23/06/2014
Les Sentiers de la gloire (Paths of glory), de Stanley Kubrick
Film de guerre saisissant
Les Sentiers de la gloire (Paths of glory)
Les Sentiers de la gloire est l’œuvre d’un metteur en scène de vingt-neuf ans, Stanley Kubrick. Sa réalisation est exemplaire. Le film s’inspire d’un épisode des mutineries de 1917, il dénonce les assauts inutiles et les conseils de guerre à la justice expéditive.
En 1957, la sortie des Sentiers de la gloire fut interdite en France. Le film s’inspirait d’un épisode des mutineries de la Première Guerre mondiale, et mettait gravement en cause l’honneur et la réputation de l’armée française. En pleine guerre d’Algérie, alors que les appelés du contingent étaient envoyés au combat, il était hors de question d’autoriser un film susceptible d’inciter à la désobéissance. Plus d’un demi-siècle après, il est possible de faire la part des choses. En premier lieu, reprenons les faits tels qu’ils sont exposés dans le film.
1916. La guerre s’éternise. Sous la pression du pouvoir politique et de la presse, le haut-commandement de l’armée française a besoin d’une victoire sur le terrain. La prise de la cote 110 pourrait s’avérer décisive et constituer le tournant du conflit. Le général Mireau, commandant la division déployée sur le secteur concerné, s’oppose à un tel objectif : tenter de prendre la cote 110 nécessiterait une opération extrêmement coûteuse en hommes. Mais, quand son supérieur hiérarchique direct, le général Broulard, commandant le corps d’armée, lui fait miroiter une étoile supplémentaire, Mireau se ravise et décide la prise de la cote 110. Il rend visite au colonel Dax dans les tranchées et lui fixe cet objectif. Certes, précise-t-il, on peut prévoir que 50% des hommes tomberont au combat, mais en même temps il restera un effectif plus que suffisant pour tenir la cote 110 en attendant les renforts. Sceptique sur la viabilité du plan, le colonel Dax s’autorise à formuler des objections, mais en bon militaire il se résout à obéir.
Le jour J, à la tête de son régiment, le colonel Dax monte à l’assaut. Comme de bien entendu, les pertes sont énormes, et surtout l’attaque piétine. Face au déluge du feu ennemi, une compagnie reste paralysée dans la tranchée et renonce à monter à l’assaut. Furieux, le général Mireau ordonne à l’artillerie de tirer sur sa propre troupe pour l’obliger à bouger. La journée se conclut par un échec. La cote 110 n’aura pas été prise. Le général Mireau est décidé à faire un exemple. Un conseil de guerre est convoqué. Des soldats sont désignés pour comparaître ; ils paieront pour l’ensemble de leurs camarades.
Les généraux n’ont pas peur du risque,
du moment que ce sont les autres qui y sont exposés
A première vue, on peut considérer ce film comme antimilitariste. Or il ne l’est pas. Le colonel Dax, joué par Kirk Douglas, a un comportement irréprochable. En tant qu’officier, il remplit son devoir et cherche à obtenir la victoire. Mais il n’en reste pas moins homme, et en tant que tel se soucie du sang versé et du devenir de ses hommes. Il ose même contredire son supérieur hiérarchique dans la limite du respect qui lui est dû.
Ce film n’est pas pacifiste non plus. On ne voit aucun appel à jeter les armes et à fraterniser avec les combattants du camp d’en face. A la fin du film, le régiment est même appelé à remonter en première ligne et le spectateur comprend que les hommes vont s’exécuter.
En revanche, le film dénonce les assauts inutiles qui se transforment en boucherie et les conseils de guerre à la justice expéditive. Il s’en prend clairement aux généraux. Tandis que les hommes sont terrés dans les tranchées, vivent au milieu de la vermine et risquent leur vie à tout instant, les généraux, eux, habitent dans des châteaux, partagent de plantureux repas, se distraient dans des soirées dansantes et n’ont pas peur du risque, du moment que ce sont les autres qui y sont exposés. Adolphe Menjou est admirable dans le rôle du général Broulard, tant il est mielleux et retors.
Une telle vision de la guerre, servie par un réalisateur médiocre, eût pu paraître caricaturale, ou du moins schématique. Mais ici, la réalisation de Stanley Kubrick, âgé de vingt-neuf ans, est exemplaire. Elle est d’une terrible efficacité et d’une grande rigueur. Le film est court : près d’une heure et demi, il ne contient aucune scène inutile, sans que pour autant l’action paraisse précipitée.
Les mouvements de caméra sont nombreux, mais ne sont en rien artificiels. A quelques minutes du déclenchement de l’assaut, quand le colonel Dax inspecte la tranchée, la caméra le suit en traveling. Kubrick utilise la caméra subjective, si bien que c’est le spectateur lui-même qui a l’impression de passer en revue les hommes alignés le long de la tranchée.
