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23/11/2015

Une journée particulière, d'Ettore Scola

Quand Sophia Loren rencontre Mastroianni

Une journée particulière

Une rencontre improbable a lieu dans l’Italie fasciste : une mère de famille nombreuse, vouée au Duce, fait la connaissance d’un célibataire qui a été chassé de la radiodiffusion. Sophia Loren et Marcello Mastroianni sont poignants dans ce film qui est l’un des meilleurs d’Ettore Scola.

            « Un homme doit être mari, père et soldat », c’est ce que proclame une affichette qu’Antonietta a placardée dans sa cuisine. Elle-même est mariée à un hiérarque fasciste qui se plaît à revêtir l’uniforme et qui lui a donné six enfants qui lui occupent ses journées. En apparence c’est une femme comblée. Elle est une grande admiratrice du Duce et, en ce jour de mai 1938, elle aurait bien voulu participer au grand rassemblement populaire organisé en l’honneur du Führer, à l’occasion de son voyage à Rome. Son mari et ses enfants seront présents, mais elle n’y sera pas ; elle a trop à faire à la maison pour pouvoir s’y rendre.

 Une jounée particulière, ettore scola, sophia loren, mastroianni           Cette journée particulière commence à six heures du matin, quand Antonietta réveille son mari et ses enfants. Pour ce grand jour, ils enfilent leur chemise noire. Quelques minutes plus tard, l’ensemble des locataires de l’immeuble quittent leur domicile pour converger vers le lieu de rassemblement. Mise à part la concierge restée à son poste, Antonietta pense être la seule à passer la journée dans l’immeuble vidé de ses locataires. Au cours de la matinée, son oiseau de compagnie quitte sa cage, s’envole par la fenêtre et trouve refuge dans l’appartement situé de l’autre côté de la cour. Elle s’y rend, pensant trouver l’appartement vide. Mais, à son grand étonnement, son locataire, lui non plus, ne participe pas au rassemblement.

            Elle fait sa connaissance, il s’appelle Gabriele, et elle découvre qu’il ne vit pas en concordance avec les canons qu’elle affiche. Il n’est ni mari, ni père, ni soldat. Il vit seul, ne revêt pas l’uniforme et a été chroniqueur à la radiodiffusion dont il a été chassé. Il est élégant, raffiné et un peu précieux ; c’est un intellectuel qui vit au milieu de livres. Il est très différent de son mari, un rustre sans aucun savoir-vivre qui n’hésite pas, par exemple, à s’essuyer la figure dans son jupon comme si c’était une serviette. Antonietta et Gabriele sympathisent. Comme de bien entendu, elle croit, au bout d’un moment, qu’il veut la posséder, elle-même est attiré par son physique avantageux. Mais rien ne vient, car Gabriele est homosexuel. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été chassé de la radio.

L’immeuble qui sert de décor au film

a un côté concentrationnaire

            Une journée particulière est l’un des meilleurs films d’Ettore Scola. L’unité de temps, cette journée de mai 1938, l’unité de lieu, cet immeuble romain, et l’unité d’action sont respectées. Dans la cuisine d’Antonietta, une radio est allumée, elle permet de suivre, minute par minute, la retransmission du grand rassemblement organisé en l’honneur du Führer. Les clameurs de la foule sont à la fois proches et lointaines, elles contrastent avec le silence qui règne dans l’immeuble et renforcent le sentiment de solitude de Gabriele et Antonietta, qui, restés à l’écart, sont comme les oubliés de la fête.

            Tous deux se découvrent l’un et l’autre au cours de cette journée. Ils mènent des existences très différentes, mais partagent le point commun de ne pas être entièrement satisfaits de leur sort. Il souffre d’être persécuté, et elle d’avoir un mari volage qui ne la croit bonne qu’à donner des enfants et à s’occuper de la maison. Il y avait peu de chances qu’Antonetta et Gabriele se rencontrassent, mais il a suffi d’un concours de circonstances exceptionnelles pour que cette rencontre improbable se produise.

