12/12/2016
La Piscine, de Jacques Deray
Huis-clos en plein air
La Piscine
Pendant deux heures, Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet et Jane Birkin évoluent en tenue de bain autour d’une piscine qui est le centre du drame. A la fois thriller et film d’atmosphère, La Piscine lança la carrière française de Romy Schneider.
L’histoire se passe, pendant l’été, dans une villa de la Côte d’Azur. « La plus belle chose dans la maison, c’est la piscine », dit l’un des personnages. Au cours du film on les voit plonger et nager dans cette piscine qui est le centre du drame. Le film est un huis-clos, mais un huis-clos en plein air, qui se révèle aussi étouffant que s’il se passait dans un intérieur.
Au début de l’histoire, l’été est resplendissant et les couleurs sont chaudes. Puis, au fur et à mesure que l’intrigue progresse, les couleurs deviennent plus pâles et l’automne finit par s’installer, comme si la mort rôdait.
Les personnages d’Alain Delon et de Romy Schneider passent l’été ensemble dans cette villa, prêtée par un ami. Ils vivent dans l’oisiveté, hors de toute société, jusqu’à ce que débarque l’une de leurs connaissances, jouée par Maurice Ronet, qui dérange leur quiétude en s’invitant parmi eux. Il n’est pas venu seul, il est accompagné d’une très jeune femme, Jane Birkin, qu’il présente comme étant sa fille, fruit d’une « erreur de jeunesse ». Sans qu’une parole soit prononcée, le spectateur saisit, à son seul regard, qu’Alain Delon est troublé par la présence de la jeune fille.
Il y a beaucoup de non-dits entre les personnages et les silences sont pesants. La Piscine est un thriller, mais aussi un film d’atmosphère. Le rythme est d’autant plus lent que les personnages sont en vacances et désœuvrés. Dans son livre de souvenirs J’ai connu une belle époque, Jacques Deray expose la méthode qu’il suivit lors du tournage de La Piscine : « Refusant comme le scénario m’y invite, toute lourdeur explicative, je m’attache au rythme, à l’ellipse, à la rapidité, j’épie les silences, les regards et le dialogue, tellement précis qu’il paraît anodin. » Le spectateur passe une bonne partie du film à se demander quelles sont les intentions et les motivations des personnages. Les choses commencent à s’éclaircir quand Maurice Ronet se montre condescendant et méprisant à l’égard d’Alain Delon, et le traite d’enfant gâté. Dans ce film, Maurice Ronet connaitra le même sort que dans Plein Soleil.
A sa manière, ce film célèbre
la libération des corps
La Piscine fut tournée à l’été 1968, soit quelques semaines après les événements de Mai. Tout en étant de facture classique, ce film, à sa manière, célèbre la libération des corps. Pendant deux heures Alain Delon et Romy Schneider évoluent en tenue de bain autour de la piscine, ils exhibent leurs corps bronzés et pratiquent l’amour libre, attendu que chacun est en droit de quitter son partenaire pour aller voir ailleurs. Ce film exalte aussi la vitesse. A une époque où celle-ci est encore libre sur la plupart des routes, Alain Delon manifeste sa virilité en conduisant à tombeau ouvert une voiture de sport.
Le tournage du film marqua les retrouvailles entre Alain Delon et Romy Schneider. Alain Delon était alors en pleine gloire, mais Romy Schneider était restée Sissi dans l’esprit du public français, si bien que Jacques Deray dut insister auprès des producteurs, qui étaient réticents, pour lui donner le premier rôle féminin. Le réalisateur eut aussi l’idée de faire appel à Maurice Ronet. Il avait été impressionné par le Plein Soleil de René Clément, sorti huit ans plus tôt, et fut ravi de reconstituer le duo Delon-Ronet.
La Piscine sortit en janvier 1969 et rencontra les faveurs du public. Ce fut le début d’une collaboration fructueuse entre Delon et Deray qui tournèrent ensemble six films par la suite. Ces films ne furent pas des chefs-d’œuvre, mais sont restés comme des films policiers efficaces, à la manière des séries B américaines. Quant à Romy Schneider, sa prestation dans La Piscine fut remarquée par Claude Sautet, qui fit appel à elle pour jouer dans Les Choses de la vie. Sa carrière française était lancée.