On pourra objecter que les châteaux dans lesquels résident les généraux sont trop baroques pour être français; les extérieurs ayant été tournés hors de France pour des raisons aisées à comprendre. Et la procédure devant le conseil de guerre paraît anglo-saxonne par moment. Mais ces détails comptent peu au regard d’un film qui constitue un spectacle saisissant.
Les Sentiers de la gloire (Paths of glory), de Stanley Kubrick (1957), avec Kirk Douglas, Adolphe Menjou et Ralph Meeker, DVD MGM.
08:00 Publié dans Film, Film de guerre, Histoire | Tags : les sentiers de la gloire, paths of glory, stanley kubrick, kirk douglas, adolphe menjou, ralph meeker | Lien permanent | Commentaires (0)
31/03/2014
La Grande Illusion, de Jean Renoir
Von Stroheim superstar
La Grande Illusion
Jean Gabin est l’acteur principal du film de Jean Renoir. Mais Erich von Stroheim lui vole la vedette. Il est inoubliable dans le rôle du commandant von Rauffenstein, un officier de la vieille aristocratie prussienne. Son personnage tend à phagocyter un film qui fit impression sur les spectateurs à sa sortie en 1937, alors que l’Europe était à nouveau menacée par la guerre.
Quand, en 1937, Jean Renoir entreprend le tournage de La Grande Illusion, il offre tout naturellement le premier rôle à Jean Gabin. Quelques mois plus tôt, l’acteur est devenu la vedette numéro un du cinéma français, suite à la sortie sur les écrans de Pépé le Moko. La Grande Illusion rassemble des souvenirs de Renoir liés à la première guerre mondiale. Le lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin, est un officier mécanicien sorti du rang. Il vole en compagnie du capitaine de Boeldieu quand leur avion est descendu par les Allemands. Boeldieu est indemne, mais Maréchal est blessé au bras. C’est le commandant von Raffaunstein qui les abattus. Rauffenstein un véritable chevalier du ciel qui combat ses adversaire à la loyale. Il présente au lieutenant Maréchal ses excuses pour la blessure, et prie ses deux prisonniers à déjeuner. Puis, Boeldieu et Maréchal sont emmenés en captivité. Quelques mois plus tard, ils sont transférés dans une forteresse dont le commandant n’est autre que Rauffenstein. Il invite Boeldieu à dîner et, entre aristocrates, noue une relation privilégiée avec lui.
Ce film montre que la guerre favorise le brassage des classes sociales et, en même temps, il joue sur les oppositions entre les différents milieux. Le lieutenant Maréchal, donc Jean Gabin, est un peu rustre, il n’est pas très cultivé et son vocabulaire est limité. A l’opposé, le capitaine de Boeldieu a un langage recherché, il parle couramment l’anglais et a des gestes posés. L’aristocrate français est interprété par Pierre Fresnay, qui n’a pas besoin de beaucoup se forcer pour être suffisant.
Mais, dans le film, Gabin et Fresnay se font voler la vedette par l’acteur qui interprète Rauffenstein : Erich von Stroheim. En pleine préparation du tournage, Renoir était en quête d’un acteur pour le personnage quand il apprit que von Stroheim, alors en France, serait intéressé par le rôle. Renoir vénérait von Stroheim qui avait été un grand réalisateur du cinéma muet. Mais, rejeté par Hollywood, il s’était résolu à quitter l’Amérique. Renoir lui confie le rôle, bien que le personnage occupe une place a priori réduite dans le scénario. Or, si von Stroheim est un grand metteur en scène, c’est d’abord un grand metteur en scène de lui-même. Il prend son rôle d’officier prussien très au sérieux et lui donne toute son ampleur. C’est lui qui a l’idée de porter une minerve qui confère la raideur qui sied au personnage. C’est encore lui qui a l’idée de rejeter son buste vers l’arrière dès qu’il boit un verre. La personnalité de Rauffenstein est tellement forte, ses gestes sont si bien étudiés, que von Stroheim finit par phagocyter le film. Voler la vedette à Gabin, il fallait le faire !
Roosevelt recommanda le film
Pendant des décennies, la version qui fut diffusée était une version ramenée à une heure et demie, qui resserrait le film sur la relation Boeldieu-Rauffenstein. Rauffenstein donnait ainsi l’impression d’être le personnage central du film. Depuis quelques dizaines d’années, le film est présenté dans une version plus longue, de plus d’une heure quarante-cinq. Jean Gabin y prend plus de place. La séquence au cours de laquelle il trouve refuge dans une ferme est davantage développée. En compagnie de Dalio, dans le rôle d’un autre officier français, il est abrité par une jeune Allemande veuve de guerre, jouée par Dita Parlo. Dans son montage actuel, La Grande Illusion est plus conforme au projet que Renoir avait en tête. Mais, en contrepartie, le film souffre d’une baisse de rythme à partir du moment où Boeldieu et Rauffenstein disparaissent de l’histoire. Sans devenir inintéressant, le film perd de sa force et devient alors plus quelconque.
