01/06/2015
Fenêtre sur cour (Rear Window), d'Hitchcock
Le voyeur selon Hitchcock
Fenêtre sur cour
(Rear Window)
James Stewart incarne un personnage immobilisé dans un fauteuil suite à un accident. Pour s’occuper, de sa fenêtre il observe ses voisins de l’immeuble en face. Bientôt il soupçonne l’un d’entre eux d’avoir assassiné sa femme. Le film vaut notamment pour la bande-son qui permet d’entendre les bruits d’ambiance du voisinage qui remontent dans la chambre de James Stewart. Pour vraiment en profiter, il est impératif de voir Fenêtre sur cour en version originale.
Fenêtre sur cour (Rear Window) présente une spécificité : pendant toute l’histoire le personnage principal ne quitte pas son pyjama et sa chambre. Suite à un accident, il a une jambe dans le plâtre et se trouve immobilisé dans un fauteuil. Pour occuper ses journées, sa seule distraction consiste à observer ses voisins de l’immeuble en face : un couple marié aux incessantes disputes, un couple sans enfant mais avec un chien, une femme seule, un musicien qui reçoit de nombreux visiteurs… Au bout de quelques jours, le personnage principal, joué par James Stewart, prend conscience d’un élément nouveau, qui le chiffonne. Quand il observe l’appartement du couple qui bat de l’aile, il ne voit plus la femme apparaître. Il cherche une explication à ce qui s’apparente à une disparition, et, à force de réflexion, il acquiert la conviction que la femme a été assassinée par son mari. Il fait venir un ami détective et lui livre ses conclusions, mais son ami ne se montre pas convaincu. Il juge saugrenue l’hypothèse de l’assassinat.
Dans cette histoire, le spectateur a d’autant moins de mal à s’identifier à James Stewart que tout le film est présenté de son point de vue. Comme lui, le spectateur est condamné à garder la chambre. Mais, de sa fenêtre, il a une vision panoramique sur l’immeuble en face et la cour en bas. L’action se passe pendant un été caniculaire, les habitants de New-York sont accablés de chaleur, si bien qu’ils vivent la fenêtre ouverte en permanence. De jour et de nuit, une multitude de sons arrivent plus ou moins brouillés jusqu’à la chambre de James Stewart. Il entend des éclats de voix, des rires et des pleurs ; il entend des discussions sans très bien savoir le contenu des échanges. Mais, à force d’observer les mouvements de ses voisins, il finit par connaître leurs habitudes, leur style de vie et leur caractère. Les sons d’ambiance sont très importants dans ce film, c’est pourquoi il faut le voir en version originale. Elle seule permet de profiter de la bande-son qui est une vraie réussite et qui fait pleinement entrer dans l’histoire. Dans la version française, le son est étouffé, ce qui réduit grandement l’intérêt du film.
Fenêtre sur cour pose un problème moral. Le spectateur s’identifie à James Stewart qui passe le plus clair de son temps à épier les autres. Stewart se mêle de ce qui ne le regarde pas et se montre très indiscret. Il n’est pas exagéré de dire qu’il est un voyeur et qu’il viole l’intimité de ses voisins. Ses deux visiteuses régulières, sa fiancée, jouée par Grace Kelly, et son infirmière, ne font rien pour le décourager de sa curiosité et s’associent même à ce qui peut être assimilé à une perversion. Interrogé par Truffaut sur ce sujet, Hitchcock fut clair. Appelant un chat un chat, il affirma que le personnage de James Stewart était effectivement un voyeur, mais il ajouta que neuf personnes sur dix placées dans la même situation auraient eu un comportement parfaitement similaire au sien. Selon Hitchcock, une personne normalement constituée ne peut s’empêcher de regarder un spectacle qui s’offre à elle, et n’arrive pas à détourner le regard d’une scène qui suscite sa curiosité.
Si bien sûr les visites de Grace Kelly à James Stewart prennent une place importante dans le film, les échanges qu’il a avec son ami détective retiennent également l’attention. Quand James Stewart explique être convaincu que l’un de ses voisins a assassiné sa femme, a découpé son cadavre et a dispersé les morceaux dans des valises, il ne fait que confier son intuition. Il s’est construit dans sa tête son propre scénario avec toutes les invraisemblances qu’il comporte. Le détective l’écoute patiemment, mais, comme c’est un homme qui a les pieds sur terre, il trouve à chaque fois une explication logique aux anomalies relevées par James Stewart, qu’il finit par croire un peu dérangé. Le détective, homme d’expérience et de terrain, est ancré dans la réalité et se veut rationnel, et pourtant c’est lui qui a tort. James Stewart, personnage à l’imagination débordante, a vu juste, il est celui qui est dans le vrai. Fenêtre sur cour marque ainsi la victoire de l’imagination sur le vraisemblable.
Fenêtre sur cour (Rear Window), d’Alfred Hitchcock, 1954, avec James Stewart, Grace Kelly, Wendell Corey, Thelma Ritter et Raymond Burr, DVD Universal.
