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28/04/2014

Le Juge Fayard dit le Shérif

Le juge assassiné

Le Juge Fayard dit le Shérif

Patrick Dewaere joue le rôle du juge Fayard dans ce film inspiré de l’assassinat du juge Renaud. Yves Boisset met en cause le Sac, Service d’action civique. Son film est engagé, mais sa réalisation est efficace.

            Il n’est guère exagéré de dire qu’encore aujourd’hui le juge Renaud fait figure à la fois de mythe et de martyre aux yeux de bien des adhérents du Syndicat de la magistrature. François Renaud fut assassiné un soir d’été 1975, à Lyon. Il venait de sortir de son véhicule et, avec sa compagne, il allait entrer dans son immeuble quand une voiture s’arrêta à sa hauteur. Des hommes cagoulés firent feu et le tuèrent.

 le juge fayard dit le shérif,yves boisset,patrick dewaere,aurore clément,jean bouise,marcel bozzuffi,michel auclair,philippe léotard,jean-marc thibault           Le juge Renaud était une forte personnalité. En 1968, dans la foulée des événements de mai, il avait été l’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature. Pour la première fois de l’histoire de la République, des juges se constituaient en syndicat et entendaient faire valoir leur conception de la justice, avec un ancrage à gauche affiché.

            A Lyon, dans les années 70, le juge Renaud ne passe pas inaperçu. Surnommé le shérif, il est l’adepte de méthodes musclés et ne se laisse pas intimider par les truands. Ses détracteurs l’accusent d’abuser de la prison préventive. Renaud enquête sur le gang des Lyonnais. Ces malfaiteurs, très professionnels, ont braqué la poste de Strasbourg sans avoir tiré un seul coup de feu. Le plus étonnant est qu’ils ont réussi à échapper aux très nombreux barrages de police aussitôt mis en place. Ils ont passé entre les mailles du filet comme s’ils étaient très bien renseignés. Bientôt il se murmure que les gangsters sont proches du Sac (Service d’action civique). Le produit du braquage serait destiné au financement d’un important parti politique.

            Le juge Renaud a donc été assassiné en 1975. Pour les uns, il a été liquidé par des membres du Sac qui s’inquiétaient de voir son enquête progresser dans leur direction. Pour les autres, la vérité est beaucoup plus simple, le juge Renaud a été tué par des truands qu’il avait fait mettre en prison et qui ont voulu se venger.

            Un an plus tard, à l’été 1976, quand Yves Boisset tourne son film, il opte pour la thèse politique. Renaud est rebaptisé Fayard, l’action est transposée à Grenoble, le gang des Lyonnais devient le gang des Stéphanois, mais le Sac est clairement mentionné dans la version diffusée de nos jours. Pour être précis, il faut dire que le nom du Sac avait été bipé à la sortie du film, sur décision de justice. Boisset n’a jamais fait mystère de son engagement à gauche, il ne fait pas dans la nuance, mais au moins est-il un cinéaste efficace, à l’américaine pourrait-on dire. Même si on ne saisit pas tous les détails de l’affaire tels qu’ils sont exposés dans le film, on est pris par l’histoire et les personnages.

Le juge Fayard est excessif et incontrôlable, voire déséquilibré

            Patrick Dewaere est le juge Renaud, un homme excessif, incontrôlable, voire déséquilibré, qui va au-devant des ennuis. Il doit composer avec le procureur joué par Jean Bouise, dont le caractère est à l’opposé. Jean Bouise, rosette à la boutonnière, a des airs de chanoine ; il allie onctuosité et autorité.

            Il est piquant de voir dans la mise en scène de Boisset comment la disposition des individus et du mobilier dans un bureau permet d’établir une relation de dépendance :

            - Quand le procureur reçoit le juge, il est assis dans un large fauteuil derrière un imposant bureau ; normal, puisque c’est le procureur ;

            - Quand le même procureur reçoit le juge pour le tancer, le dispositif est le même, avec, à côté du procureur, le président du tribunal assis dans un aussi large fauteuil ;

            - Quand le juge fait comparaître un suspect dans son cabinet (plus petit, bien sûr, que celui du procureur), il est assis derrière son bureau ; normal, puisque c’est le juge. Et quand il fait comparaître une personnalité, en l’occurrence un élu de la nation, le procureur assiste à l’entretien, assis dans un large fauteuil disposé sur le côté, pour bien montrer qu’il se situe hors de la relation de dépendance sous laquelle le juge place le justiciable ;

            - Et quand le procureur veut faire « copain-copain » avec le juge, dans le cadre d’une opération séduction destinée à ramener l’élément incontrôlable à un comportement plus raisonnable, il se déplace lui-même jusqu’au bureau du juge et lui demande l’autorisation de s’asseoir en face de lui, comme n’importe quel justiciable, pour faire un brin de causette.