La Piscine, de Jacques Deray, 1968, avec Alain Delon, Romy Schneider, Maurice Ronet, Jane Birkin et Paul Crochet, DVD M6 Vidéo.
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28/11/2016
L'Argent des autres, de Christian de Chalonge
Le scandale de la Garantie Foncière à l’écran
L’Argent des autres
Une grande banque protestante est mêlée à un scandale financier. Son président, interprété par Michel Serrault, se défausse sur un salarié qui fait office de bouc-émissaire. Le réalisateur Christian de Chalonge s’est inspiré du scandale de la Garantie Foncière. Dans sa peinture de la haute finance, le banquier, incapable de résister à l’appât du gain, sert d’abord ses propres intérêts, quitte à se renflouer aux dépens de ses clients.
En 1971 éclatait le scandale de la Garantie Foncière. La société immobilière collectait des fonds pour les investir dans des programmes de construction. Les épargnants, attirés par un rendement très élevé, avaient été nombreux à apporter de l’argent. C’était l’époque de ce que la presse appela le gaullisme immobilier. La Garantie Foncière construisit effectivement quelques immeubles, mais d’importantes sommes d’argent disparurent dans les poches de nombreux intermédiaires qui plumèrent les petits porteurs. Lorsque tout s’écroula, le retentissement fut énorme. Les dirigeants de la Garantie Foncière furent arrêtés. Un aristocrate, dont le nom prestigieux avait servi de caution pour mettre en confiance les épargnants, fut mêlé au scandale. Il apparut également que de hautes personnalités politiques avaient joué un rôle trouble dans l’affaire. Sur ce, un autre scandale, similaire, éclata : celui du Patrimoine Foncier, dont le retentissement fut aussi important.
S’inspirant d’un livre à succès de l’époque, Christian de Chalonge a brodé à partir des deux affaires ; il a coécrit le scénario avec l’homme de télévision, Pierre Dumayet, qui avait été coproducteur de Lectures pour tous et de Cinq Colonnes à la une. Tous deux ont mis la haute finance au cœur de l’intrigue. Monsieur Miremont, président de la banque du même nom, est plein de morgue et de suffisance. Par déformation professionnelle il ne sait pas résister à l’appât du gain. Aussi est-il séduit par la personnalité de Chevalier d’Avesn, un aristocrate doué d’un bagou certain, qui lui fait miroiter de juteux projets d’investissement. Mais quand l’affaire tourne à la débâcle et que le scandale menace d’éclater, Miremont a besoin d’un bouc-émissaire, afin que ses propres négligences n’apparaissent pas. Il croit trouver un lampiste en la personne d’Henri Rainier, le fondé de pouvoir de la banque qui servait d’interlocuteur à Chevalier d’Avesn. Miremont est certain d’avoir affaire à un salarié docile qui portera toute la responsabilité sur ses épaules. Mais, une fois avisé de son licenciement, Henri Rainier ne réagit pas comme prévu ; il se défend face aux attaques de son employeur.
Il faut bien reconnaître que, par certains aspects, L’Argent des autres n’a pas bien vieilli. Le tandem Chalonge-Dumayet ne vaut probablement pas le duo formé par Costa-Gavras et Jorge Semprun. La narration n’est pas linéaire et a un côté brouillon, ce qui enlève de sa force à l’histoire. Cependant, malgré ses défauts, L’Argent des autres se regarde avec plaisir.
Le président de la banque a l’astuce
de se présenter non comme coupable, mais comme victime
Ce qui n’a pas du tout vieilli, c’est la peinture qui est faite du monde de la haute finance. Le banquier n’a pas pour objectif premier de faire gagner de l’argent à ses clients (cet objectif restant accessoire), mais a pour priorité de s’enrichir lui-même. S’il est acculé, il n’hésite pas à se refaire une santé sur le dos des petits porteurs. Alors qu’il a succombé à son avidité, il refuse de prendre ses responsabilités et préfère se défausser sur un sous-fifre. Très habilement, plutôt que de désigner Henri Rainier à la Justice, il choisit de porter plainte contre X, tout en laissant clairement entendre que sa plainte vise le salarié supposé indélicat. Il a ainsi l’astuce de présenter la banque non comme coupable, mais comme victime. C’est une illustration de l’adage selon lequel « plus c’est gros, mieux ça passe ».