            Sophia Loren, dans le rôle d’Antonietta, et Marcello Mastroianni, dans le rôle de Gabriele, sont poignants dans ce film qui est l’un des meilleurs d’Ettore Scola. Dans la version française, c’est Sophia Loren qui se double elle-même.

            Ettore Scola a particulièrement réussi la reconstitution d’un intérieur familial dans l’Italie mussolinienne. L’immeuble est le témoin de cette époque, c’est une construction à l’architecture colossale propre au régime fasciste. Il dispose du confort moderne ; ainsi, dans l’appartement d’Antonietta, il y a un WC. Mais ce qui frappe avant tout, c’est le côté concentrationnaire de l’immeuble. Il n’y a plus d’individu, chacun se fondant dans la masse. Les locataires sont synchronisés dans leurs déplacements et la concierge joue le rôle de garde-chiourme, aucun agissement ne lui échappe. Les chemises noires sont le symbole de l’embrigadement pratiqué par le régime. Le personnage de Gabrielle, lui, est l’incarnation de la liberté individuelle qui a été abolie dans l’Italie totalitaire.

            L’histoire racontée dans ce film est liée à un contexte précis : l’apogée du fascisme, la persécution des homosexuels, la visite d’Hitler à Mussolini. Mais au-delà, ce film, qui met en scène la rencontre improbable entre deux êtres que bien des choses opposent, a une portée universelle.

 

Une journée particulière, d’Ettore Scola, 1977, avec Sophia Loren et Marcelo Mastroianni, DVD René Chateau.

19/10/2015

Amadeus, de Milos Forman

Un Mozart grivois aux compositions sublimes

Amadeus

Mozart n’était pas celui que l’on aurait pu imaginer. C’était un être grivois aimant les plaisanteries scatologiques et ayant un rire strident. Mais cela ne l’empêcha pas de composer une musique sublime qui élève l’âme. Le film de Milos Forman ne respecte pas entièrement la vérité historique, mais peu importe, car il propose une réflexion passionnante sur le mystère de la création artistique.

            Amadeus n’est pas un film académique qui raconterait la vie de Mozart en l’entrecoupant de longs morceaux de musique qui déclencheraient un sentiment d’ennui chez le spectateur. Adapté de la pièce de Peter Shaffer, ce film est avant tout une fiction qui, sous la forme d’un essai cinématographique, essaye de cerner la personnalité du compositeur et de comprendre son génie.

        amadeus,milos forman,f. murray abraham,tom hulce,elizabeth berridge    L’histoire commence en 1823 ; dans un hospice de Vienne, un vieil homme sent qu’il va mourir. Un prêtre accourt pour le confesser. Le vieil homme, qui s’appelle Salieri, avoue un crime ; il a, dit-il, tué Mozart. Et, sous forme de retour en arrière, il raconte sa vie et sa carrière. En 1781, alors qu’il était le compositeur officiel de la Cour impériale, une rivalité l’opposa au jeune Mozart.

            Salieri dans la force de l’âge est un homme distingué et bien élevé. C’est un musicien dont le talent est reconnu, notamment par l’empereur Joseph II qui le tient en grande estime. Salieri entend parler d’un jeune prodige nommé Mozart, qui est au service de l’archevêque de Salzbourg. Sa curiosité est piquée au vif, il aimerait savoir à quoi il ressemble. Un jour, à Salzbourg, dans le palais de l’archevêque, il le voit pour la première fois. Il le surprend en galante compagnie en train de se livrer à des jeux interdits. Mozart n’est pas du tout le genre d’homme auquel il s’attendait. Il est petit et surtout horriblement vulgaire. Alors que sa musique est élégante et empreinte d’une grande beauté, il est un être grivois, qui fait des plaisanteries scatologiques et dont le rire strident provoque le dégoût. Salieri n’en revient pas : comment un tel être est-il en mesure d’écrire une musique aussi sublime, qui élève l’âme vers Dieu ? Cela est d’autant plus étonnant que Mozart semble avoir un sens inné de la composition.