            Quarante après l’assassinat du juge Renaud, le mystère reste entier. Entretemps le Sac a disparu du paysage. Sa dissolution fut ordonnée par les pouvoirs publics suite à la tuerie d’Auriol en 1981.

 

Le Juge Fayard dit le Shérif, d’Yves Boisset (1976), avec Patrick Dewaere, Aurore Clément, Jean Bouise, Marcel Bozzuffi, Michel Auclair, Philippe Léotard et Jean-Marc Thibault, DVD Jupiter Films.

27/01/2014

Le Salaire de la peur, d'Henri-Geroges Clouzot

La mort au tournant

Le Salaire de la peur

Grand succès à sa sortie en 1953, Le Salaire de la peur est devenu au fil des ans un classique du cinéma français. Henri-Georges Clouzot a réalisé un suspense très efficace, donnant à Yves Montand l’un de ses meilleurs rôles. Le duo qu’il forme avec Charles Vanel est inoubliable.

            Le film Le Salaire de la peur est adapté du roman de Georges Arnaud. L’action se passe en Amérique Latine. Un puits de pétrole prend feu. Les responsables de la compagnie américaine qui l’exploite décident d’utiliser la nitroglycérine pour éteindre l’incendie. Mais il faut l’acheminer sur place, or la nitroglycérine est très dangereuse à manipuler. Des chauffeurs as du volant et dotés d’un grand sang-froid sont nécessaires pour conduire les camions à bon port. Quatre chauffeurs, soit deux binômes, sont recrutés pour conduire deux camions. Parmi eux, Jo, un vieux bourlingueur, et Mario, son cadet d’une trentaine d’années, prêts à risquer leur vie pour 10 000 dollars.

  le salaire de la peur,clouzot,montand,vanel,véra clouzot          Ce qui frappe en premier lieu dans Le Salaire de la peur, c’est le long prologue de trois quart d’heure qui précède le suspense à proprement parler. Ce prologue permet à Clouzot de planter le décor et de présenter les personnages de façon à ce que nous puissions nous familiariser avec eux. Dans le « couple » Jo-Mario, Charles Vanel joue le rôle de l’aîné. C’est un véritable caïd : il roule des mécaniques, n’a pas froid aux yeux et se pose en mentor du jeune Mario, joué par Yves Montand. Dans un premier temps. Mario est impressionné par la personnalité de Jo dont il devient l’inséparable compagnon.

Puis, à partir du moment où l’épreuve du voyage commence, Jo se laisse envahir par la crainte de l’accident, et celui que nous pensions être un dur se révèle un être tremblant de peur. Bref, le caïd apparaît lâche. En fait, Jo est trop vieux pour une mission aussi dangereuse, dans le sens qu’il est prisonnier de sa trop grande expérience. Sa conscience du danger finit par le paralyser, tandis que Mario, dans l’aveuglement de la jeunesse, n’imagine pas qu’un accident puisse survenir. Alors, peu à peu, nous voyons le rapport entre Jo et Mario s’inverser : dorénavant c’est Vanel qui devient l’être dominé, subissant l’ascendant exercé par Montand. On voit leur relation presque virer au sadomasochisme : Mario pousse Jo à des efforts extrêmes, allant jusqu’à le battre pour le faire avancer, et Jo, réduit à l’état de loque, se laisse faire.

Chez Clouzot, les acteurs paient de leur personne

.           Au-delà de sa dimension psychologique, Le Salaire de la peur comporte une critique sociale ; l’impérialisme et le capitalisme ne sont pas épargnés. On y voit les Américains qui ont colonisé un territoire d’Amérique latine, épuiser ses ressources naturelles tandis que les populations locales sont réduites à l’état de pauvreté. Les autochtones et les Européens qui vivent sur place ne trouvent pas de travail et sont réduits à l’oisiveté, tout en étant blâmés par ceux qui soutiennent que quand on veut travailler on peut. Clouzot nous montre bien un maçon italien besogneux, mais nous apprenons qu’il est condamné par la médecine, ses poumons ayant respiré trop de ciment. Le seul travail bien payé qui se présente à tous est de conduire les deux camions de nitroglycérine.