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09/03/2015
Avant l'aube, de Raphaël Jacoulot
Entre Simenon et Chabrol
Avant l’aube
Sorti en 2011, Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, renoue avec une certaine tradition du film policier, qui semblait à jamais perdue. Il n’y a quasiment pas de scène violente, le rythme n’est pas précipité, et pourtant le spectateur ne s’ennuie pas. On pourrait presque croire que ce film est l’adaptation d’un roman de Simenon, réalisée par Claude Chabrol.
Pendant plus de cinquante ans le cinéma français produisit de nombreux films policiers. A la fin des années 80, le genre disparut quasi-complètement des grands écrans, la télévision prenant le relais. Ce fut l’époque des Navarro, Julie Lescaut et Cordier, qui assurèrent des succès d’audience à la chaîne qui les diffusait. Dans les années 2000, le film policier fit son retour, mais sous une forme renouvelée. La société étant devenue plus violente et la police s’étant beaucoup transformée, les œuvres produites se voulurent plus proches de la réalité, d’où à l’écran des scènes et des dialogues crus, combinés à une violence exacerbée, le tout soutenu par un rythme rapide.
Avant l’aube, sorti en 2011, semble renouer avec une certaine tradition qui semblait à jamais perdue. Le réalisateur Raphaël Jacoulot prend le temps d’exposer les personnages et le décor de son film, qui ne contient presqu’aucune scène de violence. On pourrait presque croire, bien que cela ne soit pas le cas, qu’Avant l’aube est l’adaptation d’un roman de Simenon réalisée par Claude Chabrol. Ainsi, comme souvent chez Simenon et chez Chabrol, l’histoire se passe dans une famille de la bourgeoisie.
Jacques Couvreur, un quinquagénaire peu agréable, est le propriétaire d’un grand hôtel, situé à flanc de montagne, quelque part en Savoie. Il ne s’entend pas très bien avec son fils Arnaud, un jeune homme qui approche de la trentaine. Une nuit, sur une route enneigée, Arnaud provoque un accident mortel de la circulation. Désemparé, il alerte son père, qui arrive aussitôt sur les lieux. Les deux hommes font face, ils se débarrassent du cadavre et font disparaitre toute trace de l’accident. Il n’y a plus de raison qu’Arnaud soit inquiété. Sauf que Frédéric, un jeune portier stagiaire qui assurait son service cette nuit-là, a tout compris des événements. Et, de son côté, Jacques Couvreur comprend que Frédéric a compris. Si le garçon se met à table devant les enquêteurs, Arnaud est perdu.
Dans le film, le personnage de Jacques Couvreur ne fait aucun effort pour susciter la sympathie et se montre autoritaire, y compris à l’égard de sa famille. Il ne déborde pas d’amour et de tendresse dans ses faces-à-faces avec son fils Arnaud. Seul Frédéric bénéficie de ses faveurs.
Malgré son jeune âge, Frédéric traîne un lourd passé qu’il vaut mieux ne pas connaitre. Son stage constitue une chance unique d’insertion professionnelle. Mais, dans cet hôtel, il est presqu’à contre-emploi. Alors que les clients sont bien éduqués, parlent correctement et respectent la forme interrogative dans leurs questions, lui-même se montre à peine poli avec eux, en murmurant des phrases telles que : « C’est quoi votre nom ? » ou « Ben, j’sais pas… ».
Jacques Couvreur fait tout ce qu’il faut pour se montrer agréable avec Frédéric. Mais il ne faut pas se méprendre, il n’a qu’une idée en tête : sauver son hôtel et sa réputation. L’altruisme n’est pas son fort. Dans le film, on le voit essayer de mener en bateau l’inspecteur de police, une jeune femme qui donne l’impression de mener son enquête avec beaucoup de détachement et qui prend ses aises dans les salons de l’hôtel.
Avant l’aube est un film qui procure du plaisir aux nostalgiques d’une certaine forme de cinéma. Le rythme et le montage ne sont pas précipités, les plans sont relativement longs, mais le film n’est pas du tout ennuyeux. Jean-Pierre Bacri se montre très désagréable dans le rôle de Jacques Couvreur, le propriétaire de l’hôtel. Frédéric est interprété par Vincent Rottiers, dont les silences sont éloquents. Quant à Sylvie Testud, elle incarne l’inspecteur de police, et son côté quelque peu casse-pieds finit par irriter Jean-Pierre Bacri.
Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, 2011, avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël, Sylvie Testud, Céline Sallette et Xavier Robic, DVD TF1 Vidéo.
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12/01/2015
Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville
Archétype du film de gangsters signé Melville
Le Deuxième Souffle
Lino Ventura joue le personnage de Gu, un gangster sur le retour. Il s’associe à des truands qui préparent l’attaque d’un fourgon de la Banque de France, et prévoit d’abattre de sang-froid les deux motards d’escorte. Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters tel que le conçoit Melville. Le temps s’écoule lentement, l’image est froide, mais le spectateur finit par s’attacher aux personnages.