            Apprenant qu’il doit être présenté à l’empereur, Salieri écrit une marche en l’honneur de Mozart. Le jour venu, Joseph II en personne se met au piano et interprète avec peine le morceau au moment où le jeune prodige fait son entrée. Après l’avoir entendu une seule fois, sans même regarder la partition, Mozart est capable de jouer à son tour la marche, au piano. Mieux, il se permet d’apporter quelques améliorations à la composition de Salieri afin de la rendre plus entraînante. Ce jour-là, devant l’empereur et la Cour, Salieri subit en silence l’humiliation que lui inflige Mozart.

            Plus que jamais Salieri devient jaloux de Mozart. Il est conscient du génie de son rival et vit son succès comme une injustice. Comment est-il possible que Dieu ait choisi un être aussi repoussant que Mozart pour s’exprimer ? Car Salieri en est convaincu, c’est bien le Créateur qui s’exprime dans la musique de Mozart. Dès lors, Salieri déclare la guerre à Dieu… et à Mozart. Il va agir par derrière, en faisant preuve de ruse, pour faire trébucher son rival, tout en restant, ô paradoxe, un secret admirateur de ses compositions.

Le film montre que la postérité peut réviser le jugement

porté par les contemporains d’une époque

            Le film suscite l’intérêt à plus d’un titre. Tout d’abord, il montre que la postérité peut démentir le jugement porté par les contemporains d’une époque. Alors qu’aujourd’hui Salieri est tombé dans l’oubli, le spectateur est tout étonné de découvrir que de son vivant ses œuvres pouvaient être préférées à celles de Mozart. Ainsi, à l’issue d’une représentation, l’empereur félicite Salieri d’avoir donné le meilleur opéra jamais composé ; en revanche, Sa Majesté baille à la première du Mariage de Figaro. D’une manière générale, il trouve qu’il y a trop de notes dans la musique de Mozart et que l’oreille humaine n’a pas la capacité de toutes les entendre. Et puis, les opéras de Mozart sont trop longs, près de trois heures pour Le Mariage de Figaro, d’où le bâillement de l’empereur.

            Au-delà, Amadeus est l’illustration du principe selon lequel un créateur est bien souvent un être décevant qui, dans la vie de tous les jours, ne se montre pas à la hauteur de sa création. Mozart n’est pas un surhomme, c’est un être humain avec ses qualités et ses défauts. Cependant, le portrait que fait de lui le film est plus nuancé qu’il n’y paraît au premier abord. C’est un être doué pour la musique et jouissant de grandes facilités, mais c’est aussi un bourreau de travail. A la fin, quand il compose à la fois La Flûte enchantée et Le Requiem, il est au bord du surmenage, ou du « burn-out » comme on dirait aujourd’hui.

            En ce qui concerne la vérité historique, il semble bien que Mozart, par moment, pouvait se lâcher et se montrer grivois, comme bien de ses contemporains. Il semble bien aussi que, tombé malade, il se soit convaincu que Salieri l’avait assassiné en l’empoisonnant, même si aucun élément ne le prouvait. Le film, lui, tranche, quitte à ne pas respecter les faits. Mais, après tout, la vérité historique importe peu au cinéma.

            Au final, Amadeus apparaît comme un drame sur le mystère de la création artistique. Ce n’est pas un film de musicologue, et, de fait, il peut servir de porte d’entrée à la musique de Mozart.

 

Amadeus, de Milos Forman, 1984, avec F. Murray Abraham, Tom Hulce et Elizabeth Berridge, DVD Warner.

14/09/2015

La Peau douce, de Truffaut

L’engrenage fatal d’un adultère

La Peau douce

Un homme d’âge mûr se prend de passion pour une jeune hôtesse de l’air qui devient son idée fixe. Il la retrouve en cachette et s’efforce de donner le change à sa femme et à son entourage. Truffaut, qui a assimilé les leçons d’Hitchcock, filme ce drame de l’adultère comme un suspense.

