10/03/2014
Les Caves du Vatican, de Gide
Gide théorise l’acte gratuit
Les Caves du Vatican
Les Caves du Vatican est un bien curieux roman. Certains des personnages et des situations sont ridicules. Et surtout, Gide nous fait assister à un crime gratuit. Un jeune homme va pousser un voyageur hors d’un train en marche, sans mobile apparent. L’acte est horrible, mais le lecteur a bien du mal à prendre tout cela au sérieux.
En 1890, sous le pontificat de Léon XIII, Anthime Armand-Dubois vient à Rome soigner une maladie rhumatismale qui le fait horriblement souffrir de la jambe. Anthime est un grand scientifique ; franc-maçon et athée, il ricane de sa femme et de sa belle famille qui aimerait tant le voir se convertir au catholicisme. Mais une nuit, Anthime se lève de son lit et se met spontanément à genoux pour prier. Il se relève et, miracle, sa jambe est guérie. Anthime est touchée par la grâce et attribue sa guérison à l’intercession de la Vierge. Sa conversion devient un événement majeur que l’Eglise s’empresse de médiatiser.
Parallèlement, le beau-frère d’Anthime, Julius de Baraglioul, grand écrivain catholique, publie un nouveau livre, L’Air des cimes, inspiré de la vie de son père, un ancien diplomate. Julius espère que cet ouvrage va le propulser à l’Académie française. En attendant, il rend visite à son père, mourant, qui lui demande un dernier service : savoir ce qu’est devenu un nommé Lafcadio Wluiki, aujourd’hui âgé de 19 ans et vivant à Paris. Julius comprend assez vite qu’il s’agit d’un enfant naturel que son père a eu alors qu’il était en poste à l’étranger.
Une troisième intrigue vient se greffer au reste : la comtesse de Saint-Prix, sœur puinée de Julius, reçoit la visite d’un mystérieux prêtre : l’abbé de Salus, chanoine de Virmontal. L’homme d’Eglise s’entretient avec la comtesse et lui révèle un terrible secret concernant Sa Sainteté le pape.
Le lecteur, complice passif du crime
Les Caves du Vatican est célèbre pour la théorie de l’acte gratuit qu’y développe Gide. Dans l’une de ces mises en abyme qu’il affectionne, Gide fait parler Julius de Braglioul. Le grand écrivain a l’intuition d’un nouveau roman, à rebours de tous ses précédentes œuvres remplies de bons sentiments. Dans son prochain livre, le héros commettra un crime gratuit. Julius s’explique : « Il s’agit d’un jeune homme, dont je veux faire un criminel […]. Je ne veux pas de motif au crime […]. Oui ; je prétends l’amener à commettre gratuitement le crime ; à désirer commettre un crime parfaitement immotivé. […] Prenons-le tout adolescent : je veux qu’à ceci se reconnaisse l’élégance de sa nature, qu’il agisse surtout par jeu. » Et Julius précise que c’est le mobile du crime qui permet souvent de démasquer le coupable. Mais là, le criminel sera d’autant plus habile et difficile à trouver, qu’il aura commis son crime sans que rien ne le motive.
Gide met sa théorie en pratique et nous fait assister à un crime gratuit. C’est le jeune Lafcadio qui va le commettre. Dans le train Romes-Naples, il partage un compartiment avec un être ventripotent, transpirant de sueur, et franchement ridicule. Lafcadio, sans aucune raison, va le projeter hors du train en marche, rien que pour la beauté du geste.
Le pire, c’est que Gide fait du lecteur un complice passif du meurtrier. La victime était un personnage si répugnant par sa bêtise, qu’à vrai dire nous n’éprouvons aucun regret à le voir disparaître de l’histoire. Dans les pages précédentes, nous avions dû suivre, dans une chambre d’hôtel de Rome, son combat contre les punaises et les moustiques. Le lecteur ne peut éprouver qu’un lâche soulagement une fois qu’il est enfin débarrassé de ce personnage grotesque et encombrant.
Les Caves du Vatican, comme une partie de l’œuvre de Gide, est un bien curieux roman. Contrairement aux canons établis par Flaubert, Gide n’hésite pas à intervenir dans l’histoire et donne son sentiment personnel sur le comportement de tel ou tel personnage ; et, comme s’il voulait pasticher Balzac, il donne des détails très précis sur leur généalogie. Par exemple Gide nous fait savoir que, dans Baraglioul, « le gl se prononce en l mouillé, à l’italienne. » Lorsqu’il raconte la scène du crime gratuit, Gide se lâche en multipliant les rebondissements et les coïncidences dignes d’un roman-feuilleton dans le style d’Arsène Lupin. Plus profondément, en nous présentant la théorie de l’acte gratuit, Gide prend le contrepied de Dostoïevski dans Crime et châtiment. Lafcadio est l’anti-Raskolnikov. Il n’éprouve ni regret ni remord.
