Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/10/2017

La Lectrice, de Michel Deville

Film intellectuel et sensuel

La Lectrice

Miou-Miou fait des lectures à domicile. Elle lit aussi bien du Maupassant que du Tolstoï ou du Marguerite Duras. Au cours des séances, certains de ses clients la dévorent des yeux et se sentent attirés par elle. Michel Deville a réalisé un film original et insolite, à la fois sensuel et intellectuel.

            Michel Deville se souvient que, quand il fit part à ses producteurs de son intention de réaliser un film sur la lecture, il vit des sourcils se froncer autour de lui : le sujet paraissait anti-cinématographique et le risque était grand d’obtenir un film ennuyeux. Une fois les réticences levées, Michel Deville s’attaqua à l’écriture de son film, adapté du livre La Lectrice, de Raymond Jean. Le réalisateur construisit son histoire en pensant à Miou-Miou, qu’il plaça au centre du film.

   La Lectrice,Michel Deville, Miou-Miou, Patrick Chenais, Maria Casarès, pierre dux, Régis Royer,marianne denicourt        Dans la scène d’ouverture, le personnage de Miou-Miou lit au lit. A la demande de son compagnon assis à côté d’elle, elle fait la lecture à haute voix du roman La Lectrice. Peu à peu, elle s’identifie à l’héroïne dont elle lit l’histoire, elle prend conscience à son tour de son talent de lectrice et a envie d’en faire profiter les autres. Miou-Miou publie alors une annonce dans un journal local ; le texte est ainsi libellé : « Jeune femme propose lecture à domicile. »

              Au fur et à mesure, elle se constitue une clientèle et le spectateur l’accompagne de rendez-vous en rendez-vous : un adolescent cloué dans un fauteuil roulant, la veuve d’un général, une petite fille, un magistrat en retraite et un P-DG. Au cours de ces séances, Miou-Miou, assise en face de son client, lit des œuvres à la demande : un conte de Maupassant ; Les Fleurs du mal, de Baudelaire ; Guerre et paix, de Tolstoï ; Le Capital, de Karl Marx ; L’Amant, de Marguerite Duras…

             Quand elle lit, Miou-Miou fait preuve d’une telle sensualité, notamment dans la voix, que certains de ses clients semblent envoûtés. L’adolescent est comme hypnotisé et la dévore des yeux. Quand au P-DG, il ne tourne pas autour du pot, il se montre démonstratif et lui fait comprendre que c’est elle qui est l’objet de son désir. Sa seule intention est de l’entraîner dans son lit, sur lequel elle pourra poursuivre ses séances de lecture.

            La perversité atteint peut-être son comble, quand le magistrat en retraite joué par Pierre Dux, rosette à la boutonnière, l’invite à lire des pages du marquis de Sade. On ne sait s’il se délecte davantage à contempler Miou-Miou ou à entendre du Sade.

A l’étranger, pour un public choisi, La Lectrice représenta

la quintessence de l’esprit français,

à la fois littéraire et libertin

            On ne peut imaginer ce film sans Miou-Miou. Elle réussit la performance de faire preuve à la fois de douceur et de vivacité. Elle est très bien dirigée par Michel Deville qui exigea d’elle une certaine rapidité dans les scènes de lecture. Le rythme est très important dans ce film, qui, contrairement à ce qu’on pourrait supposer, ne peut être taxé de lenteur. Patrick Chenais est un P-DG échevelé, au sens propre comme au sens figuré. Vivant dans un stress permanent, il est toujours pressé et peine à finir ses phrases. Son caractère désordonné contraste avec la douceur de Miou-Miou.

            Le film est comme divisé en chapitres, chaque chapitre correspondant à une séance de lecture. On voit Miou-Miou déambuler dans les rues pour aller d’un rendez-vous à l’autre. Elle gambade en mesure sur une sonate de Beethoven que l’on entend régulièrement dans ce film, qui est tout autant musical que littéraire. Il y a même de fortes chances pour qu’une fois le film fini, la musique de Beethoven continue de trotter dans la tête du spectateur.

            A sa sortie, en 1988, La Lectrice obtint dans l’ensemble de bonnes critiques et fut récompensé d’un certain nombre de prix à l’étranger. Pour un public choisi, que ce soit aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil ou au Japon, La Lectrice représenta la quintessence de l’esprit français, à la fois littéraire et libertin. C’est d’ailleurs une France idéalisée qui apparaît à l’écran. Le film fut tourné à Arles : on y voit de vieilles maisons, des ruelles, des terrasses de café, des promeneurs ; mais pas de supermarchés, pas de grands ensembles et peu d’automobiles. C’est une France provinciale et tranquille qui fait appel aux services de Miou-Miou, ce qui fait ressortir d’autant la perversité de sa clientèle.