Les dialogues de Dumayet sont soignés et certaines scènes sont particulièrement réussies. Quand un cadre dirigeant négocie avec M. Miremont les conditions de son licenciement, il se montre respectueux des convenances. Il ne réclame aucune somme de vive voix et juge plus discret, selon l’usage, d’écrire un montant sur un papier qu’il tend à son interlocuteur. Dans cette haute banque protestante qui n’hésite pas à flouer ses clients, il serait particulièrement indécent de discuter à voix haute de questions d’argent.
Le décor est fascinant : Chalonge n’a pas cherché le réalisme à tout prix et a fait en sorte que le siège de la banque Miremont soit monumental et écrase le visiteur, ou plutôt le spectateur.
Michel Serrault, qui incarne le banquier Miremont, trouve ici l’un des premiers rôles dramatiques de sa carrière ; Jean-Louis Trintignant interprète Henri Rainier, le fondé de pouvoir qui se débat dans un engrenage qui manque de le broyer ; et Claude Brasseur est sans manière dans le rôle de Chevalier d’Avesn.
En 1979, L’Argent des autres fut récompensé par le César du meilleur film et Christian de Chalonge fut sacré meilleur réalisateur. La même année, Michel Serrault gagna le César du meilleur acteur, non pour son rôle dans ce film, mais pour son interprétation dans La Cage aux folles, sortie quelques mois plus tôt.
L’Argent des autres, de Christian de Chalonge, 1978, avec Jean-Louis Trintignant, Michel Serrault, Claude Brasseur, Catherine Deneuve, Gérard Séty et François Perrot, DVD Tamasa Diffusion.
08:37 Publié dans Economie, Etude de moeurs, Film | Tags : l’argent des autres, christian de chalonge, pierre dumayet, trintignant, serrault, claude brasseur, deneuve, gérard séty, françois perrot | Lien permanent | Commentaires (0)
14/11/2016
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, de Fritz Lang
Chef-d’œuvre aux allures de bande dessinée
Le Tigre du Bengale
et
Le Tombeau hindou
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sont deux films d’aventures captivants de bout en bout. L’intrigue, racontée en deux épisodes, a un côté feuilletonesque qui accumule les péripéties. Comme dans une bande dessinée, Fritz Lang privilégie le récit aux dépens de la psychologie des personnages. Les critiques de la Nouvelle Vague ont vu un chef-d’œuvre dans ces deux films.
A la fin des années 50, cela faisait plus de vingt ans que Fritz Lang vivait en Amérique. Il avait fui l’Allemagne nazie dans les années trente et s’était installé en Californie au milieu d’autres exilés. Ses films, tels que Docteur Mabuse, Métropolis et M le Maudit, l’avaient déjà rendu célèbre, et la MGM, le plus grand studio d’Hollywood, lui avait ouvert grand ses portes. En Amérique, Fritz Lang réalisa des films noir, des films de guerre, des films d’aventure et des westerns, mais sans retrouver le prestige qui avait été le sien en Allemagne.
Pour se convaincre du semi-échec de sa carrière américaine, il suffit de confronter son parcours à celui de son cadet Hitchcock. Hitchcock, venu d’Angleterre, était arrivé à Hollywood trois ans après Fritz Lang. Il s’était spécialisé dans le suspense, et ses films rencontraient le succès. Dans les années cinquante, ses performances au box-office, combinées à ses passages à la télévision dans la série Hitchcock présente, faisaient du Britannique le cinéaste le plus populaire d’Amérique.
Rien de tel ne s’était produit pour Fritz Lang. Le succès l’avait déserté. En 1955, pour faire oublier ses films noirs considérés – à tort – comme mineurs par la critique américaine, il s’était résolu à entreprendre un grand film d’aventures produit par la MGM. Ce fut Les Contrebandiers de Moonfleet, tournés en couleurs et en cinémascope. Malgré tous les efforts de Fritz Lang, le film ne rencontra pas son public.