De film en film, Jean-Pierre Melville a su créer un style qui lui soit propre. Certes il a emprunté des éléments aux films noirs américains, mais s’est bien gardé de réaliser de simples pastiches. Il a réussi à construire une œuvre originale, qui, depuis, a inspiré d’autres cinéastes, notamment américains, dans une espèce de mouvement d’aller et retour de part et d’autre de l’Atlantique.
Le Deuxième Souffle est bâti autour du personnage de Gu, truand sur le retour qui s’évade de prison. Dans sa cavale, il entre en contact avec les membres d’un gang qui cherchent un homme sûr et loyal pour les aider à monter un coup. Ils ont pour objectif d’intercepter et de dévaliser un fourgon de la Banque de France. Ils cooptent Gu, qui, fort de son expérience, doit tenir un rôle essentiel à la réussite du coup. Gu sera donc de la partie, mais, comme il est fatigué et a déjà beaucoup donné, il décide que cette participation sera la dernière avant son retrait définitif.
Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters signé Melville. Dès les premières images, une atmosphère lugubre s’installe : c’est l’hiver, il fait froid, la nuit est tombée, il n’y a pas un bruit, de hauts murs apparaissent, Gu est en train de s’évader. Dans le film, les gangsters sont habillés en gangsters, avec gabardines et chapeaux mous, et ils roulent dans de grosses américaines. On pourrait se croire en Amérique ; ainsi l’attaque du fourgon sur une petite route déserte à flanc de colline, rappelle les attaques de diligence dans le Far-West. Mais l’action se situe bien en France, en Provence pour l’essentiel. Ici, ce n’est pas la Provence de Pagnol et de Raimu qui est montrée, il fait froid dans les rues de Marseille et aucun personnage ne parle avec l’accent du Midi.
Les truands ont une morale très particulière. Lorsqu’ils attaquent le fourgon bancaire, ils abattent de sang-froid les deux motards d’escorte. Cela n’amuse nullement Gu d’agir ainsi, mais il dit ne pas pouvoir faire autrement. En revanche, il ne transige pas avec le code d’honneur du milieu et refuse, après son arrestation, de livrer le nom de ses complices. On en arrive même à une bizarrerie quand Gu décide de liquider le haut-fonctionnaire qui a donné le « tuyau » sur le fourgon, car, précise Gu, quelqu’un qui vend ses hommes et les envoie à la mort, n’est pas digne de confiance.
Le spectateur est en proie
à un sentiment ambivalent
Au moment crucial du film, Melville fait monter la tension ; il dilate le temps à son maximum dans la scène qui précède l’attaque du fourgon. Les minutes s’écoulent lentement et, pendant ce temps, le spectateur est en proie à un sentiment ambivalent. D’un côté il est mal à l’aise en pensant aux deux motards d’escorte qui vont mourir, et de l’autre il souhaite la réussite du coup, car il a fini par s’attacher et s’identifier au personnage du Gu.
Lino Ventura incarne Gu. Avec son pardessus, son chapeau, sa moustache et ses lunettes, il annonce le personnage qu’il jouera trois ans plus tard dans L’Armée des ombres du même Melville. Dans Le Deuxième Souffle, il est une silhouette, presqu’un spectre. On retrouve ici un thème récurrent dans l’œuvre de Melville : l’homme condamné d’avance, qui ne peut échapper à son implacable destin.
Le film oppose deux policiers aux styles et aux méthodes opposés. Paul Meurisse joue un commissaire qui se comporte en gentleman avec les gangsters et leurs maîtresses ; il est digne de respect, tandis que Paul Frankeur incarne un policier aux méthodes plus directes et plus brutales. Là aussi, une forme de morale très particulière finira par triompher.
Le film est long, il dure plus de deux heures, il est lent, et l’image en noir et blanc est froide. Certains spectateurs préfèreront « un bon vieux Jean Gabin » dialogué par Audiard, dans lequel les répliques fusent, si bien qu’on ne risque pas de s’ennuyer. Ici, il n’y a pas de bons mots, pas de dialogues inutiles, les personnages ne parlent que quand ils ont quelque chose à dire. Il n’y a pas de lourdeur non plus. Le Deuxième Souffle peut déstabiliser le jeune spectateur qui serait dopé au rythme trépidant des réalisations contemporaines. Mais, s’il se montre patient, il finira par s’attacher aux personnages et découvrira peu à peu des qualités insoupçonnées à l’œuvre de Melville.
Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville, 1966, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Raymond Pellegrin, Christine Fabrega, Paul Frankeur, Michel Constantin et Marcel Bozzuffi, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le deuxième souffle, jean-pierre melville, lino ventura, paul meurisse, raymond pellegrin, christine fabrega, paul frankeur, michel constantin, marcel bozzuffi | Lien permanent | Commentaires (0)