Les Caves du Vatican, d’André Gide (1914), collection Folio.
09:10 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), Religion, XXe, XXIe siècles | Tags : les caves du vatican, gide, vatican | Lien permanent | Commentaires (0)
03/03/2014
Un crime au Paradis, de Jean Becker
Un régal d’humour noir
Un crime au Paradis
Le film de Jean Becker est un régal d’humour noir. Jacques Villeret interprète un cultivateur qui exploite le domaine du Paradis. Il est tyrannisé par sa femme, jouée par Josiane Balasko. Il va la tuer et sera défendu aux assises par un avocat interprété par André Dussolier. Les acteurs sont truculents à souhait.
Fils du grand cinéaste Jacques Becker, Jean Becker est devenu, lui aussi, réalisateur. Il a obtenu un succès public en 1983, avec L’Eté meurtrier. Dans les années 1990 et 2000, il s’est spécialisé dans les films de terroir que ses détracteurs jugent passéistes et franchouillards. Il est vrai que Jean Becker a tendance à nous présenter une France qui n’existe plus. Chez lui, pas de supermarché et guère de grands ensembles. Un crime au paradis, tourné en 2004, n’échappe pas à la règle. L’histoire se passe dans un village « traditionnel » au cœur duquel on trouve une épicerie et des petits commerces. Précisons toutefois que le film est censé se dérouler en 1980 ; le spectateur comprend vite que Becker a choisi cette année-là parce que la peine de mort était encore en vigueur en France.
Jacques Villeret joue le rôle d’un cultivateur. Il exploite un domaine qui s’appelle le Paradis. Sa femme, Josiane Balasko, le tyrannise et fait de sa vie un enfer. Elle lui crève les quatre pneus de sa voiture, prétend avoir uriné dans sa soupe et, un jour, sacrilège, elle jette au feu le trésor de son mari : sa collection de timbres. Pour Villeret, c’en est trop. Un soir, au journal télévisé, il entend un célèbre avocat, joué par André Dussolier, qui s’est fait un nom en obtenant l’acquittement de ses clients accusés de meurtres.
Villeret le rencontre en consultation et, lors de l’entretien, fait mine d’avoir déjà tué sa femme. Dussolier le presse de questions, il lui demande des détails sur les circonstances du crime, afin de savoir si un acquittement est envisageable (Dussolier : « Vous avez tué votre femme avec un couteau ? […] Bien, vous l’auriez empoisonnée, il y aurait eu préméditation. »). En réalité, Villeret adapte ses réponses en fonction de ce que l’avocat veut entendre. Dussolier définit la stratégie à suivre sans savoir qu’il est en train de renseigner son client sur un crime qu’il n’a pas encore commis. Fort des conseils de son avocat, obtenus sur un malentendu, Villeret rentre au Paradis et passe à l’acte.
Ce film, nouvelle version de celui de Sacha Guitry intitulé La Poison, est un régal. Le spectateur s’amuse beaucoup, à condition de ne pas être rétif à l’humour noir. Les acteurs sont truculents à souhait, ce qui est devenu rare dans le cinéma contemporain. Villeret est on ne peut plus naïf, Balasko est délicieusement odieuse, Suzanne Flon, dans le rôle de la maîtresse (d’école), est la douceur même, et Dussolier donne l’impression d’avoir été avocat toute sa vie. A l’audience de la cour d’assises, il a fort à faire dans le duel qui l’oppose à Daniel Prévost, très sérieux dans son rôle d’avocat général qui requiert, « sans haine mais sans faiblesse », la peine capitale pour l’accusé. Le tribunal ressemble à un cirque dans lequel les numéros d’artistes se succèdent. Dussolier nous donne une leçon : devant la Justice, la victoire revient à la partie qui bluffe le mieux.
Un crime au Paradis, de Jacques Becker (2004), avec Jacques Villeret, Josiane Balasko, André Dussolier, Suzanne Flon et Daniel Prevost, DVD Paramount.
09:10 Publié dans Comédie, Film | Tags : un crime au paradis, jacques becker, villeret, balasko, dussolier, suzanne flon, daniel prevost | Lien permanent | Commentaires (0)