            Il se peut que certains spectateurs restent insensibles, trouvent les situations bien égrillardes et se disent que la virtuosité du réalisateur ne saurait sauver son œuvre de l’ennui. Et il est vrai que l’on peut avoir l’impression que Michel Deville a profité de l’occasion pour projeter ses propres fantasmes. Pourtant l’image de Miou-Miou, lunettes sur le nez, en train de faire la lecture frappe le spectateur et s’imprime dans son cerveau pour longtemps. Et puis, le thème du film n’est pas banal ; sans aucun doute, La Lectrice est un film original, presqu’insolite.

            A l’époque, l’ambassadeur de France au Japon s’était pris de passion pour ce film. A l’issue d’une séance de projection à Tokyo, il pria l’actrice de bien vouloir passer chez lui le lendemain, pour lui faire lecture de ses livres préférés. Miou-Miou ne donna pas suite à l’invitation et repartit pour la France.

   

La Lectrice, de Michel Deville, 1988, avec Miou-Miou, Patrick Chenais, Maria Casarès, Pierre Dux, Régis Royer et Marianne Denicourt, DVD Gaumont.

04/04/2016

Médecin de campagne, de Thomas Lilti

Eloge du médecin à l’ancienne

Médecin de campagne

Dans Médecin de campagne, François Cluzet interprète un généraliste à l’ancienne, qui ne cherche pas à faire du chiffre et qui prend le temps d’écouter ses patients. Marianne Denicourt joue le médecin appelé à le seconder en vue d’un remplacement. Le film de Thomas Lilti défend une certaine idée de la médecine.

            Dans son précédent film, Hippocrate, Thomas Lilti décrivait le monde de l’hôpital ; deux ans après, il revient avec un nouveau film médical, dans lequel, comme son titre l’indique, il fait le portrait d’un médecin de campagne. Le spectateur suit le docteur Jean-Pierre Werner dans son quotidien fait de consultations à son cabinet et de visites aux malades. Dès le début du film, Jean-Pierre Werner apprend qu’il est atteint d’une tumeur. Il prend auprès de lui le docteur Nathalie Delezia, afin que, dans un premier temps, elle le seconde, en vue, à terme, de le remplacer.

        Médecin de campagne,thomas lilti,françois cluzet,marianne denicourt    Le film prend la forme d’une chronique. A la manière de Huysmans qui, dans ses romans, voulait se débarrasser de l’intrigue traditionnelle, Thomas Lilti prend prétexte de son scénario, qui est squelettique, pour montrer différentes situations auxquelles un médecin peut être confronté.

            Le Dr Werner est un médecin à l’ancienne, il ne cherche pas à faire du chiffre et prend le temps d’écouter ses patients. Comme autrefois, il reçoit chez lui, dans sa maison, sans rendez-vous ; et il fait sa tournée à travers les villages et les fermes du pays.

            Médecin de campagne délivre un certain nombre de messages dont ceux-ci :

  • Le patient a intérêt à être concis et précis quand il décrit au médecin les symptômes qu’il ressent, car il est établi qu’en moyenne un médecin coupe la parole à son patient toutes les vingt-deux secondes, alors que, dans 90% des cas, le diagnostic est contenu dans les propos du patient ;
  • Il faut faire preuve de discernement avant de décider d’hospitaliser une personne âgée, car le remède peut être pire que le mal ; le vieillard risque d’être désorienté et d’être plus affaibli à sa sortie de l’hôpital qu’il ne l’était avant ;
  • Le médecin est là pour réparer les erreurs de la nature, qui produit de belles choses, mais aussi des choses laides, car il y a une forme de barbarie dans la nature, si bien que la médecine est par essence contre-nature ;
  • L’informatique ne fait pas gagner au médecin autant de temps qu’on le croit, et souvent le gain est illusoire ;
  • Il faut se méfier des projets de maisons de santé et autres pôles médicaux, qui visent à regrouper des professionnels de santé sous un même toit, car ces projets obéissent bien souvent à des motifs financiers et sont avant tout des opérations immobilières ne répondant pas strictement à un besoin d’ordre médical ;
  • Etre médecin de campagne est un sacerdoce, à un point tel que, si le médecin prend trop à cœur son métier, il risque l’épuisement professionnel ;
  • Le médecin est un patient comme les autres, il se croit immortel et irremplaçable, mais ne l’est pas ; quand il tombe malade, il est traversé par les mêmes doutes et les mêmes angoisses que le commun des mortels.

            Dans ce film, c’est donc une certaine idée de la médecine que défend Thomas Lilti, lui-même ancien médecin.

            Médecin de campagne est remarquablement interprété par François Cluzet et Marianne Denicourt, lui dans le rôle du médecin titulaire et elle dans le rôle du médecin remplaçant. Il la rabroue et ils se chamaillent de temps en temps, comme dans les comédies américaines d’antan.

 

Médecin de campagne, de Thomas Lilti, 2016, avec Fraçois Cluzet et Marianne Denicourt, actuellement en salles.