            On ne peut être que fasciné par la mise en scène de Clouzot, surtout quand on sait que ce film, censé se passer en Amérique Latine, a été entièrement tourné en France. Les acteurs paient de leur personne. Chez Clouzot, ils sont même priés de ne pas simuler. Quand Vanel donne une gifle à un autre acteur, on peut être sûr qu’il lui donne une vraie claque. Lorsque le même Vanel se débat dans une grosse mare, avec du liquide jusqu’aux épaules, il n’est bien sûr pas doublé. D’où une certaine authenticité dans le film. Quant à Montand, il aura peut-être trouvé ici son meilleur rôle. Si dans Etoile sans lumière, tourné en 1945, il se montre encore hésitant, ici dans Le Salaire de la peur, sept ans plus tard, son jeu atteint sa pleine maturité. Montand se montre un acteur confirmé qui finit par tenir tête à Vanel. Le Salaire de la peur est un film qu’on ne peut se lasser de revoir, notamment pour repérer, avec précision, le moment de bascule dans les rapports entre Vanel et Montand.

 

Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (1952), avec Yves Montand, Charles Vanel et Véra Clouzot, DVD René Chateau Vidéo.

23/12/2013

Plein Soleil, de René Clément

Le film qui fit de Delon une vedette

Plein Soleil

Alain Delon a vingt-cinq ans quand René Clément lui donne sa chance en lui offrant le premier rôle dans Plein Soleil, un thriller adapté d’un roman de Patricia Higsmith. Le réalisateur exploite la beauté ténébreuse du jeune acteur et fait de lui un criminel diabolique au sourire carnassier, qui jalouse le personnage joué par Maurice Ronet.

            Plein Soleil est le film qui, en 1960, fit d’Alain Delon une vedette. Depuis, l’acteur rend régulièrement hommage au réalisateur René Clément de l’avoir choisi pour le rôle principal ; ce qui allait donner un coup d’accélérateur à sa carrière. Le film est tiré de Monsieur Ripley (The Talented Mr Ripley), un roman de Patricia Highsmith, auteur à succès de thrillers, parmi lesquels L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a train) adapté au cinéma, quelques années auparavant, par Hitchcock.

plein soleil,rené clément,delon,maurice ronet,marie laforêt,romy schneiderPlein Soleil est d’abord un beau spectacle. Chose rare pour un film français de l’époque qui ne soit pas une reconstitution en costumes, il a été tourné en couleurs. Le Technicolor nous offre des couleurs vives et éclatantes ; il nous permet de mieux ressentir la chaleur de l’été en Italie, où se déroule l’action. La couleur met aussi en valeur le physique d’Alain Delon. L’acteur a alors vingt-cinq ans, et René Clément, apparemment convaincu que sa jeunesse et sa beauté crèveront l’écran, nous le montre allègrement torse nu, tenant la barre d’un yacht au milieu des flots, sous un ciel bleu azur.

Sur le plan physique, Delon est en compétition avec son grand ami dans la vie, Maurice Ronet, son aîné de quelques années. Ronet joue le rôle de Philip Greenleaf, un fils à papa, fortuné et séducteur, que Delon, dans le rôle de Tom Ripley, doit ramener à la maison à la demande de son père. Mais Tom convoite la fortune et la fiancée de Philip. Il le jalouse au point de passer à l’acte. Plein Soleil c’est un peu l’histoire de Caïn et Abel. Il est d’ailleurs troublant de savoir que Delon et Ronet retrouveront les mêmes types de personnages et de situation, huit ans plus tard, dans La Piscine de Jacques Deray. Marie Laforêt joue le rôle de la fiancée de Philipp, tandis que Romy Schneider, qui vit alors une idylle avec Alain Delon, fait une courte apparition au début du film.

Le prétendu manque de style de René Clément

Les Cahiers du cinéma, François Truffaut en tête, reprochaient à Clément son manque de style. Il est vrai qu’on n’identifie pas immédiatement un film de Clément, alors que par exemple on reconnaît du premier coup un film de Jean-Pierre Melville à son style dépouillé à la limite de l’épure. Mais, qu’importe ! Plein Soleil est un film très efficace et c’est ce qui compte. Par ailleurs on ne peut qu’admirer la maîtrise dont Clément fait preuve dans la réalisation et dans la direction d’acteurs.

L’image est soignée, elle est belle à regarder ; et Clément a compris, au-delà de l’aspect physique, le potentiel qu’il y avait dans le jeu de Delon. Avant Plein Soleil, l’acteur était déjà un jeune premier du cinéma, mais il n’était pas encore une vedette pleine et entière. Et surtout, il paraissait destiné aux rôles de jeune héros romantique, comme dans Christine de Gaspard-Huit. Avec Clément, il montre que sa beauté ténébreuse et son sourire carnassier lui permettent d’incarner des personnages d’une autre dimension. Monsieur Ripley est un criminel, mais il est jeune, beau, séduisant et élégant, de telle sorte que le spectateur peut s’identifier à lui ; il y a là quelque chose de presque diabolique. Le personnage de Tom Ripley annonce les rôles que Delon jouera plus tard pour Visconti, Melville ou Losey.

 

Plein Soleil de René Clément (1960), avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, DVD Studio Canal.