            Directeur de la revue Ratures, Pierre Lachenay est un spécialiste reconnu de littérature française. Son dernier livre, Balzac et l’argent, fait autorité. Invité à donner une conférence au Portugal, il prend l’avion, et, au cours du vol, il repère la jeune hôtesse de l’air qui assure le service. Coïncidence : à Lisbonne, tous deux descendent dans le même hôtel. Ils se reconnaissent et sympathisent. Il l’invite à boire un verre au restaurant de l’hôtel. Il lui parle de Balzac et arrive à retenir son attention. Pendant toute une soirée il l’abreuve de paroles et elle les boit. La différence de classe sociale et l’écart d’âge ne semblent pas un obstacle. Rentré à Paris, Lachenay veut absolument revoir Nicole, la jeune hôtesse de l’air. Elle est devenue son idée fixe.

 La Peau douce, truffaut, Dorléac, Jean Desailly, Daniel Ceccaldi, Nelly Benedetti           Pierre Lachenay est un homme d’âge mûr. C’est un individu rangé et un mari fidèle, père d’une fillette. Jusqu’ici il n’a jamais trompé sa femme, mais le démon de midi s’est emparé de lui. Sa passion pour Nicole est plus forte que tout et menace de le consumer. Depuis qu’il a fait sa connaissance, il est devenu un autre homme. Lui-même ne se reconnaît plus. Dorénavant sa vie est orienté dans un seul but, être auprès d’elle. Cet objectif conditionne toutes les décisions qu’il a à prendre. Invité dans une ville de province à donner une conférence sur Gide, il pense d’abord refuser. Mais quand il s’aperçoit que cela lui donne l’occasion de s’éloigner de sa femme et de retrouver Nicole en toute liberté, il accepte, quitte à mentir aux autres, mais aussi à lui-même, en ce qui concerne ses véritables motivations.

            Le spectateur sait que Lachenay veut revoir sa maîtresse et se demande comment il va s’y prendre pour donner le change à son entourage, car Lachenay tient à sa respectabilité ; il veut continuer de fréquenter régulièrement Nicole sans que quiconque soit au courant. Mais mener une double vie n’est pas son fort. Il se montre maladroit, est un piètre dissimulateur et s’enferre dans ses mensonges. Lachenay se place tout seul dans une situation intenable et sans issue.

            La force de Truffaut est d’avoir filmé ce drame de l’adultère comme un suspense. Autant on peut émettre des réserves sur les films noirs qu’il a tournés, autant ici la réussite est complète. Pour narrer son histoire, il a assimilé les leçons d’Hitchcock. Dès les premières minutes, le suspense se met en place dans un moment banal de la vie quotidienne. Lachenay est en route pour l’aéroport, mais sa voiture est prise dans un embouteillage, si bien qu’il risque de manquer son avion. Dans ces instants, l’accompagnement musical renforce la tension. La partition de Georges Delerue fait penser aux musiques de Bernard Hermann, le compositeur « attitré » d’Hitchcock.

            Dans ses films, Truffaut accorde beaucoup d’importance à ses personnages. Ici c’est encore le cas. La relation entre Lachenay et Nicole, joués par Jean Desailly et Françoise Dorléac, apparaît vite comme étant intense, alors qu’a priori tout les oppose. Lachenay est le prototype du bourgeois intellectuel, installé dans la vie, qui a beaucoup lu et beaucoup réfléchi. Il traite Nicole en fillette, lui disant qu’il la préfère en robe, plutôt qu’en blue-jean, et il aime à l’appeler « ma petite fille ». Pourtant, malgré sa jeunesse, c’est elle qui se montre plus raisonnable et plus réfléchi que lui. Même si elle a plaisir à le voir, elle comprend bien que leur relation ne peut être durable. Mais lui, aveuglé par sa passion, refuse de voir la réalité en face. Il se comporte comme un grand enfant, se trouve à chaque fois des excuses et refuse de rompre, alors qu’il est encore temps. Tout cela est appelé à déboucher sur ce qu’un personnage du film appelle « un beau gâchis ».

 

La Peau douce, de François Truffaut, 1964, avec Françoise Dorléac, Jean Desailly, Nelly Benedetti et Daniel Ceccaldi, DVD MK2.