Longtemps les critiques se sont demandé ce qu’il fallait entendre par la grande illusion. La version diffusée de nos jours permet de répondre à cette interrogation. A la fin du film, Gabin dit : « J’espère que c’est la dernière guerre » et Dalio lui répond : « Tu te fais vraiment des illusions ! »
Il serait vain de multiplier les exégèses de ce film et d’y lire des messages que peut-être il ne contient pas. A sa sortie, en 1937, La Grand Illusion rencontra un succès mondial, alors que la menace de guerre ne cessait de monter. Le président Roosevelt déclara : « Toute personne qui croit en la démocratie devrait voir ce film ». Ce film aurait-il eu un si grand destin s’il n’avait bénéficié de la prestation de von Stroheim et s’il était sorti dans un autre contexte ? Poser la question, c’est déjà y répondre.
La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937), avec Jean Gabin, Dita Parlo, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim, Carette et Dalio, DVD StudioCanal.
09:05 Publié dans Film, Film de guerre, Histoire | Tags : la grande illusion, renoir, gabin, dita parlo, fresnay, stroheim, carette, dalio | Lien permanent | Commentaires (0)
13/09/2013
Cote 465 (Men in war), d'Anthony Mann
Les horreurs de la guerre
La Cote 465 (Men in war)
Dans Cote 465 (Men in war) Anthony Mann nous fait partager la vie d’une section de l’armée américaine plongée dans la guerre de Corée. Avec eux nous guettons l’ennemi, et avec eux nous essayons de surmonter la peur qui nous envahit.
Pour les amateurs du genre, la Cote 465 (Men in war) est un film de guerre à voir. D’abord, c’est un film signé Anthony Mann, or les films d’Anthony Mann, même ceux qui ont moins bonne réputation, sont des œuvres puissantes, tant le réalisateur fait preuve de personnalité et de maîtrise dans le traitement des sujets. Ensuite, c’est l’un des meilleurs films de guerre jamais tourné.
Men in war (le titre original est plus évocateur), littéralement Des hommes dans la guerre, a été tourné en 1957 et renouvelle profondément le genre. L’action se déroule quelques années plus tôt en Corée. Une section de l’armée américaine, commandée par le lieutenant Benson, est perdue en territoire ennemi. Elle cherche à rejoindre son régiment, quand elle tombe sur une jeep avec à son bord deux hommes fuyant les combats. Le véhicule est conduit par le sergent Montana, qui transporte son colonel, hagard et en état de choc.
Le film montre comment la section d’échapper à l’ennemi. La tension est permanente. Les soldats sont peut-être des héros, mais avant tout ce sont des hommes, et ils ont peur. Cette peur, le spectateur la ressent et la partage. Le visage du colonel, paralysé et hébété malgré ses galons et ses décorations, est impressionnant. L’ennemi peut être caché n’importe où. Il est à l’affût, prêt à bondir sur vous. Chaque buisson est une menace et peut se révéler un piège mortel. Les avant-plans de branchages sont nombreux à l’image et presqu’obsédants. Et comme si cela ne suffisait pas, une opposition se fait jour entre le lieutenant Benson et le sergent Montana. Le lieutenant est un officier réaliste, lucide et profondément humain. Le sergent est un sous-officier brutal, presque bestial et qui tire avant de réfléchir. Et, après quelques escarmouches, à qui les faits donnent-ils raisons ? Au lieutenant Benson ? non. Au sergent Montana ? oui. Sa bestialité et son instinct de survie sauvent à plusieurs reprises la section.
Sans aucun doute, Men in war a renouvelé le film de guerre par sa sécheresse presque documentaire, par sa brutalité, mais aussi par son humanisme. Ce film aurait pu être conçu sans musique, et pourtant, la musique d’Elmer Bernstein ajoute un supplément de tension et fait de Men in war une œuvre complète. Robert Ryan est à l’aise dans le rôle du lieutenant Benson et Aldo Ray, qui fut homme-grenouille pendant la seconde guerre mondiale, est plus vrai que nature dans le rôle du sergent Montana.
La Cote 465 (Men in war), un film d’Anthony Mann (1957) avec Robert Ryan et Aldo Ray, DVD Wild Side Video.
08:23 Publié dans Film, Film de guerre, Histoire | Tags : anthony mann, men in war, cote 465 | Lien permanent | Commentaires (0)