13/10/2014

Hippocrate, de Thomas Lilti

Chronique d'un hôpital

Hippocrate

Benjamin, un garçon d’une vingtaine d’années, devient interne dans le service dirigé par son père. Peu à peu il découvre le quotidien d’un hôpital et le métier de médecin. Hippocrate, chronique d'un hôpital, est mieux qu'un documentaire. On y voit des praticiens exercer leur activité avec passion, mais au milieu de mille difficultés.

            Cette fiction nous offre une plongée dans le monde de l’hôpital qu’aucun documentaire ne serait en mesure de nous proposer. Le spectateur pénètre au cœur d’un service, il accompagne les internes dans leur quotidien, il assiste aux réunions de l’équipe médicale et il est le témoin privilégié de la relation qui s’établit entre le patient et les soignants.

hippocrate,thomas lilti,vincent lacoste,reda kateb,jacques gamblin,marianne denicourt            Benjamin Barois est un garçon de vingt-trois ans qui veut devenir médecin… comme son père, professeur réputé. C’est le service dirigé par ce dernier qu’il choisit naturellement pour son internat. Benjamin découvre la réalité de l’hôpital et apprend son métier.

            Peu à peu, en sa compagnie, le spectateur se rend compte que la médecine n’est pas une science exacte ; mais, après tout, est-ce même une science ? Comme le fait remarquer un interne à la famille d’un patient, on ne peut jamais être sûr à 100% de la manière dont va évoluer le malade. Il n’y a pas systématiquement unanimité de l’équipe médicale quand il s’agit d’établir un diagnostic. La disponibilité en lits entre en ligne de compte dans le choix du traitement. Une dame de quatre-vingt-huit ans, grabataire et atteinte d’un cancer généralisé, n’ira pas dans le service des soins palliatifs parce qu’il n’y a pas de place dans ledit service.

            Certaines décisions sont prises dans l’urgence sans disposer de toutes les informations nécessaires. Ainsi le service réanimation se précipite-t-il de réanimer un malade sans avoir pris connaissance du dossier médical, qui précisait pourtant de ne pas tenter de réanimation sur le malade en question. Mais peut-on reprocher aux réanimateurs d’avoir œuvré au plus vite pour faire leur métier ?

            Le stress est permanent. Les éclats de voix sont nombreux. Les fêtes et les plaisanteries de carabin sont là pour évacuer la tension. Pour se défouler, l’équipe médicale va même, en privé cependant, jusqu’à se moquer des patients. Mais, à la cantine, il est défendu, sous peine de gage, de parler des malades.

            La pratique médicale nécessite un certain doigté. C’est un métier en partie manuel. Ainsi, pour effectuer une ponction lombaire, il ne faut pas hésiter à bien enfoncer l’aiguille, sinon, comme l’explique un interne plus expérimenté au jeune Benjamin, « on fait mal au patient et ça ne sert à rien. »

Le professeur Barois va jusqu’à couvrir

une négligence de son fils

            Le chef de service est distant. Cela n’a rien d’étonnant, puisque c’est le Patron, c’est Monsieur le Professeur, c’est donc un être lointain et inaccessible. Le professeur Barois va jusqu’à couvrir une négligence de son fils, non parce que c’est son fils, mais parce qu’il appartient à la Famille, celle de l’hôpital, qui fait un métier soumis à mille difficultés.

            L’équipe médicale doit traiter non seulement avec les patients, mais aussi avec leur famille. Une veuve de fraiche date débarque dans le service, soucieuse de savoir dans quelles conditions son mari est « DCD » (pour reprendre la mention figurant sur le dossier médical). Elle en vient à se demander si les médecins ont vraiment tout fait pour le sauver.

            L’hôpital souffre d‘un manque cruel de moyens. Un ECG (Electrocardiogramme) ne peut être pratiqué suite à une panne de l’appareil, provoquant la mort d’un patient. Le service ne fonctionnerait pas sans la présence active des F.O.I., médecins étrangers Faisant Office d’Interne. Les administratifs ont pris le pouvoir à l’hôpital avec pour mission de réduire les trous dans la caisse. Ce sont des bureaucrates, froids gestionnaires en costume de ville, et les médecins ne les aiment pas du tout.

            Le spectateur s’identifie sans mal à Benjamin Barois incarné par Vincent Lacoste. Jacques Gamblin, dans le rôle du professeur Barois, n’est pas très présent à l’écran, puisqu’il n’a jamais le temps, débordé qu’il est par sa fonction de chef de service. Mention spéciale pour Reda Kateb dans le rôle du F.O.I.. Quant à Marianne Denicourt, elle nous rappelle qu’à l’hôpital du XXIème siècle  de plus en plus de médecins sont des femmes.

            Ce film est un film intelligent qui humanise l’hôpital ; il montre des praticiens exerçant leur métier avec passion, mais au milieu de mille difficultés. En le voyant on peut penser à Un grand patron, d’Yves Ciampi, avec Pierre Fresnay. Seul petit bémol en ce qui concerne Hippocrate, à de rares moments la caméra bouge un petit peu trop.

 

Hippocrate, de Thomas Lilti, 2014, avec Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin et Marianne Denicourt, actuellement en salles.