Dès lors, le cinéaste se décida à rentrer en Allemagne, libérée du nazisme. Sur place, il fut contacté par un producteur qui se proposa de lui offrir un budget considérable pour sa prochaine réalisation. Fritz Lang décida de tourner Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, un récit en deux épisodes. Il reprit ici un scénario qu’avait écrit dans les années vingt Thea von Harbou, son épouse de l’époque ; un film en avait été tiré, mais Fritz Lang avait regretté de n’avoir pu le réaliser. Le diptyque qu’il comptait tourner serait aussi une manière de rendre hommage à son ex-épouse qui venait de mourir.
L’ampleur de son budget donna à Fritz Lang la possibilité de tourner les extérieurs en Inde et de réaliser les deux films en couleurs. Mais, parce qu’il n’aimait pas le format cinémascope, bon selon lui à filmer les serpents et les enterrements, il resta fidèle au format quasi-carré du 1.33.
Au pays du maharadjah, on jette les traîtres aux tigres
et on sacrifie aisément les serviteurs
L’histoire est celle d’un jeune architecte européen appelé auprès du maharadjah d’Eschnapour pour lui bâtir un palais. L’architecte sauve la vie de Seetha, une jeune danseuse du temple, menacée par un tigre, et tombe amoureux d’elle. Mais le maharadjah convoite la jeune femme. Quand il apprend que les deux jeunes gens se sont enfuis ensemble, il lance son armée à leur poursuite et bouleverse ses plans. Ce n’est plus un palais qu’il entend bâtir, mais un mausolée qui soit une « sépulture digne d’un amour infini, d’un amour perdu, d’un amour à jamais défunt ».
Aveuglé par la perte de la jeune femme, le maharadjah ne voit pas le complot tramé dans l’ombre par son frère aîné, qui estime que le trône lui revient de droit.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sont deux films d’aventures captivants de bout en bout. L’œuvre a un côté feuilletonesque qui accumule les péripéties. Le spectateur tremble pour les deux jeunes héros : menacés par le très inquiétant maharadjah, ils courent un danger permanent. Certaines scènes sont terribles et ont un côté clairement sadique. Au pays du maharadjah, la vie humaine ne compte guère, surtout celle des serviteurs. On les sacrifie aisément, tandis que l’on jette les traîtres aux tigres. A la violence s’ajoute la puissance érotique de certaines scènes, notamment quand Seeta se met à danser avec une sensualité certaine.
Chacun des personnages est mû par un désir unique : celui de posséder Seeta, en ce qui concerne le jeune architecte et le maharadjah ; et la volonté de conquérir le trône, pour ce qui est du frère du maharadjah, qui s’estime dépossédé de son droit d’aînesse. Fritz Lang met au second plan les caractères et privilégie l’enchainement des faits qui conduisent au drame. Son sens du récit, allié à la psychologie sommaire des personnages, donne à l’ensemble des allures de bande dessinée.
Les dialogues ont un côté littéraire et le dépaysement est garanti. L’histoire paraît hors du temps. Le spectateur ne sait pas s’il est dans l’Inde des années vingt ou dans celle des années cinquante. Et surtout, Fritz Lang fait preuve d’une grande maîtrise technique. Même le spectateur à l’œil exercé est bien en peine de distinguer les plans tournés en studio (à Berlin) des extérieurs filmés en Inde.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou sortirent en 1959. En Allemagne, la critique fut mauvaise, mais les spectateurs furent au rendez-vous. En France, les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, notamment Jean-Luc Godard et Claude Chabrol, s’enflammèrent pour le film et crièrent au chef-d’œuvre. Le mythe Fritz Lang était en train de naître.
Le Tigre du Bengale et Le Tombeau hindou, de Fritz Lang, 1959, avec Debra Paget, Paul Hubschmid, Walter Reyer et Claus Holm, deux DVD Wild Side Video.
08:41 Publié dans Aventures, Film | Tags : le tigre du bengale, le tombeau hindou, fritz lang, debra paget, paul hubschmid, walter reyer, claus holm | Lien permanent | Commentaires (0)