour l’empêcher de se relever. Thiers et son gouvernement font preuve d’imagination pour trouver des recettes exceptionnelles. Ils lancent un emprunt qui rencontre un succès inattendu, jusqu’en Amérique. A la surprise générale, les six milliards de francs sont vite réunis et, l’indemnité réglée, les troupes prussiennes évacuent le territoire national.

            Le « sale boulot » accompli, les monarchistes, qui sont majoritaires à l’Assemblée, entendent se débarrasser de Thiers. Décidés à lui faire payer son ralliement à la république, ils provoquent sa chute. En 1877, le député Thiers reçoit un hommage solennel à l’Assemblée, quand Gambetta, du haut de la tribune, le désigne de la main et proclame : « Le libérateur du territoire, le voilà ! » La même année, Thiers, âgé de quatre-vingt ans, repart en campagne électorale à côté de Gambetta, quand il meurt subitement.

 

Thiers, bourgeois et révolutionnaire, de Georges Valance, 2007, Flammarion.